Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Qu’est-ce que l’uberisation ?

On désigne par Uberisation l’attaque frontale des marchés de services par de nouveaux acteurs utilisant à leur avantage les possibilités du numérique. Le mot vient d’Uber, nom d’une entreprise américaine, qui a l’ambition de payer des particuliers pour transporter tout ce qui peut l’être en milieu urbain.

Un phénomène global post-salarial

Les taxis ne sont pas les seuls menacés par des entreprises de type Uber. L’uberisation est une disruption qui concerne toutes les professions de services (graphistes, avocats, hôtels, banques etc.), d’une intensité égale à l’arrivée des machines dans l’industrie. Le travail de management est confié à des algorithmes qui désormais font le lien entre le top management et les
« exécutants ». Nous appelons volontairement les personnes en bas de la hiérarchie « exécutants » car ceux-ci ne sont plus des salariés, mais des indépendants, voire des particuliers lorsque la législation le permet (UberPOP).

Pour autant a-t-on atteint le rêve marxiste d’un producteur autonome ? Absolument pas.

La nature du lien entre l’entreprise et le travailleur est changée, de la même manière que le salariat la changea par le passé. Nous étions, à l’ère préindustrielle, sur un tissu organique d’entreprises artisanales décentralisées. La révolution industrielle a brisé les corporations et fait du salariat la norme, le modèle entrepreneurial est devenu un modèle hiérarchique. L’automatisation croissante, allant avec le numérique jusqu’aux tâches managériales, permet l’émergence d’un modèle mécanique. Celui-ci consiste en un donneur d’ordres, commandant par machines interposées une myriade d’individus avec lesquelles il n’a aucune relation humaine.

Du reste, le lien juridique entre le donneur d’ordres et l’exécutant est aussi différent du lien salarial. Le lien salarial est un lien fort, impliquant une certaine responsabilité de l’entreprise pour les actes de son salarié. Le salariat implique également un partage des risques de l’activité entre le salarié et l’entreprise. Dans le système uberisé, le donneur d’ordre partage les bénéfices mais peu les risques. Chez Uber par exemple, la voiture est la propriété du conducteur qui doit l’assurer en son nom propre. En cas d’accident, l’entreprise ne participera aucunement aux frais de réparation.

A l’inverse, l’exécutant n’est plus obligé de travailler pour un seul employeur. Il peut tirer une partie de sa subsistance de chaque employeur pour lequel il travaille : mercenarisation de l’économie ? Peut-être.

La stratégie d’uberisation

La stratégie de ces entreprises est simple mais extrêmement efficace. Il s’agit d’une stratégie cyclique, visant à faire du business dans un intervalle de temps délimité par l’arrivée de l’entreprise dans un secteur et l’application réelle de la nouvelle réglementation. A la fin de chaque cycle, l’entreprise parie sur l’innovation pour changer de créneau et ainsi esquiver les nouvelles loi.

L’appareil étatique est ainsi toujours en position de réaction face à une entreprise qui crée ses propres marchés. L’enjeu pour l’entreprise est de faire durer le plus longtemps possible cette posture de l’État. Dans ce processus, nous pouvons observer quatre phase dans chaque cycle :

1) Phase médiatique : conquête d’une opinion où, pour un secteur donné, les gens de métier lésés sont en minorité face au nombre important de consommateurs.

2) Profiter du vide juridique : les corps constitués et les entreprises traditionnelles ne peuvent pas riposter, à cause du flou juridique.

3) Lobbying législatif : Une fois l’affaire arrivée aux chambres, l’entreprise utilise les affrontements entre partis pour ralentir le processus législatif. Les majorités absolues étant rares, le texte de loi doit être consensuel et peu coercitif pour passer au vote.

4) Blocage judiciaire : Lorsque la loi est passée, l’entreprise commence à la contester en utilisant tous les recours administratifs et juridiques possibles. En France, Uber a utilisé les Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC), les recours au Conseil d’État, etc… 
Le but n’est pas de gagner, mais de faire perdurer l’activité controversée le plus longtemps possible. Cette phase peut durer de nombreuses années, le labyrinthe judiciaire de certains pays étant particulièrement vaste.

Chaque nouvelle phase vient s’ajouter aux précédentes et ne les remplace pas. Une fois la loi votée, l’entreprise continue son lobbying, notamment pour faire voter des législations contradictoires, abrogatives ou inapplicables. 
Tous ces efforts n’ont qu’un but : gripper la machine d’État suffisamment longtemps pour permettre à l’entreprise de sauter dans le wagon suivant du train de l’innovation, laissant gouvernant et procureurs à l’arrière.

Enzo Sandre


Pour aller plus loin : 

Observatoire de l’uberisation : http://www.uberisation.org/