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[CONVERSATION] Jean-Renaud Fayol, associé et cofondateur d’Altum&Co

Comme l’a récemment rappelé l’entrée de Sagard au capital de l’Adit, la vitalité du marché de l’IE en France n’est plus à démontrer. Jean-Renaud Fayol, cofondateur et associé du cabinet d’Intelligence économique Axis&Co, souligne, dans une interview accordée au Portail de l’IE, la nécessité pour le métier de se spécialiser à l’occasion de la création d’Altum&Co en janvier 2022, groupe d’Intelligence économique associant Axis&Co et ses sociétés soeurs Advox&Co (influence) et Cartesian Lab (cybersécurité)

Portail de l’IE (PIE) : Jean-Renaud Fayol, vous êtes le président et cofondateur d’Axis&Co, qui vient de donner naissance à Altum.  Quelle est la particularité de votre parcours ?

Jean-Renaud Fayol (JRF) : J’ai un parcours original et revendiqué comme tel. J’ai quitté l’armée assez tôt pour conseiller des opposants politiques dans le monde. Mon expertise initiale est donc politique et opérationnelle.

PIE : En 2005 vous créez Axis&Co. Dans quelles circonstances et pour quel résultat aujourd’hui ?

JRF : J’ai d’abord travaillé comme freelance, puis salarié au sein de boites d’IE. Cela m’a permis de découvrir l’intérêt et le potentiel du secteur et, de mon point de vue, ses lacunes. Avec Bertrand de Turckheim et nos associés, nous avons fondé Axis sur des principes cardinaux assez forts : véracité, précision de l’information, rigueur de l’analyse, engagement auprès de nos clients. L’idée était d’élever le métier de l’enquête au niveau des préoccupations stratégiques, voire vitales, des grandes entreprises. D’où la nécessité de développer une méthodologie rigoureuse, en interne et en liaison avec des formations très sérieuses comme l’École de Guerre économique. Il a fallu bâtir un savoir-faire qui n’existait pas vraiment, au croisement entre le journalisme d’investigation, la recherche universitaire et le renseignement d’État. Il a fallu être  imaginatifs et inventifs pour renouveler et dynamiser ce savoir-faire. Nous avons mené un véritable effort de doctrine, de réflexion sur le métier, avec un noyau dur de quelques associés, qui se poursuit toujours. Nous avons entrepris progressivement de recruter, soit en sortie d’école, soit dans le vivier de professionnels aguerris issus du journalisme, des services de renseignements ou de la finance – métier en apparence assez éloigné du nôtre mais qui prépare bien à la maîtrise de l’information.

PIE : A l’occasion de ce début d’année, les activités d’Axis&Co sont fusionnées au sein d’Altum, pouvez-vous présenter la nouvelle structure ?

JRF : Au cœur de cette nouvelle structure, Axis reste la société de renseignement d’affaires. S’ajoutent à cette société originelle deux filiales déjà existantes mais que nous venons de rendre publiques : CartesianLab et Advox, dont les activités sont le prolongement de l’enquête. CartesianLab, filiale de  cybersécurité, représente le volet protection de l’IE, notamment en matière de contre-espionnage et contre-ingérence. Si la menace principale est cyber, le renseignement humain existe toujours, et la menace des interceptions téléphoniques est également à prendre en compte dans certaines zones. Plus globalement, Cartesian assure donc une mission de protection de l’information. À l’autre bout du spectre, Advox est une société d’influence, c’est-à-dire de communication spécialisée dans le contentieux et la gestion de crise. Son service phare est la défense contre une campagne hostile et déloyale émanant d’un concurrent peu scrupuleux ou d’un prédateur économique. Prenons le cas d’une société internationale essayant de s’implanter et de se maintenir sur un marché difficile. Elle fait face à un acteur politico-économique cherchant, à des fins prédatrices, à l’expulser du marché ou l’acheter à vil prix, ne reculant devant rien et jouant sur un terrain où les règles  judiciaires et médiatiques sont biaisées. Le seul moyen de se défendre est alors de collecter l’information la plus précise et la plus dommageable possible sur son adversaire pour ensuite la mobiliser à l’international. Là réside la mission clé d’Advox, avec également des opérations plus classiques de gestion de crise. C’est en cela qu’Advox est un prolongement d’Axis. Une campagne hostile nécessite ainsi une réponse des trois volets du groupe Altum : cybersécurité et protection avec Cartesian, puis enquête et constitution d’un dossier par Axis, et enfin riposte et influence chez Advox pour desserrer l’étau. Nous avons également investi dans une société plus originale, Success&Co, spécialisée dans la généalogie successorale, ce qui la rapproche de notre métier. Cette société est assez indépendante, notamment dans le cloisonnement de ses dossiers confidentiels, mais peut utilement dans le cadre d’une recherche d’héritiers recourir à nos ressources. L’ensemble du groupe Altum compte environ 30 à 40 personnes. Pour chaque filiale, nous avons promu des employés un peu anciens auxquels nous avons confié une partie du capital pour les intégrer davantage à notre aventure.

PIE : Les cabinets d’IE sont amenés à se diversifier de plus en plus de nos jours, cette stratégie de fusionner des entreprises aux activités différentes, mais complémentaires vous paraît-elle la plus adaptée aux réalités du marché ?

JRF : Je ne peux pas vous affirmer qu’une stratégie est meilleure qu’une autre, je peux juste vous dire celle que nous préférons, qui correspond à notre personnalité, à notre vision des choses et à notre pratique. Chez Axis, nous sommes des entrepreneurs mais aussi, et avant tout, des consultants et des opérationnels. C’est ce qui nous donne l’envie de rester aux manettes et de concentrer l’essentiel de notre énergie à améliorer notre performance via un effort conséquent de R&D pour créer de nouveaux outils et de nouveaux réseaux au profit de nos clients et de notre équipe. Nous préférons donc investir dans l’amélioration de l’outil plutôt que dans la croissance externe. C’est une approche possible, l’autre consistant à parier sur la croissance externe. Nous sommes plutôt proches du modèle des avocats chez lesquels on observe peu de croissance externe: faire le meilleur boulot possible et satisfaire ses clients permet aussi de gagner en notoriété et attirer des talents.

PIE : La manipulation effraie de nos jours tandis que l’influence séduit. Selon vous, comment le terme s’est-il imposé dans votre métier ? 

JRF : Il est très important de voir ce qu’on entend par là. J’ai participé moi-même à un ouvrage collectif sur l’influence dirigé par Ludovic François, Influentia, dont les chapitres en dévoilaient toutes les facettes. Dans l’influence au sens général on peut ranger plein de choses telles la propagande grossière, la publicité, la communication, les fake news sur internet, l’achat de médias par les opérations capitalistiques, ou encore la rhétorique la plus classique. De mon point de vue, la part de l’influence dans la sphère de l’IE est ce que l’EGE appelle l’Infoguerre. C’est un terme un peu martial pour le monde des affaires où l’on n’est heureusement pas toujours en guerre, mais judicieux puisqu’il montre qu’il existe une information au service de la promotion de ses idées et ses intérêts et une information qui permet d’affaiblir ses adversaires, ce que j’appelle, en assumant parfaitement le terme, la subversion. Et je défends l’idée que la subversion, qui a mauvaise presse pour de bonnes raisons, est parfois légitime dans des situations exceptionnelles. La subversion, qui consiste à saper  l’adversaire comme l’indique son étymologie latine, et à l’affaiblir par l’information et non la désinformation, n’est légitime que dans trois cas de figures dont un qui est parfaitement du ressort de l’IE, les deux autres présentant un intérêt sociologique. Le premier, et par là je rejoins mon histoire initiale et mon parcours militant, c’est la résistance contre les dictatures. Bien que ce ne soit pas exactement le sujet, il me semble  néanmoins légitime face à des régimes oppressifs de les affaiblir par l’information, en particulier parce qu’ils sont mensongers, voire totalitaires. Cela permet de démontrer la réalité de leur pouvoir, la corruption, la violence, tout ce qu’ils essaient de censurer et de cacher et c’est non seulement de bonne guerre, mais aussi extrêmement utile pour les affaiblir à l’international et même au sein  des pays. La deuxième est du ressort de la société civile. Ce sont les ONG qui, lorsqu’elles démontrent que les multinationales ou les politiques se sont livrées à de la corruption, de la pollution, et tout type de turpitudes, rendent service à la société. Je n’ignore pas que des ONG puissent être des instruments de manipulations, cependant la dénonciation de blanchiment d’argent, de travail forcé ou de pollution cachée reste, n’ayons pas peur des mots, un service rendu à l’humanité par des moyens subversifs. La troisième application qui nous regarde plus directement est celle des entreprises en état de légitime défense comme je décrivais précédemment. Dans un environnement hostile face à un adversaire puissant et bien connecté, qu’est-ce que la légitime défense ? C’est riposter légalement contre ces attaques, et le seul moyen légitime c’est l’information, la subversion. C’est le seul moyen pour amener l’adversaire à résipiscence, à la négociation voir à l’abandon de ses intentions malveillantes, ce que nous faisons régulièrement. Pour résumer, l’influence dans l’IE c’est principalement la communication de riposte. L’utilisation d’infox ou de faux médias serait un dévoiement de la profession, c’est même notre cible prioritaire.

PIE : Avec la montée en puissance des techniques, quelle part représentent le renseignement humain et plus globalement les sources ouvertes dans votre mode opératoire ?

JRF : En volume d’information traitée, force est de constater que l’OSINT est maintenant majoritaire. Je le confesse volontiers en tant que puriste de l’information humaine, le recrutement de spécialistes plus jeunes et très doués dans la matière nous a montré que l’OSINT permettait de faire des prouesses. La surabondance d’infos disponibles sur internet et les informations laissées par les gens parfois malgré eux représentent un volume énorme dont la gestion est une des valeurs ajoutées de l’IE. On est sur deux types d’informations: l’information volumineuse qui suppose un  tri, et l’information rare qui nécessite une enquête. L’information rare est difficile d’accès car essentiellement de provenance humaine. Il s’agit de parvenir au détenteur de l’information, souvent par une série d’intermédiaires mais parfois directement.

PIE : Quelle déontologie pour l’extraction de l’information et son traitement ? 

JRF : Nous nous inspirons dans notre métier de la doctrine de la guerre juste. Cette doctrine a des fondements théologiques que l’ONU par exemple a repris à son compte sur un mode totalement séculier. La guerre juste consiste à se poser la question de la légitimité pour entrer en guerre, jus ad bellum, et la question des moyens pour la poursuivre, jus in bello. Ramenée à l’IE, le jus ad bellum s’applique dans deux situations. En situation de renseignement préventif, on parle de légitime curiosité. Par exemple, lorsqu’un client veut racheter une société, il est légitime de vérifier l’intégrité de ses dirigeants et de ses activités pour analyser les risques. Par contre, il n’est pas légitime d’user de voyeurisme pour faire pression lors des négociations. Dans le domaine de l’investigation, on revient à la légitime défense. Le jus in bello suppose évidemment un contexte légal, sinon on sombre dans l’espionnage. Le respect de la source et le respect du client nous permettent d’être plus exigeants sur le plan éthique que les lois ne peuvent l’être. Pour la source, il  ne faut pas mettre en difficulté le détenteur de l’information, à l’instar du journalisme. Pour le client, il s’agit de livrer des informations exemptes de mensonges ou d’approximations. Les données étant invérifiables, il est aisé de tromper, ce qui contreviendrait gravement à notre déontologie.

PIE : Vous avez une expérience de 25 ans dans l’Intelligence économique, quel regard portez-vous sur l’évolution du métier ?

JRF : Un regard positif assurément. Je me souviens des temps héroïques et d’une forme d’amateurisme sympathique (pas tant que ça tout de même, sinon les clients n’auraient pas recouru à ces services !). Je ne renie absolument pas les débuts, les réseaux étaient embryonnaires, les nouvelles techniques, mais c’est là-dessus que nous avons construit le reste. Les progrès ont été extrêmement importants, la déontologie est venue en marchant face à certaines demandes de clients, la méthodologie a été progressivement construite et est maintenant très aboutie. La perspective de nombreuses améliorations est particulièrement stimulante, avec encore des réseaux à construire et beaucoup de jeunes à former. La qualité des candidats et des nouveaux arrivants a énormément progressé. Nous ne sommes pas obnubilés par les diplômes, mais c’est quand même un signe puisque ces gens font le choix de venir dans l’IE. Quand vous sortez d’HEC, de SciencesPo ou de l’ENS, que vous avez le choix entre la banque d’affaires et l’Intelligence économique et que vous choisissez l’IE, c’est assez flatteur pour notre métier.  Ceci étant, nous avons également travaillé avec des profils d’autodidactes très compétents. Cette qualité de l’effectif nous permet, sur l’ensemble du métier de l’IE, d’avoir une offre plus mature, et à nos clients d’en faire un usage plus professionnel.  Il n’y a plus d’opération sur le marché qui n’ait lieu sans un cabinet d’IE désormais. Maintenant, il y a toujours un décalage entre la perception du grand public et la réalité du métier. “Vivons heureux, vivons cachés” n’a ni grand sens ni grand intérêt pour l’avenir de notre métier. Le secret professionnel est une chose, expliquer notre mode d’action en est une autre. Il est important de communiquer sur le métier dans d’autres circonstances que celles des (rares) scandales.

PIE : Face aux deux géants français que sont l’Adit et Avisa Partners, comment résiste une structure plus petite dans un environnement si concurrentiel ?

JRF : Personnellement et sans forfanterie, je ne nous sens pas bousculés. D’abord, les besoins restent supérieurs à l’offre; encore faut-il transformer ces besoins en demande, ce qui n’est pas la même chose. Les besoins en IE sont extrêmement importants, pour autant peu de pays ont un marché aussi dynamique que le nôtre, exceptés les États-Unis et la Grande Bretagne. En Europe, l’offre est plus limitée, avec des cabinets de petite taille qui se vendent souvent aux anglo-saxons. Ensuite, pour revenir à la concurrence, à périmètre égal, les moyens déployés sont les mêmes pour nous que pour les plus gros cabinets. Si le nombre de missions est inférieur, la qualité, elle, n’est pas un problème. La taille critique, de mon point de vue, est celle qui permet de mener à bien des missions passionnantes. Dès le début, alors qu’Axis n’était encore qu’une petite structure, des grands groupes nous ont confié des missions extrêmement importantes de défense contre les OPA hostiles, de contentieux contre des oligarques en Europe de l’Est. Maintenant, l’intérêt de croître (ce que nous faisons) est surtout d’élargir nos horizons, provoquer des rencontres enrichissantes et créer des emplois.

PIE : Votre entreprise est présente à l’international, quelles sont les activités que vous y pratiquez et songez-vous à d’autres aires de développements ?

JRF : Nos développements géographiques ont toujours été assez empiriques, au hasard des rencontres. Nous avons des correspondants, des amis dans le monde entier. À certains moments de notre histoire, certains ont voulu nous rejoindre de manière plus complète et plus visible. C’est comme ça qu’on a eu à un moment un bureau à Miami, en Inde ou à Moscou. Ces gens sont partis, soit parce que le bureau ne marchait pas autant qu’on l’aurait voulu, soit pour gagner d’autres horizons. Ces présences ont toujours été extrêmement utiles pour avoir une visibilité plus précise à l’échelle locale et pour développer des réseaux qui ont perduré après la fermeture des bureaux. À l’heure actuelle, nos bureaux actifs sont à Genève avec le cofondateur d’Axis, Bertrand de Turckheim, qui a rejoint son deuxième pays et qui développe des réseaux très utiles pour des clients très intéressants. Nous avons également des bureaux à Beyrouth, en Thaïlande et à Athènes tenus par de vieux amis d’Axis qui ont constitué des réseaux au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est principalement. Ces gens ont parfois travaillé pour nous officieusement avant de nous rejoindre et de nous représenter. L’important pour Axis c’est d’avoir quelqu’un qui nous consacre du temps et de l’énergie et réciproquement.

PIE : En conclusion, quels sont les projets et les futurs axes de développement d’Altum&Co ?
JRF : La conformité et la lutte contre la corruption sont un vrai enjeu sur lequel nous travaillons à nous développer très prochainement pour monter une offre dédiée. Dans le domaine de la recherche des données hétérogènes, qui est une des parties de l’OSINT, les produits sur l’étagère sont insuffisants ou ne correspondent pas exactement à nos besoins: nous développons donc le nôtre depuis des années. Il est pour l’instant en bêta-test chez certains de nos clients et à notre profit en vue de lui donner une dimension plus large bientôt. On développe également des outils de protection des données qui soient étanches aux attaques les plus violentes et respectueux de toutes les règles en vigueur. Au-delà de ces projets précis, notre objectif est d’améliorer encore plus nos savoir-faire, ce qui passe par la spécialisation de nos collaborateurs sur nos trois métiers, et s’inscrit dans une croissance raisonnable mais volontaire.

Propos recueillis par Antoine Cornu et Hubert Le Gall

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