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Les innovations « disruptives » dans le secteur de l’automobile

Une voiture grand public actuelle renferme plus de lignes de code qu’un Airbus de première génération. Ce constat suffit à mesurer à quel point l’électronique embarquée a pris de l’ampleur dans la conception d’une voiture, ainsi qu’une part croissante dans la valeur totale du véhicule. Petit tour d’horizon des innovations que le logiciel apporte dans la voiture.

Le secteur automobile est une industrie représentant environ 1000 milliards de dollars de ventes par an, dominée par 14 grands groupes équipementiers chacun possédant plusieurs marques. Il s’agit de General Motors (États-Unis), PSA (France), Honda (Japon), Tata (Inde), Renault (France), Nissan (Japon), Fiat Chrysler Automobiles (Pays-Bas), Daimler AG (Allemagne), Ford (États-Unis), BMW Group (Allemagne), Toyota (Japon), Hyundai (Corée du Sud), Volkswagen (Allemagne), et Geely (Chine).

Au fil des années, les équipementiers sont passés d’un modèle d’entreprise intégrée verticalement, et contrôlant la chaîne de valeur du début à la fin, à celui d’intégrateurs de composants manufacturés par d’autres entreprises organisées de façon hiérarchiques, composants ensuite assemblés dans des « plateformes » (les voitures) que l’entreprise-mère dessine, définit, et possède. Or la valeur de ces plateformes se trouve de plus en plus dans le « software » plutôt que dans le hardware, c’est-à-dire plus dans les logiciels embarqués propriétaires que dans les matériaux physiques (carrosserie, moteur …). Selon un rapport publié par le Centre de recherche automobile, l’industrie automobile dépense 100 milliards de dollars par an en recherche et développement, ce qui revient à 1200 dollars par véhicule. Pourtant, la majeure partie de cet argent est dépensé dans les innovations relatifs au « hardware » et tous les éléments qui contrôlent la voiture, la rendent plus sûre, plus efficace etc.

Le danger est que cette dynamique amène rapidement les fabricants automobiles à devenir eux-mêmes des fournisseurs de hardware s’ils se font devancer dans la course au monopole sur le segment des logiciels embarqués, et s’ils ne parviennent pas à imposer leur propre solution propriétaire. C’est celui qui concevra l’élément central de la voiture et de l’expérience utilisateur qu’est le logiciel embarqué, qui captera la majeure partie de la chaîne de valeur, traitant les autres acteurs comme des fournisseurs de matériels servant de support à des expériences fondées sur les applications logicielles. C’est pourquoi le logiciel est en train de devenir l’élément primordial de conquête du marché automobile, et l’on estime qu’il représente déjà plus de 40% de la valeur ajoutée d’une voiture en 2015.

Les entreprises au cœur de la disruption automobile

Les innovations les plus prometteuses viennent ainsi du monde du logiciel, de l’internet et du big data, au sein d’entreprises qui se trouvent en dehors de l’écosystème traditionnel de l’industrie automobile. La plupart de ces entreprises sont des start-ups ou entreprises intermédiaires financées par du capital-risque et basées dans la Silicon Valley. Ces entreprises innovantes ont un accès abondant à du capital public et privé, comme l’ont récemment démontré les levées de fond impressionnantes de Tesla ou Uber. De plus, des compagnies comme Google ou Apple peuvent utiliser leur capitalisation élevée sur les marchés financiers pour financier leurs objectifs automobiles. Passons-en 5 en revue :

Tesla : la voiture connectée et électrique

Les innovations apportées par le constructeur de voitures électriques Tesla ne se cantonne pas seulement au perfectionnement du moteur électrique et à ses composants (batteries, stations de chargement, processus de fabrication …). En effet, la compagnie a innové dans son modèle de vente et de service (vente directe sur Internet, pas de concessionnaire), son expérience utilisateur personnalisé en dehors et au sein du véhicule, et ses mises à jour logicielles automatiques. Tesla va également mettre sur le marché cet été une voiture disposant de certains degrés d’autonomie / conduite automatique. La majeure partie de ces innovations sont menées par du logiciel et de l’analyse big data. À tel point que Tesla est aujourd’hui autant comme une compagnie vendant du logiciel et du big data que comme un constructeur automobile classique. Par exemple, les technologies de télémétrie du véhicule, en produisant une grande quantité d’informations produites par la voiture et en les transmettant en direct, permet d’analyser les régularités de circulation d’une flotte entière de voitures Tesla (ce qui en retour peut être utilisé pour améliorer les capacités, comme la durée de vie de la batterie), mais permet aussi de détecter les incidents, les besoins de maintenance du véhicule, retrouver des voitures perdues ou volées etc. 

Zipcar : le covoiturage

 

Zipcar est le Blablacar américain. Cette plateforme de covoiturage et d’autopartage, rachetée par Avis, propose des services très avancés grâce à de l’analyse de données. La firme utilise maintenant les données collectées au profit d’Avis, qui est une entreprise traditionnelle de location de véhicules, pour avoir un réseau de location mieux distribué sur le territoire en identifiant de nouveaux lieux pour disposer des voitures et pour mieux gérer les équilibres géographiques de sa flotte, dans la mesure où plus de 12% des locations de véhicule sont en trajet unique avec un dépôt de la voiture à un lieu différent de la location. 

Google : la voiture automatique

 

La très médiatique « Google Car » à conduite automatique est bien sûr susceptible de fournir un modèle pour les plateformes logicielles embarquées de demain, prenant en charge le contrôle tout entier du véhicule ainsi que la conduite elle-même. On peut imaginer un futur au sein duquel les équipementiers automobiles pourraient fabriquer des véhicules, c’est-à-dire la « plateforme hardware », qui viendraient fonctionner autour la plateforme logicielle de Google. Cela ressemblerait à l’approche que Google a choisi sur le secteur des smartphones, proposant un système d’exploitation gratuit pour les fabricants de téléphones, pour qu’ils construisent des appareils autour d’Android. Comme avec Android, Google est susceptible dans un tel scénario d’exiger de posséder les données générées par le logiciel embarqué de la voiture, afin de les monétiser grâce à de la publicité data-driven. Enfin, Google pourrait aussi développer à terme un réseau de transport constitué par un grand nombre de voitures automatiques. Grâce à l’analyse du big data généré par le réseau, Google pourrait développer des applications proposant une tarification dynamique et évolutive des courses pour les clients, optimiser le nombre de véhicules nécessaires pour servir une population donnée sur un secteur donné, entre autres applications. 

Uber : la voiture à la demande

 

Uber est un hybride de Zipcar (avec la formule Uber Pop) et, de plus en plus, de Google. En plus de son business model, les innovations de Uber incluent également son application mobile qui permet de présenter au client les informations de trajet et d’horaires, de noter les conducteurs et donner des points de réputation, et qui permet une évolution dynamique de la tarification des courses. Plus récemment, la firme a commencé à travailler sur une voiture autonome, et continue sa rapide expansion mondiale afin de poser des barrières à l’entrée et d’être le premier à arriver sur ce nouveau marché. Après avoir disrupté le marché du taxi et de la limousine, le modèle d’Uber est désormais en train de s’attaquer à la chaine de valeur du secteur automobile, ainsi qu’à l’industrie de la livraison sur demande.

Apple : CarPlay

 

Apple pourrait émerger comme un cinquième acteur de l’innovation automobile. Apple a une culture poussée de l’expérience utilisateur et pourrait révolutionner l’expérience automobile comme elle a révolutionné le secteur de la téléphonie mobile. La firme possède déjà un réseau mondial de stores et pourrait proposer des voitures directement aux consommateurs sans avoir recours à un réseau de concessionnaires agréés. Ainsi, Apple est en phase de préparation de CarPlay, anciennement appelé iOS in the Car, première étape pour que iOS devienne le système d’exploitation embarqué d’une voiture. On peut d’ores et déjà voire la pertinence de fonctions comme la commande vocale de Siri pendant la conduite. Le service permet d’avoir accès à diverses fonctions de son téléphone depuis l’écran de contrôle de la voiture, proposerait pour l’instant des fonctions basiques : contrôle de la musique, contrôle et réponse aux messages, conversation téléphonique, navigation GPS. CarPlay est similaire à Android Auto, logiciel de voiture permettant également à un téléphone tournant sous Android de contrôler le tableau de bord de sa voiture ainsi que le système de navigation. 

Quatre tendances de fond orientent ces entreprises :  

  1. Acheter et posséder une voiture est de moins en moins recherché par les consommateurs. Les urbains s’éloignent de plus en plus de l’idée de posséder une voiture, et désirent seulement un accès à une voiture. C’est la « servicisation » de l’économie, anglicisme aujourd’hui traduit en français par économie de fonctionnalité. À cet égard, la vision de Google d’un système de transport urbain constitué par un réseau de voitures automatiques correspond bien à cette évolution. La voiture est de plus en plus perçu comme un moyen parmi d’autres qui peut nous permettre de nous mouvoir dans nos déplacements quotidiens, plutôt que quelque chose qui nous définit et forme notre identité sociale et culturelle. Assurance, prix de l’essence, prix du parking, embouteillages, contrôles techniques : les inconvénients associés à la possession d’une voiture sont de plus en plus décriés. Entreprises concernées : Zipcar, Uber, et Google.
  2. La voiture de demain sera à propulsion électrique, connectée à Internet, et à conduite automatique. Une telle voiture est une plateforme logicielle sur roues, produisant et consommant en masse de la donnée informatique. Cette entrée du logiciel dans la voiture va créer un nouvel écosystème d’entreprises au sein de la filière automobile, et une nouvelle chaîne de valeur. Elle va également nécessiter la formulation de nouvelles règles de sécurité routières, d’assurance, ainsi que de lois concernant la protection des données et la vie privée. Entreprises concernées : Tesla, Google et Uber.
  3. L’utilisation du logiciel, d’internet, et de l’analyse big data permet de nouvelles expériences utilisateur à bord du véhicule. Les voitures consomment et génèrent des données massives. Ce « big data » est généré par la voiture autant que par des services liés pa la voiture (ventes, maintenance, surveillance des routes, assurance …), et peut être analysé pour comprendre les habitudes du consommateur, le comportement du véhicule ou du trafic, pour fournir une expérience conducteur personnalisée, optimiser un modèle économique et la rentabilité de chaque véhicule etc. Entreprises concernées : Tesla, Zipcar, Google et Uber.
  4. L’utilisation d’Internet supprime les intermédiaires (concessionnaires, agents de locations, réseaux de taxis / limousines), et par là-même améliore l’expérience utilisateur. Entreprises concernées : Tesla, Zipcar, et Uber. 

En conclusion, il convient de souligner l’enjeu de la sécurité des systèmes d’information, car plus une voiture est connectée, plus la surface d’attaque pour un hacker est grande. Récemment publiée, la norme internationale ISO 26262 intitulée « Véhicules routiers – Sécurité fonctionnelle » a marqué le début d’un long chantier de cybersécurité. En août dernier lors de la conférence DefCon à Las Vegas, un collectif international a ainsi exhorté l’industrie automobile à mieux sécuriser leurs systèmes embarqués. Le groupe, qui signe son message par « I Am The Cavalry« , réunit des chercheurs préoccupés par la porosité des réseaux automobiles internes, qui pourrait exposer ces véhicules au piratage à distance et mettre les conducteurs en danger.  « Les réseaux informatiques embarqués devraient utiliser des mécanismes d’isolement et de segmentation pour faire en sorte que les systèmes non critiques ne puissent pas influencer la performance des systèmes critiques », écrit le groupe. « Les constructeurs automobiles devraient également être capables de déployer facilement les mises à jour de sécurité pour leurs systèmes informatiques sans avoir à rappeler les véhicules », préconise encore le collectif dans sa lettre ouverte.

Pour aller plus loin : la série d’articles « Drive », du magazine ReadWrite, traite des innovations technologiques dans le monde du transport en général.