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Les réseaux électriques intelligents : avenir de la politique énergétique française ?

Les objectifs ambitieux fixés à la France par la loi sur la transition énergétique prévoient une augmentation substantielle de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie pour arriver à 32% en 2030. Couplé au développement des technologies numériques, le développement des réseaux électriques intelligents constitue un véritable enjeu quant à l’avenir de la politique énergétique française.

Quel rôle pour les réseaux électriques intelligents ?

Pour rappel, d’après la commission de régulation de l’énergie, les « réseaux électriques intelligents sont aussi appelés Smart grids. Ce sont les réseaux électriques publics auxquels sont ajoutés des fonctionnalités issues des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Le but est d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité à tout instant et de fournir un approvisionnement sûr, durable et compétitif aux consommateurs ».

La transition énergétique se traduit par un accroissement durable de la production d’électricité d’origine renouvelable en France, en particulier de l’éolien et du solaire. Les objectifs sont très ambitieux et semblent compliqués à atteindre sur le long terme étant donné la difficulté de valider la Programmation Pluriannuelle de l’énergie. Malgré l’existence de cette problématique, l’augmentation quasi-constante des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique français et le développement continu des nouvelles technologies de l’information et de la communication, pour lesquelles la France dispose de compétences non négligeables et auxquelles l’intelligence économique apporte une expertise, favorisent le développement des réseaux électriques intelligents sur le territoire Français.

Qui plus est, le développement des ventes de voitures électriques, de l’ordre de 1% en France en 2014, progressera dans l’avenir. Il posera la problématique du rechargement des véhicules, à domicile ou bien dans des stations dédiées (pour laquelle des expérimentations fructueuses sont menées), participant elle-même d’une problématique plus grande : l’accroissement de la demande d’électricité, le transport et la distribution de celle-ci en tenant compte des limites des réseaux existants et de la capacité des smart grids à réguler la demande et à optimiser l’offre.

De surcroît, ils devront permettre le bon fonctionnement de petites unités de productions décentralisés telles que les maisons et les fermes, les unités moyennes de productions (immeubles, centres commerciaux, zone pavillonnaire) et les unités de production de « grande tension » (usines, TGV) qui auront la double fonction consommation/production.

Claude Rochet, universitaire spécialiste des villes intelligentes (« smart cities »), note deux paramètres primordiaux qui permettront d’optimiser au mieux le fonctionnement des « smart grids » : la capacité des systèmes numériques à capter les données (communication) et celle à envoyer les instructions appropriées (informatique).

L’état d’avancement de la France et ses ambitions en la matière

Il y a actuellement en France entre 140 et 200 projets de réseaux électriques intelligents. La France est la première nation dans le domaine des « smart grids » de l’Union Européenne et a dépensé un peu plus de 500 millions euros (R&D, démonstrateurs et déploiement) depuis le lancement des réseaux électriques intelligents en 2002.

Bon nombre des expérimentations ne donneront leurs conclusions qu’en 2016 ou 2017, ce qui n’empêche pas l’Etat via ERDF de préparer l’industrialisation des « smart grids ». Grâce à la « première brique » que constitue le système communicant Linky qui est en cours de déploiement massif sur le territoire national, le réseau basse tension va être modernisé dans le but d’avoir un pilotage plus efficace ainsi que de traiter avec plus de facilité les flux d’informations.

Il existe des projets pilotes qui réunissent les collectivités territoriales, ERDF (acteur institutionnel), les acteurs privés c’est-à-dire les acteurs du système électrique et du bâtiment, des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ces quinze projets ont un rôle de démonstrateurs destinés à valider les choix techniques et économiques que requièrent les réseaux du futur.

Il paraît intéressant de citer quelques exemples non exhaustifs de démonstrateurs emblématiques des différentes technologies développées :

Le projet Toulousain So Grid vise à développer une chaîne de communication courant porteur en ligne (CPL) pour le pilotage du réseau de distribution.

Le projet Nice Grid consiste en la contribution d’un quartier solaire intelligent. Son but est de gérer les pointes de consommation et par conséquent de tirer le meilleur du photovoltaïque (énergie solaire).

Les démonstrateurs Pilotes Linky de Lyon et de Tours consistent à expérimenter 300 000 compteurs communicants Linky. Fort du succès de l’opération, les compteurs seront déployés dans toute la France d’ici 2021.

Toutefois, les réseaux électriques intelligents posent des difficultés à la fois d’ordre économique, technologique et sociétale.

De nombreuses problématiques soulevées

Les réseaux électriques intelligents ont des caractéristiques spécifiques. Ils sont numériques, bidirectionnel (producteur/consommateur), intègrent une part de production décentralisée, l’ensemble du réseau communique (et non plus une partie), la gestion de l’équilibre du système électrique se fait par la demande/consommation. Enfin le consommateur est également acteur, il adaptera sa consommation.

Or, l’ensemble de ces caractéristiques requiert des systèmes informatiques capables de capter des données ainsi que des systèmes aptes à traiter l’information appropriée. Lorsque l’on introduit un système informatisé dans un système complexe existant, on ajoute des couches de complexité, chacun avec son lot de problèmes.

A mesure que les réseaux électriques intelligents vont se développer, les systèmes numériques vont se complexifier. Assurer la sécurité de ces systèmes ainsi que celle des données transmisses et envoyées sera relativement coûteux et risque de faire fortement baisser la fiabilité et la résilience de l’ensemble.

A ce titre, les réseaux électriques intelligents constituent une vulnérabilité quant à leur efficacité.

Les obstacles à caractère sociétal se divisent entre l’adhésion, adoption et l’utilisation. L’adhésion et l’adoption nécessitent une compréhension des enjeux énergétiques globaux et individuels par les acteurs et un certain niveau d’appropriation d’équipements par les foyers ce qui est loin d’être aisé à obtenir. L’utilisation va poser des problèmes par la complexité du dispositif d’information à destination des utilisateurs et par la difficulté à inscrire les changements de comportements dans la durée.

Le verrou à caractère économique concernera la tarification. En effet, le lien entre la tarification et la maîtrise de la demande électrique est complexe à obtenir, il nécessitera une maîtrise des systèmes numériques conséquente.

Face à ces différentes difficultés, actuelles et anticipées, l’intelligence économique paraît être une solution appropriée. En effet, elle apporte un mode de management de l’information décloisonné et transversal particulièrement pertinent pour les « smart grids » qui regroupent une pluralité d’acteurs qui se divisent en trois catégories principales :

-les institutionnels : État et collectivités territoriales, l’agence nationale pour la recherche (ANR), l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la commission de régulation de l’énergie (CRE)

– les équipementiers du secteur de l’énergie : fournisseurs d’équipements et de services pour l’ensemble des acteurs des réseaux

– les acteurs hybrides, situés à l’interface entre l’industrie et le consommateur.

La France s’est engagée dans les réseaux électriques intelligents et continuera à les développer sous l’impulsion du déploiement de la révolution numérique, de ses engagements dans le cadre des objectifs édictés par la loi sur la transition énergétique et de l’évolution annoncée des prix de l’énergie. De nombreuses expérimentations sont en cours et de futurs déploiements sont envisagés. Toutefois, ils introduisent une couche supplémentaire de complexité porteuse de nouveaux enjeux politiques, économiques et sociétaux auxquels la société devra faire face.

Julien Boudenne