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Invivo et Soufflet : un échiquier céréalier bouleversé, une souveraineté alimentaire renforcée

En janvier 2021, le groupe coopératif agricole Invivo et le groupe agroalimentaire Soufflet annonçaient être entrés en négociation exclusive en vue d’une fusion. Loin d’être une opération bénigne, elle permettrait à cette « coopérative de coopératives » de prendre une place parmi les leaders mondiaux.

Alors que les sceptiques arguent d’une mise en concurrence exacerbée au sein du groupe coopératif, dont la raison d’être s’en trouverait alors dénaturée, les autres allèguent d’une formidable opportunité en faveur de la souveraineté française.  Quoi qu’il en soit, ce rapprochement modifiera l’échiquier céréalier, national, voire même international. 

La formation d’un mastodonte en France questionnée 

Invivo, un groupe qui réunit 192 coopératives agricoles dans les activités de l’agriculture, le retail et le vin, a annoncé sa volonté d’acquérir à 100% Soufflet, spécialiste de la collecte, le négoce et la transformation des céréales. Ce rapprochement permettrait de former « un mastodonte » de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires combiné et placerait la coopérative en deuxième position européenne derrière l’Allemand BaY Wa et ses 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Cependant, la proximité des activités des deux entités et la nature du groupe soulèvent plusieurs questions, dont celle de la gouvernance et de la concurrence qui pourrait naître au sein même d’Invivo, entre le groupe et ses adhérents.

Par essence, une coopérative défend les intérêts de ses adhérents. Mais qu’en est-il lorsque celle-ci devient une holding, que les mères (les coopératives) du groupe sont mises en concurrence avec leur fille (la holding Invivo) ?  Alors que le rapprochement des activités semble additif et complémentaire, des risques subsistent. D’une part, l’intégration de Soufflet risquerait de « bouleverser voire cannibaliser » les activités des coopératives adhérentes. Une concurrence entre Soufflet et les producteurs, pour qui, dans certaines zones de France, il y aurait alors un monopole de l’acheteur et par conséquent un pouvoir de négociation amoindri. De l’autre, le groupe coopératif risquerait de ne plus chercher les intérêts des adhérents mais bien ceux des filiales. La logique financière et stratégique pourrait alors prendre le pas sur le principe même de la coopération. 

Comment faire perdurer cette structure composée de membres qui seraient à la fois actionnaires et concurrents ? Comment les agriculteurs pourraient-ils garder leur poids décisionnel dans une telle structure ? Il semblerait que tout cela soit une question d’organisation. Selon Pierre Pagesse, la réussite de ce deal « dépendra de la capacité des hommes à s’organiser, il sera nécessaire de laisser de l’autonomie tout en imprimant une stratégie et une politique commune, un horizon commun » afin que « les forces s’additionnent plutôt que de s’annuler».

Néanmoins, une chose sur laquelle tout le monde s’accorde est le fait que cette opération, si elle est autorisée par les autorités de la concurrence, signerait la « création d’un champion français agricole et agroalimentaire d’envergure internationale ».

Une vision à deux échelles : un acteur national aux perspectives internationales 

D’une part, il y a le marché français, ses agriculteurs et son marché intérieur. D’autre part,il y a le commerce extérieur. Cette opération pourrait permettre, par la formation d’un groupe à dimension mondiale, d’ouvrir de nouvelles perspectives à un acteur français.

C’est d’ailleurs pour cela que le Ministère des Finances « s’est largement investi derrière ce rachat. Un rachat qui permettrait de former un leader mondial dans le trading de matière première céréalière » selon un acteur du monde agroalimentaire.  Avoir un acteur de cette envergure, qui se placerait parmi les 10 plus gros acteurs mondiaux, pourrait constituer un véritable levier de présence et d’influence au niveau du marché mondial des céréales. Déjà en 1981 John Block, ministre de l’Agriculture américain déclarait : « la question alimentaire sera, d’ici la fin du siècle, un des trois problèmes politiques prépondérants avec les armements et le pétrole. Son efficacité politique peut même être supérieure à celle du pétrole ». L’exportation est une dimension indispensable à l’économie agricole. Et dans cette activité, la France n’est pas débutante. Néanmoins, comme le soulignait en 2019 Laurent Duplom dans un rapport au Sénat, alors que la France était en 2005 le 3e exportateur mondial, elle occupe désormais la 6ᵉ place. Une perte de compétitivité dans ce secteur qui risque de perdurer malgré une croissance de 35% de la demande d’ici à 2030 selon une étude de la Commission Européenne. Il est donc nécessaire pour les acteurs de mettre en place une stratégie de reconquête, et de « s’associer pour la rendre compétitive et offensive ». 

Alors que Pierre Pagesse insiste sur la différence entre sécurité alimentaire, c’est à dire la capacité à s'approvisionner, et la souveraineté alimentaire, celle de se nourrir et d’exporter,  « l’arme alimentaire » et l'impératif de compétitivité sont et resteront incontournables pour les pays voulant exporter des produits agricoles. Dans une période de crise où les craintes concernant l’alimentaire sont exacerbées, cette fusion permettrait de « relever les défis de souveraineté alimentaire, de compétitivité et de développement durable».

Un projet qui, avec l’aval des autorités de la concurrence et une bonne organisation, pourrait aboutir et deviendrait une véritable force de frappe franco-française sur le marché mondial.

Mathilde Duval 

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