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Gestion publique des actifs stratégiques en 2019 : vers une prise de conscience opérationnelle ?

2019 a été riche en mutations pour les organismes étatiques en matière de renseignement économique. A l’occasion de cette nouvelle année, le Portail de l’IE revient sur les dernières évolutions et les prochains défis à relever.

Peut-on
considérer 2019 comme un bon cru pour les intérêts économiques et
stratégiques de la France ? A regarder les dernières évolutions des
volets vision et anticipation de l’IE, il apparaît que l’horizon
s’éclaircit notablement sur plusieurs aspects non négligeables, tant
pour les services de renseignement et les administrations de l’Etat que
pour ses organes exécutif et législatif. 

 

Un basculement progressif vers une approche offensive du renseignement

Dans
la continuité des priorités énoncées au Service à l’information
stratégique et la sécurité économique (SISSE), l’appareil d’Etat connaît
une transformation significative de son champ d’actions. Dans ce sens,
l’actualisation de la Stratégie Nationale du Renseignement
(SNR) en juillet par la Coordination nationale du renseignement et de
la lutte contre le terrorisme (CNRLT) témoigne d’une prise en compte
accrue de cette problématique dans le dispositif global. Cette
actualisation fait ressortir plusieurs inflexions : l’intégration de « la défense et la promotion de nos intérêts économiques et industriels »
dans les enjeux prioritaires, parmi la lutte antiterroriste,
l’anticipation des risques et crises majeurs ou les
menaces transverses ; un nouveau terrain d’action pour les
services, celui de l’économie et des entreprises ; une approche
offensive de ce terrain ; une coopération renforcée entre acteurs
publics et privés dans l’intérêt d’un accroissement de l’influence
économique de la maison « France » sur la scène
internationale. On relèvera particulièrement les ambitions de captation
d’informations pour le compte des fleurons nationaux et la volonté de
stabiliser les normes internationales ou d’entraver les réglementations
extraterritoriales susceptibles de leur nuire.

Selon les informations de la Lettre A, cette évolution est le résultat indirect de l’implication de Marie-Anne Barbat-Layani,
désormais secrétaire générale et haut-fonctionnaire de défense et de
sécurité des ministères économiques et financiers de Bercy. A ce titre,
son périmètre recoupe celui de Tracfin et du SISSE. L’inspectrice
générale des Finances avait rendu un rapport en 2013 plaidant pour une
vision plus combative du renseignement et une coopération plus étroite
des administrations dans le soutien des entreprises françaises à
l’international. Une éventuelle réforme
de la police, accordant davantage d’autonomie au renseignement
territorial et sa section D2 dédiée à l’information économique dans un
cadre décentralisé, pourrait par ailleurs favoriser ces synergies.

 

A Bercy, la mise en place des outils de filtrage des investissements étrangers

Sur le volet défensif, la montée en puissance du SISSE, confirmée par un décret du 20 mars,
s’illustre essentiellement par l’attribution de deux missions :
faire office de guichet unique de la politique de sécurité économique
auprès de tous les acteurs publics et privés concernés, et moderniser le
contrôle des Investissements Etrangers en France (IEF) pour en faire un
outil efficace de la souveraineté économique. Le SISSE assure ainsi le
secrétariat du Comité de liaison en matière de sécurité économique
(COLISÉ) qui réunit le SGDSN (Secrétariat général de la défense et de la
sécurité nationale), la CNRLT et les représentants des ministères aussi
divers que les armées, l’économie, la recherche ou l’agriculture pour
échanger, traiter, harmoniser et coordonner leurs politiques et leur
action sur ce sujet.

D’autre part, le
rôle du SISSE dans le contrôle renforcé des IEF est devenu
prépondérant. En lien avec le bureau Multicom 4 de la DG Trésor qui examine les demandes
pour arbitrage auprès du ministre de l’Economie, il s’implique
notamment dans la détection des mouvements de fusion-acquisition ou des
prises de participations susceptibles de menacer l’intégrité des actifs
stratégiques nationaux. Fondé sur l’information remontée par les
délégués régionaux ou fournie par les technologies de traitement massif
de données, le bureau Multicom 4 dispose alors d’un arsenal de mesures
coercitives et de sanctions variant du maintien des centres de R&D
sur le territoire à l’annulation de l’opération, amendes sur chiffre
d’affaires de la cible (jusqu’à 10%) et poursuites pénales des
dirigeants à la clé. Le champ d’application de ce contrôle, d’abord
réservé aux secteurs mentionnés dans le « décret Montebourg »
pris en 2014 (défense, énergie, télécoms…), est ensuite étendu à l’aérospatial, aux technologies de l’intelligence artificielle et à la cybersécurité depuis le 1er janvier 2019. A court terme, ce champ devrait s’élargir à la sécurité alimentaire, à la presse, aux technologies quantiques et au stockage de l’énergie.

 

Au Parlement, un sujet en débat

Sur le plan législatif, la question divise. Initialement inclus dans la loi Pacte, le projet de création d’une nouvelle délégation parlementaire à la sécurité économique retraçant l’action du gouvernement a finalement été supprimé
au profit d’un élargissement des compétences de l’actuelle délégation
parlementaire au renseignement. A l’inverse, la publication du rapport Gauvain le 26 juin, évoquant ouvertement la guerre économique par le droit
livrée par les Etats-Unis, devrait servir de point de départ à la
constitution du système juridique chargé de protéger nos entreprises de
l’extraterritorialité américaine. 

 

Culture et influence française en intelligence économique

Pour
autant, la situation n’est pas définitivement réglée au regard de
l’environnement international et des menaces qui le composent. Prise en
étau par des puissances américaine et chinoise avides de captations technologiques ou de savoir-faire dans la défense,
la France peine à mobiliser des ressources humaines et financière
équivalentes, par elle-même ou avec ses partenaires européens
lorsqu’elle parvient à les faire rapidement converger sur ces enjeux
stratégiques. 

En définitive et
au-delà de leur intérêt certain, la mise en œuvre et les résultats des
initiatives évoquées des services de renseignement, de Bercy ou des
institutions parlementaires permettra d’évaluer leur efficacité, comme
on le peut le constater avec les premières procédures de contrôle des
IEF dans l’industrie aérospatiale. A l’instar de la cession de Latécoère, la suspension de la vente de Photonis ou la saisine de CLS,
elles, pourraient alors devenir un indicateur fiable de la volonté
politique et de la sensibilité de l’opinion publique sur la valeur
accordée aux fleurons nationaux.

Louis-Marie Heuzé