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Blockchain et influence en Europe : quels sont les acteurs à l’œuvre ?

Le secteur de la blockchain est en pleine croissance : dans une tentative de capturer sa plus value, la France, l’Allemagne et les États-Unis mettent en place des stratégies d’influence au travers de puissants groupes de lobbying. Des acteurs publics et privés s’organisent également afin de faire pression sur les institutions européennes. En France, l’écosystème est concentré et fermé. L’Allemagne, plus décentralisée et perméable, subit l’influence des États-Unis.

La blockchain est une technologie qui permet la création de registres décentralisés et sécurisés. Elle a le potentiel de révolutionner de nombreux secteurs, notamment la finance, la gestion des données, ou encore la monnaie. Évalués à plus de 1 431 milliards de dollars d’ici 2030, les intérêts technologiques et économiques justifient largement les jeux de puissances en cours. Le premier pilier par lequel ces enjeux sont disputés est le droit qui représente un champ d’action de premier ordre.

Trois grands acteurs se distinguent en Europe : la France, l’Allemagne et les États-Unis. Chacun a adopté une stratégie différente : la France a choisi un modèle centralisé et hermétique, l’Allemagne adopte un modèle fédéral et décentralisé où les initiatives privées se multiplient et enfin, les États-Unis opèrent par procuration.

Lobby européen, une organisation multicouche

L’Union européenne mène divers projets de recherche autour des blockchains. Pour cela, elle fait appel à différents acteurs régionaux plus ou moins impliqués au sein de ses institutions. Concernant les CBDC (Central Bank Digital Currency), l’eurosystème, sous l’égide de l’Union européenne, a réuni plusieurs banques centrales nationales – comme la Banque de France – elles-mêmes en collaboration active avec des banques commerciales. Pour autant, ces acteurs s’organisent aussi, à leur compte et en collaboration active avec des acteurs privés et publics. C’est le cas de l’association des banques allemandes (Bundesverband deutscher Banken).

Autour de l’UE deux think tanks concentrent la quasi-totalité des associations et groupement des pays membres souhaitant participer aux travaux de recherches : la Digital Euro Association (DEA) et la Blockchain for Europe. Ces deux organismes réunissent des acteurs français, allemands, anglais, américains ainsi que de divers pays membres et extérieurs à l’UE. Ils se revendiquent comme étant indépendants, pro-Europe et pro-régulation. Bien que traitant de sujets différents (CBDC et blockchain), les deux organismes sont partenaires.

Crédits : Tom Charpentier

La France : un écosystème concentré et clos

L’écosystème français se fonde autour d’un acteur unique l’Association pour le développement des actifs numériques (ADAN) qui regroupe autour d’elle 181 entreprises françaises du secteur de la blockchain. L’ADAN suit un modèle centralisé traditionnel : elle est la principale porte d’entrée vers l’UE pour les entreprises françaises. Elle travaille principalement avec Blockchain for Europe et The European Crypto Initiative, un think tank régional franco-allemand. L’écosystème français est hermétique : peu de relations se développent avec d’autres acteurs européen et extra-européens. Un coup d’essai a pourtant été lancé avec l’Allemagne autour de l’European Crypto Initiative : son comité de direction est composé du directeur de l’ADAN et du fondateur de la Blockchain Bundesverband.

L’European Crypto Initiative collabore directement avec la Blockchain Bundesverband et l’European blockchain Association. D’autres acteurs tels que la Fédération Française des Professionnels de la Blockchain ou encore l’Alliance blockchain France agissent au niveau national. Les acteurs français coopèrent peu avec des structures étrangères : l’isolation de la France lui permet de se protéger d’une quelconque influence extérieure, en particulier venant des États-Unis, mais la prive de précieux soutiens. L’absence de groupes d’influence collaboratifs n’empêche cependant pas les initiatives privées telle que Ledger, travaillant avec les États-Unis, l’Allemagne, la Suisse, etc. Pour autant, peu d’entreprises françaises collaborent directement avec les instances et les think tanks européens.

L’Allemagne une posture proactive

L’écosystème allemand est le reflet de son organisation nationale. Suivant un modèle fédéral, les régions se regroupent en association comme la Blockchain Association Schleswig-Holstein, l’Hanseatic Blockchain Institute ou bien la Frankfurt School of Finance & Management Blockchain Center. Ces associations sont en relation directe avec les institutions et think tanks européens mais forment aussi des groupements nationaux. L’écosystème national allemand se compose de quatre principaux acteurs : le Bundesdruckerei Group (BDR) qui associe principalement des entreprises publiques, l’International Token Standardization Association (ITSA) qui se concentre sur la recherche normative, l’European Blockchain Association et la Blockchain Bundesverband qui représente l’équivalent de l’ADAN, mais qui regroupe moins d’acteurs.

La nébuleuse allemande profite donc d’une plus grande pluralité d’acteurs que la France et d’une toile de connexions plus épaisses. De plus, les interconnexions avec des acteurs de secteurs différents – tels que l’Interplanetary Database Foundation (IPDB) et la Coalition of Automated Legal Application (COALA) – viennent renforcer le déploiement allemand en matière de blockchain. Pour autant, cette ouverture sur l’extérieur comporte des risques : des puissances extérieures comme les États-Unis ou l’Arabie saoudite s’introduisent dans cet écosystème. Ainsi, l’organisation Caizcoin Islamic Blockchain, think thank saoudien, collabore directement avec trois des principaux lobbies allemands : l’ITSA, l’EBA et l’IPDB.

Les États-Unis : une influence par procuration

Les États-Unis ont également un rôle important dans la constitution et l’organisation des différentes forces européennes. Très proche de l’écosystème allemand, ils jouent un double jeu : d’abord en étant directement impliqués auprès de la DEA et de la Blockchain for Europe au travers du CBDC think tank, lui-même connecté au think tank 101 blockchain – dont la clientèle comprend : la FED, IBM, PWC, Goldman Sachs, SANOFI, JP Morgan, etc. – puis en collaboration avec l’écosystème allemand.

Cette collaboration se traduit par : des initiatives privées faisant directement partie de groupement régionaux (RMI, Blockchain solution, Hedera Hasgraph), des cabinets de conseil participant à l’organisation des groupements (O’Reilly, travaillant pour le groupement du Schleswig-Holstein), des think tanks américains ayant des filiales directement implantées en Allemagne (Blockchain Research Institute et sa filiale allemande), ainsi qu’au travers de l’ouverture de l’allemagne vers des groupement supra nationaux traitant plus largement des nouvelles technologies de communication, en particulier avec le groupe COALA

Une réglementation européenne nécessaire

La création d’une réglementation européenne est une nécessité afin de faire concurrence aux autres nations. La Corée du Sud, la Chine, les États-Unis ou encore le Japon ont lancé leur propre projet de régulation. Bien que les pays européens se fassent concurrence quant à l’orientation des législations et des normes produites, le dynamisme dans lequel s’inscrit les différents groupes d’influence est le signe d’un écosystème en bonne santé. La prise en compte des enjeux liés aux développement du marchés de la blockchain et des crypto-actifs  est une nécessité dont l’Europe a décidé de se saisir. Pour autant, la pression liée à l’apparition d’acteurs asiatiques (chinois, japonais et coréen) se fait de plus en plus forte. La forte croissance de leurs marchés leur permet de développer leurs services sur le territoire européen.

Tom Charpentier pour le club Club Data de l’AEGE

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