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Normes ESG : un trident contre la BITD européenne

L’inflation régulatrice autour des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) exerce un effet délétère sur la BITD depuis la fin des années 2010. Si cette situation nuit particulièrement au financement des PME de la défense, comprendre les intérêts économiques derrière les manœuvres d’influences autour des normes ESG est essentiel pour protéger l’industrie de défense française.

Ce constat n’est pas nouveau : la mission flash de l’assemblée nationale sur « le financement de l’industrie de défense » de février 2021, revenait sur les menaces d’exclusion de sources de financement nécessaires au maintien et au développement de l’activité des entreprises de la BITD. Ces menaces sont causées par l’apparente dichotomie entre le secteur de la Défense et les critères ESG. De plus, le manque de standardisation des indicateurs ESG crée de grandes disparités d’évaluations par les agences de notation des entreprises de la BITD française. Cela a pour conséquence de leur fermer les portes de certaines sources de financement, y compris auprès de banques françaises, ces dernières craignant qu’une affiliation au monde de l’armement soit néfaste pour leur réputation. L’accroissement du marché des fonds responsables passant de 149 milliards d’euros d’actifs sous-gestion en 2018 à 896 milliards en 2021, soit une augmentation de plus de 500% en 4 ans selon Novethic, amplifie les potentielles conséquences de ce risque réputationnel et aggrave ainsi l’impact négatif pour la BITD.

Défense et objectifs environnementaux : une contradiction qui n’a pas lieu d’être. 

En mars 2021, le Centre de Recherche Conjoint de la Commission Européenne (CRJCE) a émis un rapport technique suggérant d’exclure des portefeuilles d’investissements écolabellisés les entreprises générant plus de 5% de leurs revenus à partir d’armes conventionnelles ou de produits militaires utilisés au combat. Ce rapport a marqué le lancement de la récente Taxonomie Verte Européenne, qui vise à classifier les activités économiques en fonction de leur impact environnemental. Elle étend également l’obligation de rendre compte de la durabilité à plus de 50 000 entreprises. Ce document de la Commission européenne a suscité de nombreux débats et a conduit à l’inclusion de l’énergie nucléaire et du gaz dans la catégorie des énergies de transition. Bien que les Européens aient réussi à trouver un compromis dans le secteur de l’énergie, la pérennité de la Base Industrielle et Technologique de la Défense (BITD) européenne reste à assurer, malgré le désir de l’Europe d’atteindre une autonomie stratégique.

L’Agence Européenne de Défense (EDA), souhaite pousser l’UE à mieux réguler le prisme d’évaluation ESG pour que ces mesures extra-financières n’aient pas d’incidences négatives sur le financement de la BITD européenne, et notamment les PME et ETI du secteur. L’EDA multiplie les effets d’annonces pour favoriser l’accès à des fonds au travers d’une enquête sur le financement privé des entreprises de la BITD européenne et une déclaration commune du comité directeur de l’EDA en date du 14 novembre 2023.

Des efforts de communication, mais un manque d’action 

Le message est encore trop en décalage avec la réalité du terrain. Seul le point 11 de cette déclaration vient rappeler la singularité du marché de la défense. Sa grande dépendance aux commandes publiques, son cadre réglementaire strict et sa vision long-termiste œuvrent déjà en faveur de pratiques durables. Conformément à la théorie de Maslow, les considérations liées au développement durable ne peuvent être envisagées en dehors d’un environnement sécurisé, dont les capacités sont fournies par une BITD souveraine. Elle contribue à la stabilisation des tensions et permet l’innovation inhérente à ce marché. Alors que l’EDA peine à communiquer efficacement sur ce sujet, ces arguments avaient heureusement déjà été mis en lumière par un consortium d’associations de l’industrie de défense de différents pays européens en 2021.

Les points 17 et 20 sont les seuls à proposer des bribes de solutions. La première propose à l’EDA de continuer à surveiller l’impact des évaluations ESG sur la BITD européenne. La deuxième est un appel à la coordination des efforts nationaux et des institutions européennes pour réduire l’incidence négative des critères ESG sur la BITD. Malgré ces annonces,le passage à l’action reste faible.

Les évaluations ESG, un outil de désavantage concurrentiel pour la BITD européenne

Bien que l’Europe s’intéresse aux critères ESG, les agences qui les évaluent sont principalement anglo-saxonnes. Les cabinets les plus reconnus tels que Refinitiv et MSCI ESG ont, au-delà d’une divergence franche entre les appréciations des critères ESG de mêmes entreprises,  une certaine préférence pour les entreprises de l’oncle Sam. Dans les notations, une différence allant jusqu’à 20 points entre les entreprises  françaises et les entreprises américaines de la BITD peut être observée. On constate que les rapports annuels des entreprises européennes et américaines abordent tous le sujet ESG de manière similaire, mais les évaluations qu’ils reçoivent sont différentes. Les agences de notation donnent un avantage concurrentiel aux entreprises américaines de la BITD, renforçant ainsi le rapport de force en faveur des États-Unis dans la compétition avec l’Europe pour les exportations d’armements.

L’affaiblissement des capacités de financement des entreprises des BITD européennes est de surcroît détourné de son effet final recherché, qui était de responsabiliser les entreprises afin qu’elles s’inscrivent dans une démarche de développement durable. Or, on constate que les évaluations ESG sont utilisées par les ONG dans une optique d’affaiblir la BITD. Ces dernières cherchent à atténuer les possibilités d’accroissement de puissance des entreprises d’armement sans prendre en compte leurs besoins pour fournir les capacités matérielles à nos forces de sécurité.

Des alertes déjà relevées par le renseignement au niveau politique

En 2021 le Portail de l’IE pointait le rôle de certaines ONG dans la déstabilisation de la BITD. Le général Éric Buquet, alors chef de la DRSD, mettait en lumière l’action de certaines ONG contre les exportations françaises dans le domaine de l’armement lors d’une audition au Sénat, en 2021. Les ONG Pax, UANI, Amnesty International ou encore Transparency International sont particulièrement dans le viseur des services de renseignement français. Ce qui leur est reproché n’est évidemment pas un positionnement politique, mais des financements étrangers influençant leur positionnement envers la BITD européenne. Cela remet en cause la sincérité de leur véritable combat anti-armement puisqu’ils impactent les intérêts économique et sécuritaire français et européens. « Il faut arrêter de croire que les conseils d’administration des banques décideraient spontanément, du jour au lendemain, d’arrêter de financer les entreprises de la défense », prévenait en juin dernier le sénateur Cédric Perrin, qui alertait sur l’urgence de dénoncer les ONG, dont les actions déstabilisent la BITD.

En effet, les ONG utilisent la réputation des acteurs de l’industrie de défense pour freiner les investissements et les financements de la BITD encore aujourd’hui. Le rapport annuel « Don’t Bank on the bomb » de l’ONG néerlandaise Pax est un exemple de l’influence par l’image de ces organisations. Pax s’attaque principalement aux banques qui aident les entreprises d’armement à se financer.

L’ONG Pax, cas d’une stratégie apparente de transparence orientée contre l’industrie de défense

Pax est une organisation non gouvernementale à but non lucratif localisée aux Pays-Bas et d’envergure mondiale. Son objectif est de favoriser la paix, la réconciliation et la justice dans le monde, en travaillant avec des personnes physiques et morales dans les zones de conflit. Elle est la résultante de la fusion de deux ONG actée en 2006 :  Pax Christi Nederland et l’Interkerkelijk Vredesberaad (IKV). Depuis 2012, elle publie un rapport annuel intitulé « Don’t Bank on the bomb ». L’organisation mène une lutte farouche contre les acteurs de la production d’armes, surtout celles dites «controversées». Leur rapport met en avant les liens entre les banques ou fonds d’investissements et les entreprises de l’armement qu’ils soutiennent. Cette information accessible aussi facilement interroge ainsi sur la véritable volonté de ce type d’ONG car on peut y voir une véritable campagne de dénigrement.

Officiellement, ce rapport est une initiative qui vise à sensibiliser le public sur le financement des armes nucléaires par les institutions financières. Les objectifs du rapport peuvent être examinés à plusieurs niveaux. Le premier but est de favoriser la prise de conscience du public face aux investissements des institutions financières dans des entreprises liées à la production de matériel militaire. « Don’t Bank on the bomb » cherche à mettre en évidence un manque de transparence dans le financement de l’industrie de la défense. L’effet final recherché est d’inciter les banques à adopter des politiques plus transparentes concernant leurs investissements dans la BITD. Le mode opératoire est simple, il s’agit de faire  pression sur les différentes institutions financières en révélant leurs investissements dans des activités liées aux armes nucléaires et conventionnelles, afin qu’elles reconsidèrent leurs politiques d’investissement.

En réponse à la pression publique et à la sensibilisation accrue, certaines banques ou fonds d’investissements ont revu leurs politiques et pris des mesures pour exclure les investissements dans des entreprises de la BITD. Malgré les efforts fournis par la BITD, Pax alimente une antonymie entre les entreprises du secteur et les entreprises «responsables» alors qu’elle n’a pas lieu d’être.

Les rapports de Pax ont eu un impact réel sur la réputation de la BITD auprès des acteurs financiers

L’impact de ces rapports annuels est véritablement significatif sur le financement de la BITD de plusieurs manières. Tout d’abord il se voit par des politiques de retrait d’investissements. Lorsque le rapport révèle les liens entre des institutions financières et des entreprises impliquées dans la production d’armes nucléaires, cela peut inciter certains investisseurs et clients à retirer leurs fonds de ces institutions. BNP Paribas a d’ailleurs cessé depuis 2017 de financer les entreprises liées à la production de mines antipersonnel et d’armes à sous munitions. Ce mouvement de désinvestissement a pour conséquence d’affecter  les finances des entreprises de défense liées aux armes nucléaires mais aussi leur réputation.

Déjà en 2014, Suzanne van den Eynden, membre de l’ONG Pax, avançait que le désinvestissement faisait « clairement savoir aux firmes concernées qu’aussi longtemps qu’elles resteront liées aux programmes d’armement nucléaire, elles seront considérées elles-mêmes comme illégitimes, et comme un mauvais objet d’investissement. Le désinvestissement, opéré même par un petit nombre d’institutions, peut avoir un impact significatif sur l’orientation stratégique d’une société ». Les clients, les partenaires commerciaux et même les employés sont influencés par les informations sur la participation de ces entreprises à des activités controversées, ce qui entraîne des pertes financières importantes. De plus, lorsque des investisseurs ou des banques majeures décident de désinvestir de l’industrie de la défense nucléaire, par exemple, cela crée un effet de cascade. D’autres investisseurs sont donc incités à suivre le mouvement, amplifiant ainsi l’impact financier.

Mais Pax est loin d’être la seule dans ces agissements

Sous couvert de transparence et de paix, une telle traque contre les acteurs de la BITD est au mieux insouciante, au pire délibérément engagée contre les entreprises d’armement. Il est donc intéressant de se pencher sur la structure même de ces ONG car « si les militants agissent en toute innocence, avec naïveté, les financements, eux, proviennent parfois de puissances qui œuvrent contre les intérêts de la France », comme l’explique le général E. Buquet. Alors qui finance ces organisations ? A qui profite (aussi) les travaux de Pax ? Avec qui collaborent ces ONG ? Qui est réellement visé ? Où est la limite entre les armes véritablement controversées et celles indispensables à la sécurité du pays, sur le territoire national ou en opération extérieure ?

Aujourd’hui l’ONG Pax travaille en étroite collaboration avec des organismes comme Amnesty International. Cette ONG a déjà été mise en cause par l’Ecole de Guerre Economique pour ses agissements contre le Maroc, questionnant ainsi la neutralité de l’ONG quant à sa manière de choisir les cibles de ses campagnes et son positionnement politique. Elle était d’ailleurs présente en 2020 avec plusieurs autres ONG comme Human Right Watch pour empêcher l’arrivée d’un cargo saoudien à Cherbourg, qu’elle soupçonnait de venir récupérer des armes à fabrication française. « Je pense que lorsqu’une ONG bloque un port français pour empêcher l’exportation d’armes, il y a un intérêt économique derrière, la difficulté étant de le prouver » s’était alors exprimé le général E. Buquet.

Prise de conscience de l’action des ONG par la classe politique

Dans le domaine des normes RSE et de la taxonomie, le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, Christian Cambon, voit le travail d’influence de certaines ONG comme un « vrai sujet ». « Nous savons que des pays qui veulent nuire à nos industries se servent de certaines ONG. Même si la plupart d’entre elles sont évidemment respectables et font un travail essentiel, d’autres sont cependant instrumentalisées pour pousser ces projets de taxonomie dans un sens défavorable à notre BITD ».

L’acronyme en trois lettres est devenu le trident qui cherche à percer notre BITD que ce soit de manière involontaire, par l’incohérence de construction des évaluations ESG avec l’écosystème des entreprises « duales » ou à dessein, à travers les biais nationaux des agences d’évaluations extra-financières, ou par l’exploitation de l’incohérence des régulations par des ONG. Aujourd’hui les soupçons dominent et le rôle de certaines ONG doit être impérativement investigué afin de « mettre des noms sur ces organisations qui n’ont aucun intérêt à ce que notre BITD se développe » comme invoquait le sénateur Cédric Perrin.

Les rapports de parlementaires à travers toute l’UE et les récentes communications de l’EDA soutiennent un cadre spécifique pour l’évaluation ESG des entreprises de la BITD. C’est notamment le cas en France à travers la proposition dans le Projet de Loi Finance de mettre à contribution l’épargne des français (Livret A) pour soutenir la BITD, dispositif qui fut censuré par le Conseil Constitutionnel à la fin de l’année 2023. Dans un contexte de tensions géopolitiques et de guerres sur presque tous les continents de la planète, la sécurité nationale est un enjeu majeur. Dans cette perspective, la commission de la défense et des forces armées de l’assemblée nationale a initié le cycle Défense Globale, qui a pour objectif d’apporter des solutions concrètes pour permettre à la BITD de faire face à cette guerre d’influence.

Augustin de Bonfils, John-Paul Pénichon et Hugues de Courrèges d’Agnos pour le Club Défense AEGE

Pour aller plus loin :