En mai 2025, Donald Trump a signé plusieurs décrets pour encourager le développement du nucléaire civil dans le but de consolider le secteur du numérique, tout en renforçant la compétitivité de la filière en matière d’intelligence artificielle générative (IA). Alors que s’est tenu au début du mois de juin 2025 le salon Vivatech à Paris, la souveraineté numérique est au centre de l’actualité politique et économique. Dans ce contexte, l’énergie est un enjeu incontournable.
La souveraineté numérique : une ambition européenne
Face à la domination croissante des géants américains et chinois, l’Union européenne (UE) adapte sa stratégie en capitalisant sur les opportunités économiques et industrielles du marché numérique. À ce titre, plusieurs initiatives politiques ont déjà été lancées.
Dès 2010, l’UE adopte une première «stratégie numérique pour l’Europe», soulignant l’importance des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En 2015, la «stratégie pour un marché unique numérique» vise à garantir un accès optimal aux biens et services numériques dans l’ensemble de l’Union européenne, tout en stimulant la croissance économique du secteur. En 2020, une nouvelle «stratégie numérique de l’Union» a été mise en place. Elle repose sur trois piliers : encourager une économie numérique en favorisant l’innovation, garantir un accès sécurisé aux services numériques pour les citoyens européens et promouvoir une société ouverte et démocratique. Enfin, en 2021, Bruxelles a fixé des objectifs concrets à l’horizon 2030, en matière de technologie et de géopolitique, dans le cadre de sa «boussole numérique». Elle concerne les services publics, les entreprises et les infrastructures, avec comme ambition de faire de cette décennie une étape cruciale pour l’autonomie numérique européenne.
Parallèlement, la France ambitionne d’avoir un secteur compétitif en la matière. En effet, elle déploie une feuille de route numérique cohérente afin d’accompagner la transformation des entreprises et de l’administration. Elle s’appuie sur plusieurs axes : le renforcement de la souveraineté numérique, le soutien à l’innovation, la montée en compétences et la modernisation des services publics. L’objectif est d’accroître la compétitivité, la résilience. Cette stratégie est soutenue à travers plusieurs plans, dont le plan France 2030, qui dédie notamment 2,5 milliards d’euros à l’intelligence artificielle générative, ou encore la plateforme France Numérique Ensemble, visant à établir un accès équitable aux services numériques.
L’énergie : un besoin indispensable au numérique
Le numérique consomme de l’électricité en quantité et le secteur en est totalement dépendant. Il représente 11 % de la consommation électrique en France, soit 51,5 TWh par an. Les centres de données concentrent une part importante de cette consommation. En moyenne, un centre de données consomme 5,15 MWh par mètre carré et par an. Ces installations ne sont pas les seuls maillons de la chaîne de valeur du secteur consommant de l’énergie en conséquence. Les infrastructures de réseaux et les équipements sont également concernés.

L’impact du développement du numérique sur la consommation d’électricité en France
Comparé à d’autres secteurs, le numérique a un impact modéré sur la consommation d’électricité. Toutefois, les avancées technologiques et la demande croissante en NTIC induisent des estimations significatives pour le secteur. En France, la consommation des centres de données pourrait doubler en 2030 et représenter près de 25 % de la demande électrique. Le développement de l’intelligence artificielle générative (IA) accentue cette tendance. Une requête sur ChatGPT consomme environ dix fois plus d’énergie qu’une recherche sur Google classique. De plus, si la croissance actuelle se poursuit, la demande électrique liée à l’IA peut être multipliée par 24 d’ici 2030. Ainsi, la construction de nouveaux centres de données et d’infrastructures accueillant les supercalculateurs, induit une forte demande d’électricité. La production de cette dernière doit être stable, constante et résiliente afin d’assurer le bon fonctionnement de ces infrastructures.
Le nucléaire : la solution ?
Face à ces défis, l’une des sources d’énergie régulièrement évoquée comme solution d’approvisionnement est le nucléaire. L’énergie nucléaire garantit une production stable, capable de répondre à une demande en constante augmentation. Elle ne dépend pas des conditions climatiques, contrairement aux technologies de production électrique intermittentes. De plus, la France dispose d’un parc nucléaire important et d’un savoir-faire industriel reconnu. Cette filière permet une production bas-carbone : ses émissions de CO₂ sont comparables à celles de l’éolien sur l’ensemble du cycle de vie. Elle répond aussi aux besoins croissants du numérique, sans artificialiser massivement les sols. Emmanuel Macron a positionné le nucléaire comme l’un des moyens les plus crédibles pour alimenter les prochaines infrastructures françaises de l’IA.
En se penchant sur les mesures américaines pour assurer l’apport énergétique de leurs centres de données, les petits réacteurs modulaires (SMR en anglais) semblent être la source d’énergie priorisée pour les infrastructures dédiées à l’IA. La Maison Blanche a proposé 900 millions de dollars pour le développement des petits réacteurs modulaires. Le département de l’Énergie des États-Unis estime que la production d’électricité d’origine nucléaire pourrait tripler d’ici 2050. Cette projection s’appuie sur la hausse continue de la demande énergétique, notamment en raison du développement de l’intelligence artificielle générative et à l’essor des centres de données.
Le 14 octobre 2024, Google a annoncé un record pour acheter 500 mégawatts d’électricité provenant de six à sept petits réacteurs modulaires Hermes de Kairos Power, visant à les déployer près de ses centres de données d’ici 2030. Le directeur de l’énergie propre et de la décarbonation de Google, Michael Terrell, a déclaré que cet accord pourrait aider à soutenir les technologies d’IA et à fournir une énergie décarbonée de manière fiable. Par la suite, Amazon a annoncé des investissements dans quatre SMR qui seront construits, possédés et exploités par Energy Northwest, un consortium de services publics de l’État de Washington. Le premier de ces réacteurs de nouvelle génération devrait être opérationnel au début des années 2030.
La France, qui dispose d’un savoir-faire historique avec les réacteurs à neutrons rapides au sodium (RNR-Na), souhaite aujourd’hui relancer la technologie à neutrons rapides (plomb, sodium, etc.). Les RNR-Na sont des réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération utilisant du sodium liquide comme fluides de refroidissement. Ils permettent de fissionner l’uranium 238 et peuvent être surgénérateurs, produisant plus de combustibles qu’ils n’en consomment. Ce type de technologie permet de multiplier les réserves énergétiques exploitables par 60 voire 100 en comparaison avec les réacteurs en fonctionnement aujourd’hui. En outre, ces réacteurs offrent la possibilité de valoriser les stocks d’uranium appauvri accumulés. Les RNR-Na permettraient de réduire la dépendance de la France aux approvisionnements extérieurs et d’assurer son propre rendement énergétique sur le long terme et sa souveraineté énergétique et technologique.
Louis Quinet
Pour aller plus loin :