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[JdR] 2019 : l’année noire du Boeing 737 MAX

Les 29 octobre 2018 et 10 mars 2019, deux moyen-courriers Boeing 737 MAX s’écrasent, tuant plusieurs centaines de passagers et personnels navigants. Immédiatement après le second crash, l’ensemble de la flotte des 737 MAX est interdite de vol. L’objectif est ici de déterminer le périmètre des risques afin d’évaluer leur impact, d’abord pour Boeing puis pour d’autres entités concernées par cette interdiction de vol.

Les différents risques affectants Boeing

Concernant le risque financier, la maîtrise de Boeing est très limitée puisque l’incertitude totale est de mise concernant le retour sur le marché du 737 MAX. En effet, la décision de remise en service de ses 737 MAX ne dépend pas du constructeur américain mais bien d’une autorité indépendante : la Federal Aviation Administration (FAA). Pour l’instant, l’aspect financier s’illustre essentiellement par l’effondrement des commandes chez Boeing. Cela compromet la stratégie de l’entreprise et sa capacité à innover, notamment avec l’arrêt du projet NMA (new midsize aircraft). L’effet délétère d’une diminution des commandes de 737 MAX est transversal, atteignant d’autres marchés que celui du moyen-courrier de 150 sièges. Même sans corrélation établie, la diminution croissante des commandes génère un effet domino difficilement prévisible pour Boeing.

Concernant le risque humain, il est parfaitement maîtrisé : aucun accident ne peut plus survenir puisque le 737 MAX est interdit de vol. Cette décision, prise par la FAA, ne s’applique qu’au territoire des Etats-Unis et aux compagnies aériennes américaines. Les autres instances internationales lui ont emboîté le pas, telle la Direction générale de l’Aviation Civile (DGAC) pour la France. Ce risque désormais réduit à néant résulte de la décision de la FAA qui vise à clouer le moyen-courrier de Boeing au sol. Il est toutefois à noter qu’il aura fallu attendre le second accident pour que cette décision soit prise, quand bien même la FAA connaissait les risques.

Le risque réputationnel pour Boeing n’est pas maîtrisé, surtout vis-à-vis du grand public. La survenance de deux accidents causant plusieurs centaines de morts est préjudiciable pour l’ensemble de la communauté aéronautique et Boeing en est vu comme le premier responsable. La perte d’image est grave et durable pour le constructeur américain, qui mettra des années sinon des décennies à redorer son blason. En outre, le risque réputationnel se décline également au niveau de l’exécutif de Boeing. En effet, la gestion du sujet par Denis Muilenburg alourdit encore le fardeau à porter. Directeur général fraichement remercié, il a été perçu comme maladroit dans sa communication lors de cette crise. Son manque d’empathie, réelle ou attribuée, fait partie des arguments expliquant sa récente mise au ban. 

Boeing doit également envisager l’affaire du 737 MAX sous l’angle du risque juridique. La bonne volonté affichée de Boeing dans sa coopération avec la FAA a, semble-t-il, déjà éprouvé ses limites puisque le constructeur américain ne jouerait pas franc-jeu avec les autorités américaines. Il est probable qu’une telle posture génère des poursuites par les familles de victimes. En effet, 346 personnes ont trouvé la mort dans les deux accidents. Le mécanisme des class actions permet à un ensemble de justiciable de s’associer pour porter en justice une demande d’indemnisation. Contre Boeing, les plaignants sont légion : aux familles des victimes s’ajoutent des pilotes, compagnies aériennes et même investisseurs mécontents. L’affaire est particulièrement emblématique pour les pilotes, estimant rétrospectivement avoir été contraints de voler sur un avion peu sûr et étant parfois inemployables puisque certifiés sur des avions désormais interdits de vol. 

Un dernier risque envisageable est celui concernant la détérioration de la relation client et fournisseur. La crise de confiance dans le matériel proposé par Boeing après les deux crash abîme la relation entre l’entreprise et ses acheteurs réguliers. La sanction ne s’est pas fait attendre avec le passage de clients historiques de Boeing à Airbus. En amont dans la chaîne de production, la situation génère également une détérioration de la relation entre Boeing et ses fournisseurs, qui doivent parfois arrêter des chaînes de montage consacrées aux pièces du 737 MAX. La décision d’arrêter la production de l’avion pour deux mois à partir de janvier 2020 place des dizaines de sous-traitants dans une situation délicate.

 

Les risques affectant des entités tierces

Outre Boeing, l’affaire du 737 MAX génère un impact sur plusieurs entités. Trois d’entre elles constituent des objets d’analyse riches d’enseignements. 

Il apparait ainsi un risque financier important pour Safran. L’équipementier aéronautique français se retrouve sur la ligne de front en tant que fournisseur exclusif des moteurs du 737 MAX. Cette activité est assurée par la société CFM International, joint-venture entre Safran Aircraft Engines et General Electric. Numéro un mondial de la motorisation aéronautique civile, CFM International est impacté par l’arrêt, pour l’instant temporaire, de la production du 737 MAX. Le coût actuel de cette interruption d’activité se chiffre en dizaines de millions d’euros par mois, avec un fort risque d’augmentation. La solution retenue par l’équipementier est l’adaptation des cadences de production en espérant une reprise prochaine de la production.

Ensuite, il existe un risque juridique et réputationnel pour la FAA. En premier lieu, le risque juridique est constitué par l’extension à l’autorité américaine des class actions entamées contre Boeing. En second lieu, l’autorité américaine fait face à une perte de crédibilité à l’international sur le processus de certification de l’avion. Un premier reproche serait l’ingérence de Boeing dans le processus de conformité du 737 MAX via la procédure ODA adoptée en 2005. Un second reproche est le maintien de l’autorisation de vol après le premier crash. Cela est difficilement pardonnable en raison des éléments annonçant un risque de « récidive » suite aux dysfonctionnements du logiciel Maneuvering Characteristics Augmentation System (MCAS) gérant le système automatique antidécrochage de l’avion et mis en cause dans les deux crashs. Ainsi, l’intégrité et la réputation de la FAA sont contestées. L’autorité a toutefois réagi sérieusement à l’issue du second crash, recourant à l’ensemble de ses capacités pour encadrer le risque et interdire l’avion de vol.

Enfin, de façon conclusive, il existe un risque environnemental pour la communauté internationale. En effet, la mise au banc du 737 MAX place Airbus, principal concurrent de Boeing, en situation de force. Au coude à coude, les deux constructeurs se doivent d’innover en permanence. Si la relation se déséquilibre au profit d’Airbus, le constructeur européen pourrait se concentrer sur les modèles existants (en améliorant l’A321 XLR par exemple) sans chercher à développer de nouveaux modèles. Cela génèrerait un retard important dans les programmes de l’industrie aéronautique visant à développer une offre moins carbonée. 

 

Olivier Prévost