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La bataille de la grande distribution au Brésil

La population brésilienne est de plus en plus nombreuse et la demande de biens de grande consommation est en constante accélération. Cela fait du Brésil le pays le plus attractif depuis 2 ans pour la grande distribution, ce qui est renforcé par des prévisions de croissance très positives (3,3% en 2013). Le Brésil est devenu le troisième marché mondial pour la distribution alimentaire, et donc le terrain d’âpres affrontements économiques.

Le mois de septembre a vu accéder Roberto Azevêdo, négociateur brésilien pendant le cycle de Doha, au poste de Directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), confirmant le poids que prend cette nation émergée dans les échanges internationaux.

C’est un marché à haute portée stratégique, dont les enjeux sont d’autant plus lourds que les chiffres d’affaires des chaînes de distribution du "vieux continent" ont tendance à recule, avec par exemple la baisse des ventes de Carrefour de 3,2% en 2012 en Europe. C’est grâce à l’Amérique Latine et surtout au Brésil que les distributeurs sont dans le positif.

Ce marché spécifique est composé d’un panel d’acteurs internationaux ayant investi sur le territoire brésilien entre les années 1970 et 1990, grâce à l’indexation du Real sur le dollar US et à la baisse de l’inflation qui s’est ensuivie.

L’enseigne française Casino a récemment pris le contrôle du distributeur le plus important du pays, la Companhia Brasileira de Distribuição (CBD) ou Grupo Pão-de-Açúcar (GPA depuis le 11 septembre 2013). Jean-Charles Naouri en est devenu le président et l’actionnaire majoritaire, ayant écarté Abilio Diniz, qui était en parallèle président non-exécutif du conseil d’administration de Brazil Foods, fournisseur principal de CBD. Le conflit d’intérêt et le risque de transmission de données stratégiques du groupe ont été pointés du doigt par Casino, d’autant que monsieur Diniz souhaitait fusionner GPA et Carrefour Brésil pour donner naissance à un géant de la distribution brésilienne, ce qui n’était pas pour plaire au groupe français…

Ce dernier projet de rapprochement envisagé par l’ancien président a, en outre, été enterré par la Banque Nationale Brésilienne de Développement (BNDES) et les autorités nationales. La Présidente du Brésil, Dilma Roussef, a en effet retiré son soutien de 2 milliards d’euros au projet de fusion, en contrepartie de laquelle l’Etat aurait pu devenir actionnaire, vraisemblablement poussée par une campagne d’influence du groupe Casino dénonçant une "expropriation", et par crainte d’être taxé d’interventionnisme dans un conflit privé.

Depuis 2010, le CEO de GPA, Eneas Pestana, qui a fait une partie de sa carrière chez Carrefour, a diversifié les activités du groupe grâce à une politique d’acquisition : la vente en gros avec le réseau Assaí, Ponto Frio et Nova Casas Bahia, deux enseignes non alimentaires, les petites surfaces Extra et Extra Fácil et la vente sur internet, avec Nova Pontocom, site grâce auquel le groupe est devenu le deuxième distributeur du Brésil sur le Net. L’objectif est clair, Casino veut devenir leader de l'e-commerce dans le pays. Il suit une stratégie d’intégration totale et est même considéré comme "une entreprise brésilienne au Brésil" grâce à sa politique d’acquisition d’enseignes locales.

Le réseau de Carrefour est un autre des principaux acteurs du paysage de la distribution brésilienne, avec les formats Carrefour Hyper, Carrefour Bairro (acquis en 2007), Carrefour.com.br et Atacadão. Après l’échec du rapprochement avec CBD en 2011, la société semble aujourd’hui étudier l’entrée en bourse de ses actifs brésiliens, rumeur qui parait confirmée par le déplacement de George Plassat, PDG de Carrefour, en octobre 2013 au Brésil.

Si on s’étonne de cette intense "compétition" (osera-t-on dire "guerre" ?) entre ces deux distributeurs français, il suffit de remonter en 1997, à l’époque où George Plassat, alors président du directoire au sein du groupe Casino, a été démis de ses fonctions par le conseil de surveillance du groupe. Il avait alors exprimé son point de vue sur la stratégie de l’entreprise dans les médias, orientation habituellement donnée par l’actionnaire majoritaire qui ne saurait être autre que… Jean-Charles Naouri.

L’enseigne Makro appartenant au groupe hollandais Steenkolen Handels-Vereeniging (SHV) possède quant à elle 77 magasins au Brésil, ce qui peut paraitre faible comparé aux géants de la distribution qui noyautent le marché brésilien, mais l’entreprise s’est développée sur un concept légèrement différent, offrant aux petites et moyennes entreprises, majoritairement dans les pays émergents, des produits à bas prix et des services novateurs tels que des formations à la gestion d’entreprise ou des ateliers de cuisine.

Bien que l’Union Européenne soit le principal partenaire commercial du Brésil concernant les importations et les exportations, le leader mondial de la distribution ne pouvait pas passer à côté de ce marché en pleine expansion.

L’américain Wal-mart a commencé son implantation par des investissements massifs à partir de 1994, grâce à un partenariat avec la chaine brésilienne Lojas Americanas. Elle présentait alors une offre extrêmement variée de produits indisponibles au Brésil, mais sans chercher à s’adapter à la culture locale, ce qui lui a valu quelques déboires. L’entreprise a ensuite suivi le processus classique du rachat d’enseignes locales et s’est tournée vers Bompreço et les actifs du groupe portugais Sonae en 2005. Wal-mart dispose aujourd’hui de 567 magasins et affiche son ambition de devenir le principal distributeur du Brésil, ambition pour laquelle il se livre à un duel contre le groupe Casino, confortée par une rumeur en 2011, démentie depuis, qui annonçait le rachat de  la filiale brésilienne de Carrefour par le distributeur américain.

A l’origine brésilienne, la chaine G.Barbosa, spécialisée sur les produits à bas prix et implantée dans les grandes villes de l’Est est contrôlée depuis 2007 par Cencosud détaillant chilien spécialisé dans les grands magasins et les centres commerciaux qui possède 360 unités. Elle a été soutenue par la BNDES, grâce à un plan d’aide à l’expansion de 193 400 000 USD en 2008 (18 nouveaux magasins, modernisation, agrandissement…).

Les groupes de grande distribution sont donc fortement implantés en territoire brésilien grâce au rachat d’enseignes locales multi-formats présentant des systèmes de distribution diversifiés ou à une croissance interne. Certains tentent en plus de se diversifier. Les politiques commerciales pratiquées paraissent relativement semblables, provoquant une "guerre des prix" et le développement de politiques de fidélisation, notamment par le biais d’évènements. (Festival du bébé, marathon…).

Par ailleurs, dans le cadre de son "Plan Grand Brésil", politique gouvernementale initialement destinée à promouvoir l’industrie nationale, le Brésil organisait les 12 et 13 novembre 2013 le Simbracs. Il a pour mission de "diffuser des informations pertinentes pour la compétitivité et la productivité des entreprises opérant dans les secteurs du commerce et des services au Brésil." Cet évènement lui permet de faire entrer le secteur du commerce dans les préoccupations principales de développement à long terme du pays, en décelant les grandes tendances de l’évolution du commerce pour orienter les politiques publiques.
Bien que le secteur des services soit relativement ouvert à l’investissement étranger, le Brésil présente deux inconvénients de taille qui pèsent, entre autre, sur la grande distribution. Les infrastructures, notamment portuaires, sont insuffisantes ou obsolètes et les droits de douane sont élevés, ce qui pourrait être néfaste aux importations brésiliennes et aux prix de vente finaux.

Cependant, l’Association Brésilienne des Supermarchés (ABRAS) chargée de représenter les intérêts de la grande distribution et de regrouper les autorités et les représentants des grandes enseignes du Brésil pour "évoquer les questions nationales et internationales qui influent sur leurs activités", vise un objectif d’accroissement de compétitivité. C’est dans le cadre de son 47eme congrès qu’Humberto Ribeiro, secrétaire au Ministère du Commerce et des Services, a plaidé pour la rénovation des infrastructures de transport et la baisse des taxes brésiliennes.

Inès de Lorgeril