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Uber Vs Taxify : la course à la voiture autonome

Taxify, une jeune entreprise estonienne, vient redistribuer les cartes du marché des VTC en Europe et dans le monde. Elle dispose de moyens financiers mirobolants, et concurrence d’ores et déjà Uber, en situation de quasi-monopole jusque-là sur les marchés les plus prolifiques. Elle profite également des désagréments d’Uber, à Londres, et de ses multiples déficits d’image (gouvernance, dettes, relation clients, etc). Déjà présent dans plusieurs régions du monde, en Afrique et dans certains pays de l’Europe de l’Est, Taxify est arrivé en Europe de l’Ouest depuis quelques mois, déstabilisant la mainmise d’Uber dans les grandes villes européennes.

Un géant chinois au volant

Comment Taxify s’est-il si vite imposé ? Grâce à un storytelling bien rodé, cette entreprise estonienne, fondée et dirigée depuis 2013 par le jeune PDG Markus Villig, bénéficie d’un soutien de choix. Elle est en réalité l’émanation de Didi Chuxing, une plateforme VTC chinoise qui pèse plus de 50 milliards de dollars, justifiant un investissement massif dont le montant n’a pas été révélé, au nom d’un « partenariat stratégique » avec Taxify. Didi Chuxing a commencé à inquiéter lorsqu’elle a racheté Uber Chine en 2016, après un bras de fer juridique complexe éliminant le géant américain de l’Empire du milieu, contre une participation de 20% à son capital. Le groupe chinois, né d’une fusion de deux applications de VTC en 2012, a su diversifier ses activités (système de covoiturage, location voiture et bus, vélo, etc) et revendique la possession de 90% du marché des VTC chinois. Contraint de réduire la voilure (pour des raisons de pollution entre autres), ce dernier mise sur Taxify pour internationaliser son activité. Et il n’en est pas à son premier coup : prise de participation chez Ola (application indienne de réservation de taxis) ; chez Lyft (concurrent d’Uber aux Etats-Unis)  et  investissement de 100 millions de dollars chez 99, service brésilien de VTC. Il y a encore peu de temps, Didi Chuxing investissait dans Careem, le rival d’Uber au Moyen-Orient. Le duo Taxify / Didi Chuxing souhaite acculer frontalement Uber partout où ce dernier s’est imposé.

 

Taxify veut Uber et l’argent d’Uber

L’ambition de Taxify est claire : devenir n°1 mondial du VTC. Pour ce faire, l’entrée sur le marché s’est voulue agressive grâce à une politique tarifaire bien en dessous de son rival. Désormais, les tarifs sont quasiment équilibrés entre les deux concurrents – en France –, qui se partagent parfois les mêmes chauffeurs. L’entreprise estonienne a décidé de concurrencer Uber sur tous ses marchés : Afrique, Europe, Moyen-Orient. La formule est d’autant plus attractive que les chauffeurs Taxify sont prélevés d’une commission inférieure à celle qu’impose le géant américain à ses chauffeurs : 15% pour Taxify, 25% pour Uber, sans compter les primes (nombre de courses par heures). Cette conquête de marché n’est pourtant qu’une étape.

Derrière cette compétition rude entre les deux multinationales du VTC, se profile un enjeu aux dimensions révolutionnaires : le marché de la voiture autonome. Tout laisse à penser que, d’ici une petite décennie, la voiture autonome aura pris le dessus sur la voiture avec chauffeur. L’industrie automobile en est consciente et passe la 5ème.

 

L’échiquier en place 

Quelles stratégies de la part des deux acteurs ?

  • Uber assure d’ores et déjà sa transition vers le véhicule autonome. La société américaine a commandé 24 000 Volvo SUV XC90, qui seront transformées en voitures autonomes grâce à une technologie en cours de développement. Avec un business model largement déficitaire, malgré des investisseurs toujours confiants, supprimer le chauffeur offrirait à Uber un rendement exponentiel. L’entreprise effectue déjà régulièrement des tests sur des Volvo depuis l’année dernière.
  • Taxify n’a pas stricto sensu dévoilé ses ambitions à ce sujet, mais Didi Chuxing a anticipé en investissant en R&D pour élaborer en interne sa voiture autonome, dans un laboratoire uniquement dédiée à cette mission, installé dans la… Silicon Valley.

 

Google en pôle position

Bien sûr, il n’y a pas que les plateformes VTC sur la ligne de départ. Pionnière en matière de voiture autonome, Google et sa maison-mère Alphabet préparent cette révolution depuis 2009, via la filiale Waymo. Depuis 2 ans, la Google Car a obtenu l’autorisation, dans des conditions strictes, de faire rouler des véhicules sans chauffeurs en Californie. En avance sur ses nouveaux concurrents, il dispose d’un avantage en matière d’Intelligence Artificielle que ses rivaux sont en train de rattraper pour se rendre crédibles. L’objectif du géant américain est de pouvoir faire circuler ses prototypes d’ici 2020.

D’autres multinationales sont aussi engagées sur ce front, comme Tesla d’Elon Musk, qui commercialise déjà des modèles partiellement autonomes, ou Apple et sa voiture Lexus. Selon les dernières informations, il semblerait que Google et Apple ont davantage l’intention de vendre leurs prototypes à des industriels de l’automobile, plutôt de que fabriquer et commercialiser sui generis leurs propres voitures. D’autres acteurs de moindre envergure, saisis par l’enjeu que représentera demain le véhicule sans chauffeur, émergent.  Par exemple le constructeur Hitachi au Japon, qui travaille sur des taxis robots du nom de « Ropits ». Plusieurs pays autorisent des expérimentations sur leurs routes, comme l’Allemagne ou la Belgique, mais n’en sont qu’aux prémisses, à l’aune des géants précités.

 

Un cas de guerre économique

La course à la voiture autonome est une course technologique qui nous offre de bons exemples de guerre économique. Relevons-en deux :

  • Waymo, filiale de Google en charge du développement de la voiture autonome, a récemment accusé Uber d’avoir récupéré illégalement des documents confidentiels sur la technologie utilisée dans leurs prototypes. L’histoire est simple : Anthony Levandowski, ingénieur vedette chez Waymo quitte la société pour créer la sienne, celle-ci est racheté quelques mois plus tard par le concurrent direct, confiant à Anthony Levandowski le développement de leur modèle :

  • Autre exemple classique : Apple, qui veut être également au cœur de ce nouveau modèle, vient récemment de recruter des ingénieurs chez Tesla et Chrysler. Plus insidieusement, lors d’une levée de fond initiée par Didi Chuxing, le groupe a investi 1 milliard de dollars dans l’application chinoise pour une raison finalement très simple : son rival n’est autre qu’Uber. Aussi, cet investissement stratégique répond également à une logique territoriale : la Chine est le deuxième plus gros marché d’Apple.

Ces cas d’école montrent à quel point ce nouveau marché représente un changement de paradigme considérable si l’on prend bien en compte toutes les mutations technologiques qui en incombe. Taxify n’est pas né de nulle part. S’affrontent en filigrane deux géants américains (Google et Uber) et un géant chinois (Didi Chuxing) qui fait le pari d’attaquer Uber sur son activité principale pour le surclasser et disposer d’une assise mondiale qui lui permettra de s’insérer rapidement sur le marché de la voiture autonome.

 

Quid de la France ?

« La France doit être au rendez-vous de cette révolution de la mobilité » déclarait Edouard Philippe le 20 novembre dernier devant les membres du conseil national de l’industrie. La France a pris conscience, depuis peu, de la nécessité d’une stratégie nationale, mais doit pour cela assouplir sa réglementation. Les champions français Renault et PSA ont pris le tournant et d’autres suivent la route, comme Valéo ou Alten. Mais la prudence française, en attente des conclusions des tests pour y fixer un cadre juridique, pourrait faire courir le risque d’être hors-circuit alors que tous les acteurs sont sur la ligne de départ de la commercialisation de masse des prototypes et/ou des véhicules autonomes.

 

Paul BINET

 

 


Sources :

Uber entame sa transition sans chauffeur en commandant 24.000 Volvo autonomes – 20 Minutes, 20/11/17 : https://www.20minutes.fr/high-tech/2172759-20171120-uber-entame-transition-chauffeur-commandant-24000-volvo-autonomes

Taxify la start up estonienne veut détroner Uber à Paris – Forbes,  10/10/17 : https://www.forbes.fr/business/taxify-la-start-up-estonienne-veut-detroner-uber-a-paris/)

Uber va utiliser des voitures autonomes dès la fin du mois d’août – Le Figaro, 19/08/16 :http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2016/08/18/32001-20160818ARTFIG00222-uber-va-utiliser-des-voitures-autonomes-des-la-fin-du-mois-d-aout.php

Comment Didi Chuxing, géant chinois des VTC, compte titiller Uber en France – Europe 1, 05/10/17 : http://www.europe1.fr/economie/comment-didi-chuxing-geant-chinois-des-vtc-compte-titiller-uber-en-france-3456032

Voiture autonome : quel rôle pour les entreprises du numérique ? – Europe 1, 10/03/17 :  http://www.europe1.fr/economie/voiture-autonome-quel-role-pour-les-entreprises-du-numerique-2999609