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Le Made In France à l’épreuve de la Chine : le Kalisong d’Aix

C’est l’histoire (vraie) de la victoire juridique en Chine d’un syndicat d’artisans français face à un potentiel concurrent local…

Tout commence en 2015. Les fabricants de calissons (ou calissoniers) d’Aix-en-Provence ont jusqu’ici toutes les raisons d’être optimistes. La confiserie qu’ils produisent (un savant mélange d’amandes, de pâte de melon confit et de pain azyme), emblème culinaire de la Provence, se vend et s’exporte à merveille à l’étranger et commence à faire fureur auprès d’un marché chinois avide de produits français… En effet, le nombre de touristes chinois visitant la Provence est en constante augmentation (c’est la deuxième région de France la plus visitée par ces derniers) et ils  aident à faire connaître le calisson dans l’Empire du Milieu. Enhardis par leurs succès à l’export (20% de leur production annuelle) et espérant pour leurs calissons le même engouement que pour les macarons, les confiseurs provençaux se préparent à investir le marché chinois…

Cependant, un homme d’affaires chinois, M. Ye Chunlin, entend bien profiter de l’attrait naissant de ses compatriotes pour le calisson. Il  dépose en juin 2015 l’appellation « Les Calissons d’Aix » ainsi que l'appellation "Kalisong" – transposition phonétique en mandarin du nom de la confiserie  –  auprès de l’Office Chinois des Marques. Acté fin août et valide jusqu’en 2026, cet enregistrement barre l’entrée du vaste marché chinois aux calissoniers provençaux.

En France, la marque appartient à l’UFCA (Union des fabricants de calissons d’Aix) mais n’est reconnue (et donc protégée) qu’au niveau national. Prise de court, l’UFCA dépose un recours auprès de l’Office Chinois des Marques.

Aucune ligne de production de « Kalisong » n’existant, le dépôt chinois semble être un cas  classique  d’usurpation de marque, visant sans doute à pousser les calissoniers à racheter à M. Ye leur propre nom de marque en Chine.

 

Une (trop rare) victoire française…

Après des mois de procédures, l’administration chinoise donne finalement raison à l’UFCA, en décembre 2017.

Elle reconnaît « l’antériorité de l’appellation patrimoniale française “Calisson d’Aix” » et estime que la demande de M. Ye ne « présentait pas de caractère distinctif et pourrait facilement induire le consommateur en erreur sur l’origine des produits ».

La victoire d’intérêts économiques occidentaux en Chine face à un entrepreneur local est suffisamment rare pour être soulignée. L’administration chinoise favorise généralement les entreprises nationales quand elle doit arbitrer ce genre de conflit. Le groupe américain Apple a perdu en 2016 son procès face à un maroquinier chinois qui avait déposé en 2007 la marque « Iphone » pour certains de ses produits. Pire encore, l’équipementier sportif américain New Balance s’est vu infliger en 2015 une amende de 15 millions de dollars par la justice chinoise pour contrefaçon de marque. Un particulier chinois avait déposé le nom New Balance dans son pays et assigna en justice le groupe américain quand il entra sur le marché chinois.

 

… dans une bataille qui aurait pu être évitée 

L’honneur provençal est sauf : le calisson restera français. Les fabricants ont déposé une demande pour l’obtention d’un label IGP (indication géographique protégée) qui permet une protection à l’échelle internationale – la Chine a reconnu jusqu’ici une dizaine d’IGP dont le roquefort ou les pruneaux d’Agen.

 

L’affaire du « kalisong » a fait l’effet d’une piqûre de rappel pour les confiseurs aixois sur les risques qu’encourent les marques occidentales à l’international. Elle montre à quel point les PME françaises exportatrices sont vulnérables face aux contrefaçons. Elle est symptomatique d’une certaine vision naïve du commerce international (où l’on imagine que les règles sont partout les mêmes) et du déficit en professionnels de l’intelligence économique dont souffrent trop d’entreprises françaises. Les précédents ne manquent pourtant pas.

 

Pierre-Olivier Beyrand