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Le big data et l’IA, carburants à risque au service de la « green tech » du géant Tesla

Soumettre l’adversaire par la dépendance numérique et obtenir un monopole informationnel est un enjeu majeur de la guerre économique systémique. Depuis son commencement, le constructeur automobile Tesla a massivement investi la sphère immatérielle par son utilisation du Big Data et de l’IA associé à une stratégie de prédation économique à échelle internationale. Les véhicules du futur ne sont cependant pas sans risques pour les utilisateurs et soulèvent de nouvelles problématiques.

Tesla, des volontés d'implantation internationale et des ambitions monopolistiques sur le secteur des technologies des véhicules électriques autonomes

Le constructeur automobile propose aujourd’hui des véhicules électriques et autonomes et se projette dans bien d’autres domaines tels que la fourniture d’énergie, les assurances. Le but stratégique, que reconnaît l’entreprise elle-même, est d’accélérer la transition de l’humanité des énergies fossiles vers les énergies renouvelables. L’arrivée d’Elon Musk au conseil d’administration en 2004 marque un véritable tournant stratégique pour la firme californienne, la propulsant petit à petit en tant que leader du marché des véhicules électriques. Sa figure est au centre de l’entreprise et de toute sa stratégie de communication, incarnant au travers de Tesla une véritable philosophie et une « lifestyle ». L’idée est de faire de Tesla un style de vie et un produit de luxe au service de l’écologie. Tesla se confirme aujourd’hui comme leader sur le marché émergent des véhicules électriques et autonomes avec un bénéfice de 369 millions de dollars sur l’année 2020 et près de près de 500.000 véhicules livrés en 2020.

Le « teslisme » : l’offre sur-mesure fait main basse sur les données

Forte de ses capitaux et de sa valorisation record en bourse de 608 milliards de dollars à Wall Street, Tesla développe, à l’instar de Ford ou Toyota, son propre écosystème de fonctionnement, le « teslisme », hybridation de l’industrie traditionnelle adaptée à l’univers numérique et annonciateur de la 4ème révolution industrielle. L’objectif est de créer une industrialisation du « sur-mesure » en se basant sur les demandes et les données clients récoltées. Comme une réponse à l’obsolescence programmée, Tesla propose des mises à jour logicielles à distance vers des versions supérieures, ajoutant ou retirant des fonctions suivant la législation en place. Cette stratégie, basée sur « le capital d’innovation » de la firme, apparait très efficace si on en croit le bilan annoncé par Tesla pour l’année 2020, ainsi que son investissement en R&D. Dans un secteur automobile hautement concurrentiel, la firme californienne vise à fidéliser durablement sa clientèle par un écosystème d’offres diverses, durables et connexes. Tesla, se plaçant en leader dans le marché de l’automobile électrique et dans celui des véhicules autonomes, convoite également le marché de l’énergie. En effet, l’entreprise jouit déjà d’une renommée internationale sur le plan de l’innovation automobile et dispose du plus grand réseau de recharge au monde. La firme d’Elon Musk cherche à dépasser le strict cadre de l’industrie automobile en investissant et en développant des technologies de pointe. Plus qu’un simple constructeur automobile, la firme s’impose en tant géant numérique et technologique.

Un nouveau paradigme : l’immersion du monde immatériel dans l’automobile

Les véhicules Tesla sont de véritables éponges à données propulsées par le Big Data et l’Intelligence Artificielle qui collectent et analysent constamment de la data.  C’est son investissement majeur en R&D au niveau software et technologies embarquéesd’un montant d’1,34 milliard de dollars en 2019 qui distingue Tesla de ses concurrents. Dans cette démarche stratégique, la firme va alors délaisser les aspects hardware des véhicules au profit de l’aspect software embarqué (Big Data et IA). Cette stratégie induit un changement de paradigme dans l’essence même de ce qu’est une voiture, son utilité et ses capacités. Pour récupérer les données, Tesla se base sur le « crowdsourcing », via les multiples senseurs et capteurs intégrés à ses véhicules autonomes qui permettent à ses véhicules de collecter toutes les données alentours. Elles seront ensuite collectées et analysées par l’Intelligence Artificielle, puis embarquées et stockées sur un système cloud. Cette technologisation intensive des véhicules Tesla entraîne donc des risques majeurs pour les utilisateurs et introduit de nouvelles problématiques dans le monde automobile. Les données contenues dans les véhicules sont exposées à des piratages et à des fuites comme tout objet connecté, comme en témoignent les multiples cyber attaques dont Tesla a été victime en plus des fuites de données perpétrés par ses propres employés. Comme pour tous les géants du numérique, ces données sont exposés à de nombreux risques liés au Big data. L’IA quant à elle, représente un risque à part entière car encore trop inconnue. Beaucoup d’éléments ne sont en effet pas maîtrisés, l’IA menaçant peut-être même de prendre le pas sur l’homme et de se retourner contre lui d’après les dires d’Elon Musk. Par sa proximité avec les Etats-Unis, Tesla jouit d’une certaine liberté quant au traitement et à l’exploitation des données utilisateurs, rentrant parfois en confrontation avec les règlementations locales, RGPD en tête.

Avec Tesla, le monde immatériel s’imbrique dans le monde de l’automobile et fait émerger avec lui de nouvelles problématiques de sécurité.  Par exemple, la norme internationale ISO 2626236 « Véhicules routiers – Sécurité fonctionnelle » introduit une notion de cybersécurité dans le secteur automobile avec l’importance croissante du Big Data dans ce domaine. Avec l’émergence des véhicules autonomes, de nouveaux risques de piratage et de possibles prises de contrôle apparaissent et pourraient avoir de lourdes conséquences sur la sûreté physique des utilisateurs. En plus du risque de subtilisation ou de détournement des données, il existe un véritable risque concernant la souveraineté des données des utilisateurs, notamment européens. Des données étant stockées sur le hardware des véhicules, plusieurs scandales ont émergé lors de la revente des véhicules et de pièces jetées par la firme sans avoir été réinitialisés, scandale ayant été pointé par le hacker GreenTheOnly.

Tesla, des ambitions de prédation internationale

Dans la guerre économique menée par les constructeurs des véhicules de demain, notamment dans le domaine des batteries au lithium, l’implantation de Tesla sur le marché chinois, indien et allemand n’est pas anodine. En effet, Tesla se veut être une firme globale et internationale, ayant pour mission autoproclamée d’amener et de rendre les véhicules électriques ainsi que la greentech accessible à tous. L’entreprise, qui ne cache aucunement ses ambitions internationales de prédation économique vers Europe et l’Asie favorise la construction au cœur même des marchés stratégiques plutôt que d’acheter ou de sous-traiter.

Pour exemple, une usine Tesla a ouvert à Shanghai, renforçant sa présence sur le premier marché automobile mondial. Cette implantation permet d’exporter à bas coût vers l’Europe tout en réduisant les coûts de fabrication et d’exportation. Des voitures Tesla devraient bientôt être expédiées de Shanghai vers le marché européen, proposant alors des véhicules plus abordables (la firme réduirait ses coûts de fabrication de Model 3 de 65%, selon la presse locale, et elle échapperait à la taxe à l’importation de 25%). Elle a aussi bénéficié des nouvelles règlementations permissives de la Chine pour les constructeurs de véhicules électriques, permettant ainsi de s’implanter en échange de savoir-faire technologique. En Europe, Elon Musk a choisi de placer sa nouvelle gigafactory à Berlin, provoquant un sursaut de panique chez les constructeurs automobiles allemands et redynamisant le marché automobile germanique. Tesla a annoncé son arrivée à l’aube 2021 en Inde, quatrième plus grand marché automobile mondial, après discussions avec le gouvernement qui projette de mener une politique en faveur des véhicules électriques pour 2030 dont Tesla va grandement bénéficier.

Etendre son offre et influencer par le lobbying : normer pour mieux régner.

En menant une stratégie d’expansion et de prédation internationale Tesla compte faire changer les normes et adapter les normes à son avantage. Cette politique représente un risque pour la souveraineté nationale car elle laisse une entreprise privée, américaine, dicter les lois. En étendant son offre et en s’implantant à l’international, le géant californien entend bien tirer parti des politiques de la greentech et des projets visant un objectif de 100% de véhicules électriques pour l’horizon 2030 dans divers pays. Devant la demande croissante et les législations naissantes sur les véhicules électriques, Tesla espère jouer de son influence et régner en maître sur l'automobile de demain en alliant véhicules de luxe, innovation de pointe et plus récemment une gamme de véhicules plus accessibles. Un véritable risque d’hégémonie se pose néanmoins et de domination de la part de Tesla sur le domaine des véhicules électriques et autonomes et plus largement sur la greentech et le secteur énergétique. L’Union Européenne présente régulièrement des projets pour favoriser les véhicules électriques, comme l’a annoncé la présidente Van der Leyen lors de son dernier discours à l’Union Européenne. En Grande-Bretagne, Boris Johnson porte son « Plan en dix points pour une Révolution Industrielle Verte pour 250.000 emplois » avec pour but la relance de l’économie par la greentech.

Outre Atlantique, « le président-élu Joe Biden veut promouvoir l’adoption rapide de greentech pour stimuler l’économie et stopper le changement climatique ». Il prévoit de créer 1 million d’emplois dans le secteur automobile afin que les Etats-Unis soient le leader mondial de la manufacture, de la vente et de la conception de véhicules. En Allemagne, Tesla a multiplié les actions de lobbying notamment auprès du gouvernement concernant les législations sur les véhicules semi-remorques, essayant ainsi de favoriser l’utilisation de véhicules Tesla.La firme américaine, avec d’autres acteurs du domaine, mène des campagnes de lobbying pour les futures législations concernant les véhicules autonomes. Cependant, il existe un risque hypothétique de corruption des élites législatives et d’hégémonie de Tesla qui pourrait s’implanter profondément dans les législations sur les véhicules autonomes et fermer le secteur à toute concurrence. Le risque serait que Tesla influence les législations à venir et les politiques sur les véhicules électriques et autonomes et les façonne dans son intérêt.

La guerre commerciale pour les composants stratégiques et le risque d’espionnage industriel

La gigafactory de Shanghai a notamment été construite afin d’éviter les retombées de la guerre commerciale Sino-Américaine lors de laquelle Tesla a eu des positions plus qu’ambiguës. Soutenant l’administration Trump un jour et embrassant la cause chinoise le lendemain, le géant automobile aurait été lourdement impacté par les mesures d’embargos et les frais d’import/export d’une telle politique de sanctions économiques vers la Chine. En Asie, Tesla est concurrencée par d’autres géants du numériques, notamment Huawei, qui concurrence l’entreprise directement sur ses actifs stratégiques, notamment sur les batteries au lithium par son association avec Contemporary Amperex Technology (CATL). La concurrence est néanmoins un jeu dangereux sur l’échiquier chinois et les risques d’espionnage industriels et de fuites de données sont bien présents. En témoigne le cas de piratage industriel perpétré en 2019 par un ingénieur de Tesla, Guangzhi Cao subtilisé le code source de l’autopilot de Tesla. Après avoir subtilisé plus de 300 000 fichiers concernant le code source de l’autopilote Tesla, encore en test, il rejoint la société chinoise Xiaopeng, notamment détenue par les géants Alibaba et Foxconn Technology et employant déjà cinq anciens salariés de Tesla.

 

Tesla mène donc à la fois une guerre économique et une guerre d’influence sur le secteur de l’automobile électrique et autonome induisant de nombreux risques pour l’utilisateur. La firme californienne, portée par l’ambition de son dirigeant, compte bien s’étendre à de nouveaux marchés, faisant parfois fi des législations locales. Elle agit comme une arme économique et d’influence aux mains des Etats-Unis, essayant de profiter des diverses failles dans les législations pour en tirer un avantage concurrentiel maximum mettant en péril la souveraineté des données utilisateurs et leur utilisation. Les enjeux liés au Big Data couplés à l’IA les confirment comme le nouveau carburant de la stratégie de technologisation automobile de Tesla. Leur utilisation n’est cependant pas sans risques et de nouvelles problématiques émergent : vol de données, cybersécurité, piratage des véhicules, recul de la vie privée etc… A l’instar de Tesla, de nouvelles firmes s’adonnent donc à concurrencer les constructeurs automobiles traditionnels qui ne comptent pour autant pas se retirer du marché, bien au contraire, mais revenir plus forts et plus innovants pour, eux aussi, contribuer  à façonner l’automobile de demain. En témoigne la fusion de Fiat et Chrysler dans le groupe Stellantis qui développe avec Total son projet « d’Airbus des batteries » et son implantation stratégique dans le domaine des véhicules électriques.

Julien Proto, Club Risques AEGE

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