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Le redressement productif n’est pas qu’industriel

Le gouvernement a annoncé un plan de relocalisation de l’activité industrielle. Mais les relocalisations sont souvent justifiées par des motifs éloignés des préoccupations et des intérêts de l’Etat.

L’industrie n’est pas la seule concernée par les délocalisations. Les services, qui représentent les deux tiers de la richesse nationale, sont soumis à de réelles contraintes. Ces données doivent compter pour assurer le redressement productif de la France. Le ministre du redressement productif, a annoncé, la semaine dernière, le lancement d’un programme de relocalisation en France d’activités industrielles, visant 300 entreprises, qui pourraient de nouveau produire en France. L’agence française des investissements internationaux (Afii) sera l’instrument de cette relocalisation d’entreprises de filières puissantes (aéronautique, pharmacie et le numérique), cette relocalisation sera plus difficile dans les secteurs plus fragiles. Ce programme de relocalisations offrirait gratuitement aux entreprises qui le souhaitent un nouveau service leur permettant de calculer les avantages à relocaliser des activités.

La volonté du gouvernement est louable mais le plus souvent les relocalisations obéissent avant tout aux intérêts des entreprises. Les relocalisations, sont motivées pour des raisons qui ne sont pas seulement patriotiques :

  • L’automatisation de la production, les fonctions relocalisées sont automatisées et ne demandent pas de nouvelle main d’œuvre. La relocalisation permet cependant de rapprocher la production de son marché de destination.
  • Les imperfections du produit final dont la production est délocalisée sont aussi les raisons d’une relocalisation. Lorsque la qualité du produit n’est pas garantie, par la délocalisation, l’imperfection du produit final peut faire perdre des parts de marché à la société. Elle a ainsi un intérêt à relocaliser.
  • La troisième raison est le coût du transport notamment dans les secteurs où les transports sont très chers.
  • La hausse des salaires dans les pays émergents, auparavant plus attractifs tend à favoriser les relocalisations dans certains secteurs.

Ces dernières années, les primes à la relocalisation et le crédit d’impôt relocalisation n’ont pas obtenu les résultats escomptés, notamment à cause des grands groupes intégrés pour lesquels la délocalisation garantit les marges. Les activités peu pondéreuses dont le coût de transport est faible continuent de délocaliser. Selon Elias Mouhoub Mouhoud, professeur à Dauphine, pour 10 emplois détruits par les délocalisations, 1 emploi a été recréé par la relocalisation.

Le cas Rossignol

Lorsque l’on étudie la relocalisation du groupe Rossignol, les motifs de relocalisation sont fondés sur des exigences économiques, une stratégie d’innovation et le rapprochement géographique avec le marché :

  • le coût. Pour le PDG de Rossignol, Bruno Cercley : « produire au meilleur coût en investissant dans l’automatisation des processus et en organisant au mieux la flexibilité entre périodes hautes et basses » et la question du cout du travail reste posée en France.
  • l’innovation : le groupe Rossignol renouvelle 30 % de ses gammes tous les ans en cherchant de nouvelles innovations brevetables. Le crédit d’impôt recherche est un élément important de cette stratégie.
  • la rapidité de mise en marché : aller plus vite de l’identification du besoin jusqu’à la mise en marché. La proximité géographique des acteurs est un véritable avantage face à la concurrence et contre une délocalisation.

Les arguments avancés par Rossignol décrivent les faiblesses de l’économie française mais aussi ces opportunités. Rossignol n’est pas simplement dans une logique industrielle, mais une approche plus transversale liant innovation, question du cout de production et la connaissance du marché. Ce regard de l’entrepreneur est un apport essentiel à la conception que la France doit se faire de son avenir économique.

Le rôle des services

Car pour promouvoir une politique industrielle, il faut saisir l’économie française dans sa globalité. L’industrie française (qui représente 14% du PIB) est liée à l’ensemble du tissu économique français, elle n’est pas un élément compréhensible en dehors du milieu où elle se situe, c’est-à-dire entourée de services. L’enjeu est de mesurer la réalité des services dans les régions, de juger les performances des territoires pour agir efficacement au près des entreprises en difficulté ou de celles qui en croissance.

Il existe cinq grandes catégories de services, les services logistiques pour les entreprises (12% du PIB), les services collectifs de l’Etat, (36% du PIB), les services immatériels pour les ménages (tourisme…), ces services ne sont pas ou très peu dé-localisables. Les services les plus intéressants pour ce qui concerne l’emploi en France sont les services des connaissances et de l’immatériel d’une part, car ils sont le moyen de maintenir et de développer de l’emploi durablement, et les services de support, car ils sont le plus soumis à la concurrence mondiale.

  • Les services de la connaissance et de l’investissement immatériel qui représentent 12% du PIB doivent être pris en compte. Ces services ont été externalisés par les industries. Les industries travaillent désormais avec eux, elles en dépendent aussi. Certaines régions françaises disposent d’excellents services de la connaissance, elles maintiennent et attirent les industries car les possibilités en termes de développement sont plus importants. La Bretagne, l’Ouest de la France, l’Alsace, en font partie.Les services supports 5 à 6 % de la richesse nationale, (centres d’appels, services juridiques, ….) sont fragiles car délocalisables.
  • Les régions et les emplois les plus menacés aujourd’hui et dans les années qui viennent, sont ceux qui sont liés à ces services. Pour ces régions, l’exigence est cibler les aides sur les personnes en facilitant la mobilité professionnelle, sur les territoires et les infrastructures pour leur permettre d’éviter les chocs de la concurrence mondiale et de renouveler leur potentiel économique.

Cette connaissance des services doit être intégrée à la réflexion sur l’avenir industriel de la France et assurer la compétitivité française. Les solutions à la désindustrialisation ne sont pas seulement étatiques et nationales. L’enjeu est de connaitre la diversité du tissu économique français pour concentrer les moyens sur les faiblesses et soutenir les succès.

Etat, entreprises et territoires : les fondements du redressement productif

Dans cette perspective, une nouvelle combinaison entre l’Etat, les acteurs économiques et les autorités locales doit être déterminée pour assurer le redressement productif. Si la France veut une réelle stratégie économique, il lui faut combiner la force de l’Etat qui lance les grands projets industriels, finance la recherche et assure un cadre législatif favorable aux entreprises et à l’emploi. Les entreprises ont une responsabilité considérable, en lien avec l’Etat et les acteurs locaux pour choisir des investissements de long terme, enraciné dans un territoire ou une région. Car c’est au niveau des territoires régional et local que s’effectuent les échanges entre les services et les industries, les centres de recherches et les entreprises, entre les acteurs publics et privés. Une stratégie nationale doit conjuguer ces trois ensembles ou elle ne sera pas.

Remy Berthonneau