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La Chine innove dans la transmission quantique des informations

En quelques décennies, la Chine est parvenue à combler une partie de son retard technologique sur les Etats-Unis, allant même jusqu’à devancer son principal rival dans le domaine du cryptage des communications satellites . Suite au lancement de son premier satellite quantique (une première mondiale), elle espère ainsi occuper la place de leader mondial des communications quantiques satellitaires, une technologie en plein essor.

La Chine a lancé avec son succès le premier satellite quantique (à caractère expérimental) le 16 Août 2016 depuis sa base de lancement située à Jiuquan (dans la province de Mongolie-Intérieure en plein désert de Gobi). Ce satellite surnommé Mozi (en hommage à un philosophe chinois et contemporain de Confucius) était embarqué sur une fusée de type Longue Marche (Shenzhou) 2D-Y32, et a été lancé en suivant les consignes caractéristiques d’un protocole Sun Synchronise Orbit (SSO)[1]Mozi est ainsi devenu le premier satellite quantique civil de l’histoire issu du programme Quantum Experiments at Space Scale (QESS) supervisé conjointement par la  puissante Agence Spatiale chinoise et le Centre National des Sciences Spatiales, l’organe chargé de la bonne tenue des programmes spatiaux.                     La recherche quantique est rapidement devenue l’une des grandes priorités nationales chinoise dans le cadre de l’actuel plan quinquennal : le pays ambitionne clairement de devenir une ‘puissance technologique incontournable’ à l’horizon 2049 lors des célébrations du centenaire de la République populaire[2].

Cette mise à l’essai d’une durée théorique de deux ans permettra de tester l’envoi et la gestion de données hypersécurisées dans le domaine du cryptage jusqu’alors peu exploité par les grandes puissances traditionnelles (Etats-Unis, Japon voire même l’UE) principalement en raison de l’absence de moyens conséquents. Pékin cherche à damer le pion à ses concurrents directs en mettant au point une technique d’élaboration et de transmission de clés d’encodage réputée inviolable aux yeux des plus grands experts de la physique quantique. Si un tel projet aussi coûteux et ambitieux devait être couronné de succès, la Chine s’imposerait alors comme un modèle à suivre dans un domaine où les acteurs de la Défense se projettent déjà sur les effets à long terme, et sur ses retombées économiques potentiellement considérables.

Des clés de chiffrements innovantes et inviolables…

 Contrairement aux méthodes classiques de transmission longue distance sécurisée, le nouveau système mis au point par les scientifiques chinois repose sur l’emploi des photons (la composante principale de la lumière) pour l’envoi des données de chiffrement nécessaires au décodage et à la retranscription des informations recueillies. Les données contenues dans ces photons deviennent dès lors impossibles à intercepter par un tiers, étant donné que toute tentative d’espionnage résulterait à une autodestruction immédiate des données interceptées, ainsi que le dispositif est conçu : Mozi répond précisément de ce protocole expérimental qui utilise les propriétés quantiques de la lumière : en envoyant un photon tout en gardant un autre photon à proximité immédiate, une même clé de chiffrement partagée entre ces deux particules permettra à deux interlocuteurs (mêmes très éloignés l’un de l’autre) de rendre lisibles les informations chiffrées qu’ils échangent, sans courir le risque que celles-ci soient récupérées à des fins frauduleuses[3]. Pour l’heure, l’objectif principal de Mozi sera de répondre au besoin fondamental de l’envoi de données sur de très longues distances. Dans un premier temps, les responsables du projet ont retenu l’axe reliant Pékin à Urumqi (capitale de la province autonome du Xinjiang à l’extrémité ouest), toutes deux distantes de plus de 2500 kilomètres, comme le terrain des premières expériences de transmission de données sécurisées qui devront rendre compte de la faisabilité technique dans le cadre d’une application sur de très longues distances. Le satellite devra également être capable d’assurer la bonne transmission de données cryptées du début à la fin du processus de cet échange interrégional dans les mêmes conditions que dans un échange classique de données quantiques dans une même ville (technologie déjà vérifiée).

En ouvrant la voie à une technique qui révolutionnera les procédés de transmission et d’exploitation des communications civiles et a fortiori militaires si elle doit prendre une telle déclinaison, Pékin cherche avant tout à combler une partie de son retard sur son rival américain. De son côté, Washington admet que si les moyens alloués demeurent considérables (près de 200 millions de dollars annuels), l’exploitation intensive dans ce domaine a néanmoins souffert d’un certain retard imputable à l’attribution des budgets décidée par le Pentagone[4]. Dans un rapport du National Science and Technology Council publié au cours de l’été 2016, il y est même fait état de lacunes en matière d’effectifs suffisamment qualifiés pour passer à un stade ultérieur dans le programme[5].

…Pour redéfinir l’Internet de demain ?

Ce coup d’éclat pour Pékin renforce un peu plus le poids de ses apports dans un domaine jusqu’alors peu ou mal connu : si les premiers résultats fournis par Mozi s’avèrent concluants et permettent au pays de se doter au plus vite d’un réseau de communication inviolable, un palier supplémentaire serait alors franchi dans le cadre des évolutions technologiques de communication à usage du grand public. Toutefois, un tel projet ne manque évidemment pas de relancer la question délicate en matière de cyberstratégie offensive, et des capacités réellement mises à disposition de Pékin : dans cet espace encore dépourvu de tout cadre législatif international où il est facile d’agir de manière sournoise et dissimulée, une posture hostile de la Chine ne manquerait pas de la desservir nonobstant son intention de contribuer à une diffusion plus large d’une innovation déterminante pour l’avenir de l’information.

D’une priorité nationale motivée par un écart technologique à combler, les scientifiques chinois pourraient à terme se pencher vers une déclinaison destinée à une population mondiale de plus en plus connectée. Selon Pan Jianwei, vice-président de l’Université chinoise des sciences et technologies et principal artisan du projet chinois depuis 2011, une telle prouesse technique s’inscrirait dans un double usage, à la fois militaire mais également civil : la Chine contribue déjà, avec plusieurs autres pays, à un projet de créer le premier ordinateur quantique mondial. Si cette machine parvenait à voir le jour, cela constituerait dès lors une étape révolutionnaire dans la conduite et la résolution de calculs à des vitesses d’exécution bien plus élevées que celles que nous connaissons pour les nouveaux supports informatiques du futur. Toute volonté de prospective mise à part, la mise à niveau de l’ensemble des compétences technologiques en matière de traitement, d’échange et de sécurisation de l’information à l’échelle d’humanité pour les décennies à venir s’effectuera vraisemblablement dans la continuité d’une mise en forme d’origine militaire…au même titre que la naissance de l’outil Internet avec lequel nous sommes depuis longtemps familiers[6].

Frédéric Puppatti


[1] D’une altitude comprise entre 400 et 900 kilomètres, héberge la majorité des satellites d’observation terrestre ainsi que la plupart des satellites technologiques et scientifiques.

[2] Thierry BERTIER, « Chine : le satellite quantique qui fascine et inquiète », Contrepoints [en ligne], août 2016

[3] Grégory ROZIERES, « A quoi va servir le satellite quantique lancé par la Chine ? », The Huffington Post [en ligne], août 2016

[4] Harold THIBAULT et David LAROUSSERIE, op.cit..

[6] Philippe RICOUX, « Supercalculateurs : un outil au service des enjeux de demain », Les Grands Dossiers Diplomatie, N°28, Août-Septembre 2015, p.27-29.