Organisé le 12 septembre dernier, en partenariat avec le Portail de l’IE et en présence de Claude Revel, Déléguée Interministérielle à l’Intelligence économique, ce séminaire avait pour objectif de dresser le bilan des 30 dernières années de l’Intelligence Economique et Stratégique (IES) en entreprise et d’entrevoir les évolutions de cette discipline.
En préambule, Michel Scheller, Président de 3AF et Bernard Guillot, Président de la CIpE ont rappelé l’histoire, la composition et la nature des travaux effectués au sein de la Commission. En 30 ans, la CIpE est devenue un réseau « robuste » d’une centaine de membres chargés d’IES au sein de leur entreprise (76%) ou d’institution (24%) dont 47% des membres sont actuellement des femmes. Ils se réunissent une journée tous les trois mois dans le but d’échanger sur leurs pratiques respectives de l’Intelligence économique et évoquer les succès ou échecs rencontrés afin d’enrichir les membres du réseau.
Bernard Guillot, Président de la CIpE
Quatre intervenants se sont ensuite succédés avant l’intervention de Claude Revel devant une assemblée de plus de 150 personnes.
Le panel d’orateurs
Christophe Binot, Responsable de la Gouvernance de l’Information pour TOTAL, porte tout d’abord son analyse sur l’évolution d’internet depuis 20 ans et les conséquences induites dans l’activité d’Intelligence économique pour les entreprises. Selon lui, l’Internet technique et institutionnel dont les acteurs étaient essentiellement des professionnels a fait place à un Internet social avec l’individu au centre du dispositif. De plus, les professionnels de l’IE qui devaient se procurer une information rare et payante doivent désormais faire face à une quantité d’informations considérable allant jusqu’à l’infobésité. Il préconise dès lors à une véritable gouvernance de l’information au sein des entreprises avec la structuration des processus d’acquisition, de diffusion et de stockage. Selon lui, les salariés doivent être associés à cette politique afin de maîtriser l’information entrante et sortante de l’entreprise pour éviter la survenance de crises potentiellement considérables pour l’ensemble de l’organisation.
Thierry Hurtes, P-DG de SMA Groupe Safran, évoque ensuite les tendances et facteurs clés de l’IE dans l’avenir au sein des entreprises. Face à la globalisation et l’essor des complexités, l’IE doit selon lui devenir un mode d’organisation au cœur de la gouvernance des entreprises avec l’élaboration en interne d’un plan ou charte de l’IE au même titre que les plans « qualité globale ». Par ailleurs, dans un environnement normatif de plus en plus contraignant et le développement du principe d’ « entreprise citoyenne », les entreprises devront être prêtes à afficher leurs bonnes pratiques en IE. De plus, la diffusion interne de l’expertise IE, à travers la formation des salariés, permettra de favoriser la circulation de l’information et ainsi valoriser le travail de chacun dans l’entreprise. Il préconise également la valorisation interne du travail d’analyse et l’étude des cycles longs afin de briser le « diktat de l’immédiateté » et de l’infobésité. Pour finir, il plaide en faveur d’une véritable « IE intégrée » au plan opérationnel de l’entreprise.
Gilbert Font, Directeur du Développement des Talents de Safran, traite ensuite de la formation en IE et des évolutions nécessaires dans le domaine. Au préalable, il énonce un constat très encourageant selon lequel la formation en IE est un point fort de l’expérience française de la discipline et une référence au plan international. Pour lui, la formation en IE est forcément interdisciplinaire mais seules survivront les formations offrant une approche claire des interactions entre chacune des disciplines. Une bonne formation doit permettre l’acquisition d’une parfaite maîtrise des outils et des concepts de l’IE mais également une grande capacité à réagir face au changement. Il est nécessaire d’apprendre aux futurs praticiens de l’IE à sortir des « zones de confort » traditionnelles. La pratique du réseau et de l’influence devrait également acquérir une importance accrue au sein des cursus. Cependant, la formation IE doit être selon lui complémentaire d’une expérience professionnelle ou d’une formation de base préalable. De plus, il envisage un allongement de la durée des formations en IE pour un meilleur approfondissement de la discipline. Enfin, il exhorte les professionnels de l’IE à s’ouvrir au monde universitaire et à témoigner de leur expérience au sein des différentes formations.
Hugues de Jouvenel, P-DG de Futuribles International, intervient pour rappeler le rôle fondamental de la veille et de la prospective pour les entreprises et les écueils à éviter dans ces domaines. La fonction de veille dans une entreprise consiste selon lui à essayer de se représenter le présent, l’état du monde contemporain en analysant et distinguant les éléments conjoncturels des tendances lourdes. C’est la « vigie du navire ». Il convient cependant d’éviter une mauvaise estimation des facteurs d’inertie dans le temps, de rechercher la confirmation de présupposés ou concepts préalables erronés et d’être influencé par des données chiffrées souvent trompeuses. La fonction de prospective s’apparente elle à l’exploration des futurs possibles avec la mise en évidence des enjeux à moyen – long terme pour l’entreprise et le dégagement d’objectifs ou d’une stratégie à développer en conséquence. L’entreprise doit être « l’artisan d’un futur à construire ». Pour ce faire, la fédération en interne des collaborateurs et l’alliance avec d’autres entreprises seront fondamentales.
Claude Revel, Déléguée Interministérielle à l’Intelligence Économique, vient enfin clore le séminaire.
Elle constate tout d’abord que « l’IE a fait des progrès ». En effet, la discipline n’est plus réduite à la fonction de veille mais également à celle d’analyse et d’action. L’IE n’est également plus cantonnée à la sécurité pure mais au traitement de la complexité. La Déléguée Interministérielle constate par ailleurs l’impact fondamental du numérique dans la diffusion de l’information et le rôle des outils de veille dans l’IE. Cependant, elle rappelle la nécessité d’une analyse humaine des données. « L’IE est avant tout une approche humaine », « une approche managériale dans son application » dont les RH occupent un rôle fondamental avec l’établissement de pratiques collectives, l’utilisation de réseau d’information et de connaissances.
Elle poursuit par la description des ses missions dans le cadre du décret du 21 août dernier, soit une mission d’anticipation et d’alerte, de sécurisation (notamment vis-à-vis des investissements étrangers en France), d’influence et de sensibilisation. Elle se réjouit de pouvoir désormais mobiliser des correspondants à l’étranger au sein des ambassades mais également sur le territoire national dans les régions.
Claude Revel, Déléguée Interministérielle à l’IE
Au cours des échanges avec la salle, elle indique son souhait de reprendre le référentiel de formation en IE, expérimenté en 2011, pour qu’il soit plus clair. Avec l’autonomie des universités, elle indique également la nécessité de convaincre les établissements un à un afin qu’ils introduisent des heures de formation en IE dans les cursus.
La Déléguée Interministérielle s’est aussi dite prête à engager l’élaboration d’une liste de cas représentant des « succès » en matière de pratique de l’IE. Elle compte dès lors sur la participation et la collaboration des entreprises dans ce retour d’expérience.
Enfin, à une question de Philippe Clerc, Conseiller Expert intelligence économique internationale à CCI France, relative à l’empilement des secteurs stratégiques en France, elle lance l’idée d’une liste plus précise et pertinente d’entreprises ou d’organisations stratégiques à l’échelle régionale.
Plus de 150 personnes ont participé au séminaire
En conclusion, deux points majeurs ressortent des différentes interventions. D’une part le rôle prépondérant du facteur humain et relationnel dans l’exercice de l’IES avec le tri et l’analyse de l’information mais également l’implication nécessaire des salariés et collaborateurs des entreprises. Bernard Guillot ajoute le travail de persuasion des dirigeants d'entreprise pour une plus grande valorisation interne du résultat des analyses. D’autre part, le facteur temps apparaît fondamental. Il est en effet nécessaire de travailler sur le long terme tant dans le travail d’analyse, de prospective et d’influence que dans l’élaboration de réseaux relationnels d’informations à forte valeur ajoutée. Ce dernier facteur milite pour la stabilité des directions en charge de l’Intelligence économique, trop souvent variable d’ajustement au sein des entreprises selon Bernard Guillot.
Le prochain grand forum IES2014 de la CIpE se tiendra à Troyes en septembre 2014.