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Uber se retire du marché chinois : un échec total ?

Le fondateur d’Uber, Travis Kalanick, a annoncé lundi 1er août la cession de la filiale Uber China à son rival chinois, Didi Chuxing. Ce coup d’arrêt porté à l’expansion agressive d’Uber constitue néanmoins une opportunité stratégique majeure pour leader mondial du VTC.

Lutte concurrentielle homérique et protectionnisme économique

L’incursion asiatique de la plateforme californienne n’est pas allée sans heurt : dès son implantation, en 2013, Uber a dû faire face à l’hégémonie de l’acteur local, Didi Chuxing, opérateur ayant structuré le marché des transports privés urbains chinois en incluant les services de taxi.

Uber revendique 300 millions de téléchargement de son application en Chine, 250 millions de courses effectuées en 2015, et une présence dans une soixantaine de métropoles. Insuffisant pour contrer le consortium constitué en 2015 par les deux géants chinois, Kuaidi et Didi, qui opèrent depuis 2010 sur un réseau de 400 villes chinoises, effectuant 1,4 milliards de courses en 2015, pour une part de marché estimée à 87%.

Le choc concurrentiel entre les plateformes locales et Uber entraina en 2014 une guerre des prix, entrainant d’abondantes pertes financières de part et d’autre. Les pertes sur activité d’Uber sont estimées à plus de 2 milliards de dollars, employés à l’acquisition d’une part de marché très faible. Afin de maintenir son positionnement hégémonique, le consortium Didi Chuxing mobilisa également d’important moyens financiers afin de garantir la parité tarifaire avec Uber. Il leva ainsi 7 milliards de dollars en juin 2016 afin de répondre à la levée de fond de 3,5 milliards de dollars d’Uber les mois précédant, destinés à faciliter la conquête du marché chinois.

Conscient des dégâts engendrés par cette course au moins-disant, le ministère des transports chinois légiféra habilement à la fin du mois de juillet dernier. Le texte de loi de l’autorité chinoise reconnait d’abord officiellement l’activité économique des VTC, avant de durcir les conditions d’accès au statut de chauffeur de VTC et de disposer enfin que l’activité économique des opérateurs ne saurait s’effectuer à perte, stoppant de facto la guerre des prix. De quoi dissuader Uber de poursuivre sa coûteuse expansion.

Un retrait, des contreparties

Didi Chuxing va prochainement acquérir les activités d’Uber China, – marque commerciale et données-clients, en échange d’un petit milliard de dollar d’investissement, somme bien faible en considération du volume d’activité de la start-up.

La véritable contrepartie de cette absorption de sa filiale chinoise consiste pour Uber en l’obtention de 17,3% des parts du conglomérat ainsi formé par sa filiale et Didi Chuxing, parts dont la valeur de marché équivaut à environ 5 milliards de dollars. Cette alliance est scellée par nominations croisées de Travis Kalanick, fondateur et CEO d’Uber, au board de Didi, et de son homologue chinois Cheng Wei à celui d’Uber.

L’opération n’est pas sans rappeler le retrait de Chine de Yahoo, qui avait obtenu en échange de son retrait du marché chinois 15% des parts d’Alibaba. Cet actif, dont la valorisation dépasse aujourd’hui les 30 milliards de dollars, contribue largement au maintien à flot du moteur de recherche déchu.

Les limites stratégiques d’Uber exposées en Chine

L’implantation en Chine d’un opérateur aussi expansionniste qu’Uber constituait un pari risqué aussi bien d’un point de vue marketing que politique.

La proposition de valeur d’Uber – pour pertinente qu’elle soit, n’avait pas l’avantage de la disruptivité sur le marché chinois, déjà dûment structuré par les champions domestiques. Privé de l’unicité de son service, Uber n’a pas pour autant adapté sa stratégie, se contentant de reproduire son schéma d’implantation générique tout en tirant les prix vers le bas. Les opérateurs chinois n’eurent en dernière analyse qu’à s’entendre entre eux puis à s’aligner sur la politique tarifaire agressive de la start-up de San Francisco, le temps pour celle-ci d’épuiser ses ressources financières et de capituler.

L’encadrement par le législateur chinois des activités des VTC constitue un coup politique majeur. D’une part Pékin a favorisé la création d’un rival inébranlable propre à contrer Uber en fermant les yeux sur le rapprochement des deux géants chinois des VTC, Kuaidi et Didi. Pareille manœuvre aurait sans doute posé de graves difficultés dans les espaces dotés d’une législation antitrust contraignante, Europe et États-Unis en tête. D’autres part, en légiférant subtilement afin de figer le marché, les autorités chinoises ont assurés sans coup férir à leur champion une victoire immédiate. Enfin, le rapprochement entre Uber et Didi Chuxing permettra à l’économie numérique chinoise de poursuivre son expansion, en affermissant son influence dans la Silicon Valley.

Fiasco stratégique et réallocation des ressources financières

Uber s’est obstiné sur le marché chinois, entendant réussir là où l’immense majorité des acteurs de l’économie numérique américaine ont échoué. La faiblesse de la stratégie de conquête d’Uber face à des concurrents préparés et un régime politique méfiant est apparue criante. À court terme, le désengagement du marché chinois sonne comme un indéniable aveux d’échec.

Il apparait néanmoins qu’Uber sortira renforcé du mirage chinois. La start-up met brutalement fin à une saignée financière de plus de deux ans, qui focalisa d’importants moyens sans résultats tangibles en retour. Les analystes s’entendent pour dire que la décision de se retirer est une bonne opération financière, et profitera à Uber sur le long terme. Il semblait à tous points de vue préférable d’accepter de perdre en Chine afin de disposer des ressources pour gagner ailleurs. La participation au conglomérat Didi Chuxing compensera au bilan financier les pertes essuyées, et ouvrira de potentielles opportunités de développement en Asie pour le géant américain du VTC. Enfin, d’un point de vue managérial, Uber mesurera désormais la nécessité d’adapter sa stratégie selon les caractéristiques des marchés ciblés.

Fabien Giuliani