Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Nucléaire : le défi indien

Des pays émergents, et même de toutes les puissances mondiales, l’Inde est le pays qui connait la plus forte croissance démographique. Cette dernière, que l’on peut qualifier d’effrénée et, en tout cas de non-maitrisée, devrait l’amener à dépasser en population la Chine d’ici une quinzaine d’années.

Source en partie, de sa puissance, cette démographie pourrait aussi se trouver être son principal talon d’Achille ; majoritairement dans les domaines de l’alimentation et de l’énergie.
L’Inde se trouve en effet face à un véritable casse-tête énergétique devant résoudre une quadruple équation mettant en jeu la croissance démographique, l’évolution des niveaux de vie, la transformation de son économie et pour finir la limitation des émissions de carbone. Trois problèmes endogènes et un exogène dont la solution pourrait bien être le nucléaire et ce malgré la levée de boucliers suscitée par cette énergie après la catastrophe de Fukushima.

La relation entre l’Inde et l’énergie nucléaire est très particulière, à la fois ancienne et récente. L’attitude indienne envers le TNP a été le point de bascule du pays dans les années 70, amenant à un embargo sur la fourniture de matériels et de services au premier pays qui avait défié l’ordre imposé par les cinq puissances nucléaires historiques (USA, URSS, France, Royaume-Uni et Chine). Ainsi, alors même qu’un programme nucléaire civil avait été entrepris au début des années 60, avec la coopération des USA, l’Inde est restée pendant 30 ans au ban du monde nucléaire, même si l’URSS puis la Russie ont tout fait pour contourner cet embargo. Comme souvent c’est la volonté des USA qui mit fin à cette période sombre du nucléaire indien avec l’accord américano-indien de 2005 qui ouvrit la voie à la levée totale de l’embargo en 2008.

La situation en 2008 était donc la suivante : un pays en forte croissance économique et démographique disposant pour sa production d’énergie d’à peine 5 GW provenant du nucléaire pour une génération électrique en 2007 de 17 TWh nucléaires sur un total de 792 TWh, soit à peine plus de 2%, contre 68% issus du charbon (1). Le profil énergétique de l’Inde apparait donc à l’heure actuelle extrêmement dépendant des énergies fossiles fortement polluantes. Il n’est donc pas étonnant d’avoir vu l’Inde arriver en décembre 2009 à la conférence COP 15 de Copenhague avec des propositions particulièrement faibles : réduction de 15% de l’intensité énergétique (2), soit une proposition inférieure à celle de la Chine qui offrait 20%. Cette position se comprend d’autant mieux lorsqu’on sait que la production d’énergie est en Inde le principal poste d’émissions carbone avec plus de 56% du total, loin devant les transports.

La situation indienne est ainsi marquée par l’urgence. Elle ne peut, contrairement à l’Europe, compter sur une amélioration de son efficacité énergétique, via l’implantation de smart grids notamment, et doit absolument trouver une voie originale pour satisfaire tant l’accroissement de sa demande que la qualité de sa production énergétique. La demande indienne, de 595 Mtoe en 2007 devrait atteindre en 2030 entre 1100 et 1300 Mtoe soit un doublement de la demande d’ici 20 ans. En outre la qualité de cette demande se modifie elle aussi avec 0,5 toe par tête en 2007 et 0,9 prévus en 2030, notamment à cause de la transformation du mode de vie induit par la croissance économique.

Les renouvelables ne sont pas viables économiquement pour le moment et la modification du mix énergétique vers le gaz entrainerait trop de complexités géoéconomiques (choix d’un opérateur, choix des sources d’approvisionnement, gazoducs vs. GNL…) pour s’opérer rapidement. Le nucléaire est donc un choix par défaut et, dans cette perspective, le développement des capacités du pays vont en faire un véritable champ de bataille géoéconomique pour toutes les constructeurs de centrales. Déjà en relation économique avec les USA et la Russie, l’Inde pourrait également, tout comme la Chine, faire appel aux constructeurs européens tant sa demande est importante. D’une capacité installée d’une dizaine de GW, on devrait arriver vers 35-40 GW installés en 2030 – voire 63 selon certaines prévisions -, certes bien loin des 130 GW prévus pour la Chine mais avec une croissance de plus de 600% sur 20 ans.

Dans cette perspective l’annonce de la découverte de nouvelles réserves d’uranium sur le sol indien a de quoi réjouir un gouvernement à qui la dépendance énergétique fait très peur. La mine de Tumalapalli devrait ainsi fournir plus de 150 000 tonnes de combustible nucléaire en faisant la première mine devant l’Olympic Dam australienne.Toutefois ce combustible s’avérerait être d’une qualité inférieure à l’uranium australien ou kazakh. La dépendance indienne à l’uranium serait certes moins géoéconomiquement complexe qu’une dépendance au gaz ou au pétrole mais rend quand même fragile la puissance indienne. Contrairement à la Chine qui attend patiemment le développement de réacteurs de IVe génération pour exploiter ses réserves de thorium, l’Inde ne disposerait, outre la mine suscitée, que de peu de réserves, de quoi renforcer encore le ou les opérateurs choisis qui devront aussi fournir le combustible. Dans cette perspective, la participation de l’Inde dans ITER à hauteur de 10% prend tout son sens.

Toutefois c’est dans ce climat positif que l’on a également appris que l’EPR de Flamanville, fleuron technologique français du nucléaire allait accuser deux nouvelles années de retard. EDF se trouve ainsi plombé par les nombreux problèmes sociaux sur le chantier normand, avec comme dernier avatar la rupture de contrat entre Bouygues et l’un de ses principaux sous-traitants. Le coût du projet explose pour des raisons le plus souvent non-liées à sa technologie, mais il est évident que l’image du secteur nucléaire français pâtit très fortement des retards tant en Normandie qu’en Finlande. Toutefois, même avec les retards et les coûts supplémentaires engendrés, l’EPR bénéficie d’un atout maître : sa sécurité renforcée. Ce sera l’argument que les autorités françaises devront pousser si elles veulent se tailler une part du gâteau énergétique indien.

(1) source IEA.
(2) intensité énergétique : % des émissions de CO2 en fonction de la croissance.