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Dronisation de la Marine : l’autre bataille que la France ne doit pas oublier

La France, signataire des accords de Montego Bay – la Convention des Nations unies sur le droit de la mer – a longtemps boudé sa puissance maritime. Présente sur tous les continents, elle doit cependant faire face aux enjeux de sécurisation de ses espaces éparses, pour lesquels les drones pourraient bien constituer quelques solutions.

Un contexte de relance propice aux réorientations stratégiques

Le ministère des Armées a dévoilé en février dernier sa stratégie de maîtrise des fonds marins, soutenue par le plan d'investissement « France 2030 ». Cette relance, couplée au retour des guerres de hautes intensités, vient porter un dernier coup de grâce à La Fin de l’Histoire théorisée par Francis Fukuyama. Elle constitue une occasion unique pour changer de cap et revaloriser l’armée.

Dans le cadre du plan de maîtrise des fonds marins, plusieurs dizaines de millions d'euros seront consacrés au développement de technologies innovantes, ce qui inclut l’acquisition d’engins autonomes. À cet égard, la Direction générale de l’armement a notifié le 25 novembre 2022 à Exail – groupe français créé en 2022, résultat du rapprochement d'ECA Group et d'iXblue – un contrat de 2 ans de location de drones sous-marins. La Marine nationale espère, par cette location, dessiner de manière concrète ses besoins futurs.

 

L’utilité des drones, acteurs et perspectives

Si les drones militaires ont convaincu le grand public de leur utilité par la médiatisation du conflit ukrainien, l’engouement autour des drones militaires n’est pas nouveau. De nombreux acteurs se sont déjà illustrés sur ce marché aussi porteur que prometteur.

Pourtant, bien que la France dispose d’une industrie de défense performante et à la pointe de la technologie, force est de constater qu’elle est une des grandes absentes de l’offre internationale dans le domaine. L’éclipse des Occidentaux – mis à part les États-Unis et Israël – a profité à de nouveaux acteurs comme la Turquie et l’Iran. Elles ont en effet réussi à sortir leur épingle du jeu à travers une offre de drones low-cost.

Cette position disruptive vient questionner le modèle économique occidental dans ses fondements. En effet, la doctrine a longtemps privilégié la qualité à la quantité. La perspective soudaine qu’offrent les drones, amorcée par les missiles sol-air, est l’occasion de repenser la quantité. Que pourrait faire la France contre une armée de 50 drones ennemis à 10 000 euros l’unité qui viendrait saturer son espace, espionner ses vaisseaux ou encore s’effondrer sur son territoire ?

Un rapport du Sénat va dans ce sens en évoquant les usages nouveaux des drones (guidage de tirs d’artillerie, leurrage, vols en essaim, attaques suicides) faits « pour pénétrer les défenses sol-air adverses, permettant de réduire l’engagement – et donc le risque d’attrition – des moyens aériens traditionnels ». Cette réflexion conduit donc le Sénat à estimer l’utilité de s’armer de drones peu coûteux et « sacrifiables ». De surcroît, le chef d’état-major des armées a également loué le drone pour ses qualités d’« arme de guerre informationnelle », soit une présence omniprésente capable d’user psychologiquement l’adversaire.

Ces systèmes viennent donc rebattre les cartes de l’équilibre des puissances, mais également des industriels de l’armement. Toutefois, sans se risquer à une analyse exclusivement quantitative de la situation, ces premiers états de fait sont à mettre en perspective avec l’adéquation de la demande client. Les drones de reconnaissance et de renseignement que confectionnent les acteurs traditionnels occidentaux ne visent pas le même cœur de cible que les drones low-cost. Il n’en demeure pas moins que leurs achats, à la portée de tout pays, constituent un autre modèle économique pertinent.

Au cours des discussions quotidiennes, dont celles entre experts, les drones sont dans leur quasi-totalité réduits à cet engin aérien volant qui bourdonne au-dessus des têtes. Cependant, les drones de surface (dits USV/USS) et sous-marins (dits UUV/UUS) n’en sont pas moins stratégiques pour la France, bien au contraire.

 

L’espace maritime français : un territoire sous-exploité, sous-protégé

La France est aujourd’hui, le seul pays où le soleil ne se couche jamais. Cependant, le coq gaulois ne devrait pas claironner fort longtemps car si elle a cet atout à portée de main, il n’en demeure pas moins qu’il est marginalisé, sinon ignoré. Il est d’autant plus à l’abandon que la France ne dispose pas des capacités de surveillance de son patrimoine.

Est-ce à dire que le budget est manquant ? Pourquoi pas. Est-ce à dire que la vision maritime française stratégique est incomplète, sinon inexistante ? On pourrait le penser. Avant toute conclusion hâtive, il faut rappeler qu’il existait une époque pas si lointaine où le budget de la Défense était porté à 4,7 % (1967), et celui de l’Éducation nationale à 3,5 % (1967) ; pourtant, l’Éducation nationale ne s’en portait pas moins bien. Cet aparté rapide permet d’éluder toute réponse amalgamant budget et puissance qui omettrait de fait tout le débat sur la vision stratégique et l’intelligence économique.

La puissance peut être considérée, selon les mots de Raymond Aron, comme la « marge de manœuvre » dont dispose un État. Elle est le résultat d’une réflexion et d’actions raisonnées sur son environnement afin de servir des intérêts stratégiques définis au préalable. Ainsi, il ne faut pas attendre de la mer qu’elle nous apporte de la puissance, comme il ne faut pas se contenter de détenir la plus grande ZEE mondiale pour espérer en récolter les bénéfices. L’attentisme français en ce qui est de récolter les fruits de sa mer fait peser sur l’économie française le poids de ses territoires inexploités, au point qu’ils en deviennent un fardeau.

Une vision stratégique du territoire marin ne serait nulle autre que l’intégration et la conscientisation de la capacité de projection, de commerce, de renseignement et de développement que nous délivre ce territoire bleu.

 

Les atouts que confèrent l’espace maritime

La mer est le territoire sur Terre le moins connu de l’être humain. À horizon 2050, il est certain que les derniers espaces de liberté dans lesquels les acteurs pourront opérer sans être repérés, se trouvent dans les fonds marins. Développer des solutions pour maîtriser ces espaces et se mouvoir en toute discrétion est alors un enjeu d’avenir.

Il faut également ajouter que 90 % des fonds marins demeurent inexplorés. Ils constituent en cela de formidables horizons de recherche et développement sur des questions contemporaines. À titre d’exemple, l’algue posidonie est capable de retenir quatre fois plus de CO₂ que tous les autres systèmes et émet en conséquence un nombre bien plus important d’oxygène. La mer regorge donc de solutions futures et donne en ce sens à la France un avantage compétitif considérable. Elle peut constituer, pour la France, l’opportunité de maintenir son rang parmi les grandes nations exploratrices, chercheuses et innovatrices.

Ces horizons de recherche demandent néanmoins une capacité maximale et à coût réduit de projection, d’accompagnement et de surveillance des trésors jusqu’alors inédite pour les Français. Il est en effet difficile d’imaginer l’envoi d’une force dissuasive peuplée de frégates aux quatre coins du monde. Dans cette optique, l’avenir des forces marines ne peut se concevoir sans l’intégration à bord de systèmes embarqués, de reconnaissance, de surveillance, de renseignement, ou encore de combat.

 

Les drones marins, une aubaine pour la France

La nouvelle arme que constitue le drone est une véritable révolution. Elle offre la possibilité de surveiller, cartographier et marquer une présence sur un espace aérien ou maritime à coût minime. L’intégration des drones dans les nouveaux dispositifs de la Marine nationale a déjà été étudiée. L’opération porte même déjà son sigle  – étape baptême pour tout sujet d’envergure au sein des corps armées – la Dronisation et robotisation intelligente des armées (DRIA).

Les acteurs du secteur français l’ont d’ailleurs compris. Pierre-Éric Pommellet, PDG de Naval Group, a ainsi affirmé que « les drones sont l'avenir du combat en mer ». De même, un rapport du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale détaille tout le sérieux accordé à ces nouveaux enjeux en en faisant un des principaux chocs technologiques à venir.

Le second sujet qu’amène la nouvelle ère amorcée concerne la permanence de l’action de l’homme en mer. Il est indubitable que la logistique liée à l’envoi de marins loin de chez eux comporte ses limites. En revanche, une automatisation complète de la marine, couplée aux techniques de propulsion nucléaire, inhiberait toute raison d’interrompre les missions, si ce n’est à l’occasion de défauts techniques. Des navires autonomes, plus légers et guidés par l’IA pourraient alors sillonner les mers de manière bien plus efficiente.

 

On ne peut évoquer un tel sujet sans porter un regard sur les problèmes philosophiques et les latences juridiques y afférant. Pour Hobbes, il existait une certaine « justice » dans la guerre étant donnée l’égalité devant la possibilité de la mort. Le droit de porter la mort sur les champs militaires était, d’une certaine manière, justifié par la possibilité de mourir soi-même. La DRIA modifie donc nécessairement nos rapports à la guerre et à la mort. De surcroît, face aux gains potentiels apportés par l’IA, toute résistance culturelle au changement pourrait coûter cher et l’acteur qui se refuse au changement périra. Cette bascule au cœur de l’affrontement militaire ne saurait se faire sans un accompagnement normatif et doctrinal qu’il nous appartient de penser aujourd’hui pour être sur le terrain de demain.

 

Benoît Lacoux

 

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