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Quand le football fait sa révolution data

Apparue au début des années 2000, la data a bouleversé les choix stratégiques des grandes franchises du sport américain. En Europe ce sont principalement les managers du football qui se sont emparés durant la dernière décennie de l’analyse data. Ils ont eu recourt pour cela aux technologies offertes par des start-up spécialisées dans la collecte, le traitement et l’optimisation des données statistiques des joueurs..

Lorsque l’entraineur en chef de la franchise de baseball des Oakland Athletics assène à son manager général en 2002  « On ne fabrique pas une équipe de baseball avec un ordinateur Billy », le second lui réplique avec un fatalisme empreint d’une grande lucidité « Soit on meurt soit on s’adapte ».

Cette séquence est tirée du film Moneyball[1], sorti en salle en 2011, biopic qui conte l’histoire vraie de Billy Beane[2], directeur général des Oakland Athletics,  dans son entreprise de création d’une équipe compétitive en Ligue majeur malgré des difficultés financières, et un budget très restreint par rapport aux grandes franchises des Ligues majeures de baseball comme les Boston Red Sox  ou les New-York Yankees. Il part du constat qu’il lui est impossible d’acquérir les meilleurs joueur de la Ligue avec le budget transfert dont dispose la franchise. Au lieu de faire de l’achat de joueur il choisit donc de changer totalement de prisme et de faire de « l’achat de victoires ». Pour ce faire, il mise sur des joueurs pour la plupart quasi-inconnus mais qui excellent à leur poste en termes d’efficacité,  grâce à une analyse minutieuse de données statistiques empiriques. Cette approche moderne analytique appelée « sabermétrie » s’avère payante puisque dès la première année de son utilisation en 2002 les Oakland Athletics rentrent dans l’histoire du sport américain en remportant 20 matchs d’affilée.

Cet exploit magistral illustre le tournant pris au début des années 2000 par le sport moderne et l’importance désormais accordée à la data. En effet celle-ci a réussi à prouver sa légitimité dans notre société. De nombreuses expériences se multiplient dans le but d’évaluer l’environnement dans lequel nous évoluons. Ces phénomènes qui nous entourent impactent également le sport. L’afflux massif de données bouleverse la performance sportive et repousse les limites de son expertise. On assiste désormais dans les sports collectifs à une relation tripartite qui fait interagir le sportif, le stratège (manager et/ou entraineur) et la data.

Billy Beane, directeur général de la franchise de baseball des Oakland Athletics de 1998 à 2015.

L’histoire du football et de la data : de la Royal Air Force à l’équipe nationale d’Allemagne

Le football, sport le plus populaire de la planète, n’échappe bien entendu pas à cette logique. Il est particulièrement touché par le phénomène de l’analyse data. Pour la petite histoire, c’est un lieutenant-colonel de la Royal Air Force passionné de football, Charles Reep qui a inventé l’analyse de performance dans les années 1930. Il avait la conviction qu’une approche scientifique pourrait transformer le monde du ballon rond. Son objectif était de comprendre la supériorité ou l’infériorité d’une équipe ou d’un joueur, à l’aide de données chiffrées, dites objectives. Cela dans le but de configurer un schéma tactique qui s’adapte parfaitement aux besoins de l’équipe et aux qualités intrinsèques des joueurs. Il théorisera à la suite de travaux de recherche et de recensement de données diverses et variées le kick and rush, système de jeu (certes, assez rudimentaire) qui irrigue depuis une cinquantaine d’années la culture tactique britannique. A la suite de Reep, des entraineurs comme le soviétique Valery Lobanovski dans les années 1970, puis le français Arsène Wenger au début des années 2000 donnent eux aussi leur patte à la nouvelle science statistique du football. Ce dernier, diplômé d’économie et passionné par les mathématiques, comprenant les possibilités immenses offertes par l’ordinateur en matière d’analyse de données de match, commence avant tous les autres à utiliser le logiciel Top Score pour la gestion de son effectif. Grandement influencé par le travail de Billy Beane dans le baseball, il est également le premier manager du football à recruter un joueur remarqué grâce à un programme d’analyse performance en la personne de Mathieu Flamini transféré en 2004 de Marseille à Arsenal.

« Observer le football, c’est désormais regarder dans les data pour mieux comprendre quelles sont les exigences du foot de haut niveau », Christopher Clemens,  directeur de la performance de la sélection allemande.

De nos jours, qu’il s’agisse de l’utilisation de données objectives relatives au scouting de joueurs (la détection), de l’analyse vidéo avant, pendant ou après les matchs, de la possibilité d’accéder à des données statistiques ultra précises sur un joueur (mini capteurs insérés dans les protèges tibias pour analyser les déplacements en temps réel) ou d’examiner l’évolution de ses capacités physiques (GPS embarqués entre les omoplates des joueurs), la manière d’appréhender le football à travers sa complexité se trouve complètement modifiée par les technologies data. « Le développement durable d’un club, c’est à la fois des éléments qui optimisent la composition de l’effectif, d’autres qui établissent la contribution des joueurs aux performances de l’équipe et, enfin, une étude des profils à recruter, et à quelle valeur, pour remplacer des joueurs vendus ou sur le départ. C’est un modèle théorique, basé sur des recherches statistiques, pour rendre la réalité mesurable : la corrélation de ces éléments doit permettre une planification du succès » analyse Loîc Ravenel chercheur au CIES (Centre International d’Etudes du Sport).

Schéma L’Equipe Explore « La Data Révolution »

Plus encore, les statistiques ont la faculté de faire apparaitre des habitudes de jeu, des tendances tactiques suivies par une équipe, plusieurs fois par match, plusieurs fois par saison. Aussi, contrairement à ce que laisserait penser la fluidité d’un jeu comme le football, les joueurs ne se déplacent pas librement sur le terrain et les algorithmes permettent d’identifier tous les modèles de déplacement dont use l’équipe adverse. Pour mieux en exploiter les failles. Ce type d’analyse confère un véritable avantage stratégique à l’équipe qui peut s’en servir.

Ainsi nombreuses sont les équipes de football qui ces dernières années ont tiré profit de l’utilisation de la data. L’équipe nationale allemande, brillante vainqueur de la Coupe du monde 2014 au Brésil, est la première sélection à avoir investi massivement dans les technologies data dès 2004 en prévision de la Coupe du monde 2006 en Allemagne. Emmenée depuis 12 ans par des sélectionneurs prônant une vision scientifique du football, Jurgen Klinsmann suivi par Joachim Lôw, elle est aussi  la première à reconnaître l’influence des data sur la modification profonde de son style de jeu. Des analyses statistiques extrêmement poussées incitent le staff de la Mannschaft[3] à miser sur des joueurs plus techniques et vifs que physiques, pour exister dans un nouvel environnement (celui du football moderne) nécessitant précision et rapidité d’exécution. Les data montrent que la qualité technique globale de l’équipe et le mouvement finissent par recréer des espaces, car l’adversaire est submergé par une trop grande quantité d’informations à traiter. Ainsi en l’espace de deux ans, entre 2004 et 2006, la vitesse de transmission de la balle est passée de 2,6 secondes à 1,1 seconde par joueur évoluant au sein de la sélection. A ce titre depuis 2005, la sélection allemande coopère avec l’université des sciences du sport de Cologne, qui remet régulièrement des rapports statistiques au staff de la sélection nationale, dans lesquels les performances des joueurs et adversaires sont passées au crible. La fédération de football allemande a également mis en place un partenariat avec une plate-forme numérique, SAP, spécialement conçue pour le suivi et l’analyse des statistiques du groupe des sélectionnables.

Le partenariat Football Manager/Amisco-Prozone géant de l’analyse performance

Mais s’il est un exploit sportif retentissant qui vient faire écho à l’efficacité de l’utilisation des data dans le monde du football, c’est l’incroyable aventure vécue par le club de Leicester City vainqueur de la Barclays Premier League lors de la saison 2015/2016, pourtant un an plus tôt à la limite de la relégation et disposant d’un budget près de quatre fois inférieur à celui du club de Manchester United[4]. S’il faut sans nul doute considérer plusieurs facteurs pour expliquer cette performance, en premier lieu le talent managérial de l’entraineur Claudio Ranieri ou encore la force de conviction de l’équipe et un état d’esprit exemplaire tout au long de la saison, la capacité de Leicester à détecter les talents s’est avérée remarquable. Faute d’un budget mirobolant, le club décide d’investir massivement dans le Big data, en misant sur une analyse détaillée et pointue des statistiques. « Désormais, même les ­ligues secondaires rassemblent les informations statistiques des joueurs, explique Dan Altman, le fondateur de North Yard AnalyticsOn peut ensuite utiliser des algorithmes afin d’identifier les joueurs qu’on cherche. Cela permet d’étendre son filet de façon beaucoup plus large. » Selon lui, 200 000 euros d’investissement dans les algorithmes sont l’équivalent d’un budget de 10 millions d’euros en achat de joueurs. A cette fin Leicester a investi dans les technologies développées par le groupe Amisco-Prozone[5] spécialisé dans la collecte et le traitement des données relatives à l’analyse performance dans le sport. Une simple recherche nominative dans le logiciel renvoie vers des milliers de faits de jeu enregistrés. Une mine d’or pour les scouts des clubs à la recherche de la perle rare.

En 2014, Amisco-Prozone  a annoncé la signature d’un partenariat avec Football Manager concernant l’utilisation par le groupe de l’immense base de données du jeu pour conseiller ses « clubs-clients ». 1300 chercheurs de talent prospectent à travers le monde, le plus souvent responsables d’un club (voir de plusieurs) ou d’une zone géographique, et plus de 600 000 profils de joueurs sont référencés. Miles Jacob directeur des studios Sport Interactive concepteur de Football Manager décrit l’aboutissement du projet : « Le principe du jeu était de recréer le monde réel, c’est encore et toujours ce que l’on cherche à faire, poursuit-il. Et ça explique pourquoi nous avons axé notre jeu sur la masse de données qu’il comporte…Depuis des années, on entend des histoires sur des entraîneurs et des recruteurs qui se servent de nos données dans leur processus de recrutement. Désormais, c’est officiel de vrais entraîneurs à travers le monde vont trouver et comparer des joueurs en utilisant des données et un système de recherche que les joueurs de Football Manager connaissent très bien. »

Le nouvel opus de Football Manager, simulation de management le plus vendue au monde, est sorti le 4 novembre 2016.

Footovysion et Mycoach, les petites françaises qui montent

Si d’autres entreprises mastodontes de l’analyse performance comme Opta ou Wyscout offrent également des technologies de pointe aux décideurs et analystes du monde du football, les start-up françaises ne sont pas en reste. En effet Paris souhaite accompagner sa candidature pour l’organisation des Jeux Olympiques 2024 en faisant de la ville la première place mondiale des start-up dans le domaine du sport. Ainsi malgré un marché fortement concurrentiel et atomisé, deux start-up françaises se sont distinguées récemment. En premier lieu la start-up parisienne Footovision a développé deux logiciels permettant de générer toutes les données d’un match de football dans une base de données propre : Footo Track qui transforme les données d’une vidéo en données de tracking (de la position des joueurs et du ballon aux événements de jeu) et Footo Analysis qui étudie la performance d’une équipe et de ses joueurs via une application web ou mobile. Par ailleurs la start-up niçoise Mycoach parrainée par le groupe Allianz, propose à des entraîneurs de football amateur de pouvoir gérer les effectifs, les données personnelles des joueurs, les convocations aux matchs, les statistiques individuelles et collectives, en somme tout ce qui fait le quotidien d’un entraîneur de football. Elle a déjà séduit plus de 10000 coachs. On peut espérer que prochainement d’autres entreprises françaises investiront ce marché riche en innovation et en perspectives d’avenir.

Le football, qui a toujours été une affaire de chiffres, est nettement en train d’évoluer au rythme du Big Data. Les clubs, encouragés par la recherche d’un avantage stratégique en termes de compétitivité sportive, recrutent aujourd’hui davantage d’informaticiens analystes que de découvreurs de talent. L’alliance du Big data et du football semble être à ce titre un mariage de raison. Billy Beane ne pensait sans doute pas si bien dire lorsqu’il annonçait, toujours dans le film Moneyball, « Si on gagne avec cette équipe, on aura révolutionné le sport ».

Florian Mouchette

 


[1] Le titre de la version française est « Le stratège », le film est inspiré de l’ouvrage The Art of Winning an Unfair Game écrit en 2003 par  Michael Lewis.

[2] Interprété par Brad Pitt.

[3] Surnom donné à l’équipe nationale d’Allemagne et qui signifie en allemand « équipe ».

[4] 520 millions d’euros pour Manchester United, budget le plus important de Premier League, contre 137 pour Leicester City.

[5] Le groupe Amisco-Prozone a été racheté en 2015 par le groupe Stats géant américain du traitement des statistiques dans le sport.