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Quand Apple et Samsung se livrent une guerre des brevets

Apple, fabricant de l’IPhone, révolution dans le monde des téléphones mobiles, voit les ventes de ses concurrents décollés. Afin de contrer cette envolée, la société déploie des actions juridiques de plus en plus nombreuses contres ses principaux concurrents.

L’image ci-dessous  résume bien l’état actuel de différentes actions juridiques en cours. On constate assez vite que la firme à la pomme est très active dans le domaine (on peut se demander, au vu de cette image, si Apple n’a pas une stratégie plus globale dirigée contre Android).

Depuis un peu moins d’un an, la guerre des brevets qui fait rage entre Apple et Samsung est au centre de l’actualité des nouvelles technologies. Cette guerre des brevets, qui consistent à attaquer un ou des concurrents sur des technologies qui auraient été brevetées, est de plus en plus répandue.
Ces deux constructeurs, parmi les plus grands producteurs de Smartphones/tablettes vendus dans le monde , multiplient les actions en justice depuis la mi-avril avec des stratégies différentes, cela en fonction des pays, et possèdent différents intérêts dans cette guerre des brevets. Après la première attaque, il s’en est suivi un long feuilleton de contre-attaques et de rebondissements.

Tout commence le 18 avril 2011 quand Apple poursuit Samsung auprès de la cour du district de la Californie du Nord et l’accuse d’avoir copié le look-and-feel (aspect et convivialité d’une interface graphique) de ses produits. Cette plainte marque un changement de politique de la part d’Apple, habitué des procès. Le groupe américain ne se contente plus de porter plainte sur un brevet spécifique comme dans le passé, mais se plaint que l’on vole ses « innovations », pour résumer, que Samsung copie non pas une technologie mais tout le produit, sans même chercher à développer ses propres produits . Samsung riposte 4 jours plus tard en assignant Apple en justice dans 3 pays : Corée du Sud, Japon et Allemagne. Samsung accuse Apple de violer plusieurs de ses brevets clés, concernant notamment la technologie 3G+. La suite de ces assignations en justice est connue, elle s’est poursuivie par des interdictions de commercialisation de certains produits dans plusieurs pays.
Des arrangements ont été proposées par Samsung, mais ils ont tous été refusées par le géant de Cupertino. Si le compromis n’est pas le but recherché, quel est l’intérêt pour ses deux constructeurs, pourtant partenaires dans d’autres domaines de se livrer une telle lutte acharnée ?

Apple est en effet l’un des principaux clients de Samsung, qui lui fourni entre autres des écrans LCD, des processeurs ou encore des mémoires flash  (composant électronique à base de semi-conducteur utilisé dans l’industrie informatique comme outil de stockage à petite capacité, utilisé notamment dans les téléphones portables). Cette guerre des brevets pourrait briser le lien qui existe entre les deux fabricants. Mais obtenir une place dominante sur le marché des Smartphones semble plus importante.

Outre le fait de briser une relation, les intérêts de se disputer la propriété de certaines technologies sont nombreux. L’un des premiers intérêts pour ces fabricants est l’élimination directe d’un concurrent sur un marché donné. L’Australie est à ce titre emblématique. Certains produits de Samsung (la Galaxy Tab notamment) y  ont été interdits et Apple aurait été en mesure de prendre une position dominante sur le marché. Mais cette interdiction a été levé, permettant à Samsung, troisième fabricant de tablette mondial, de commercialiser ces produits pendant les fêtes de Noel.
L’assignation des concurrents en justice permet aussi d’avoir un accès à leur technologie, afin de s’assurer que ceux-ci ne violent pas leur brevet ; Samsung a fait une demande début novembre auprès des tribunaux australiens afin d’avoir accès au code source de l’IPhone 4S, ainsi que les accords entre Apple et les différents opérateurs qui vendent l’IPhone dans le pays, cela dans le but d’obtenir une avance technologique et stratégique sur l’adversaire. En effet, tout l’intérêt pour les constructeurs d’attaquer un concurrent devant les tribunaux est de le pousser à démentir la violation de brevet en l’obligeant à fournir des détails techniques sur sa technologie.

L’intérêt économique dans le fait de breveter des technologies est que cela permet au dépositaire des brevets de recevoir des royalties d’entreprises utilisant celles-ci. Mais, de plus en plus de technologies sont aujourd’hui normalisées, et cette normalisation peut parfois poser problème, notamment lorsque la norme a été conçu avec une entreprise qui a en parallèle déposé ses brevets (patent ambush). Par ailleurs, il n’est pas rare qu’une société pousse des constructeurs à adopter ses normes en leurs faisant miroiter la licence d’exploitation du produit pour ensuite se raviser. Elle peut ainsi appliquer ses propres tarifs et conditions pour l’exploitation de la licence (hold up). Autre exemple, lorsque les brevets essentiels à une norme sont détenus par plusieurs sociétés qui demandent chacune des royalties (royalty stacking) , les fabricants sont obligés de payer plus cher pour l’exploitation du produit car ils ont plusieurs interlocuteurs, ce qui augmente les coûts.

Afin d’éviter ce genre de problèmes, les organismes de normalisation demande à ce que soient signés des accords de concession de licences irrévocables à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires, soit en anglais FRAND  (fair, reasonable and non-discriminatory conditions) afin de limiter les monopoles abusifs. Apple a récemment fait appel au FRAND pour se défendre de l’attaque de Samsung concernant la violation de trois de ses brevets liées aux technologies de communication sans fil.

Apple a notamment porté plainte auprès du tribunal de district de La Hague contre Samsung, qui serait coupable de « patent ambush » et de « patent hold up », une fois encore sur la technologie UMTS, nécessaire à la norme 3G. Cette plainte a été rejeté, car bien que Samsung soit le titulaire des brevets de ces technologies, il a déposé une déclaration FRAND depuis 1998 sur celles-ci, signifiant son accord à les partager sous certaines conditions, mais n’a jamais conclu d’accord de licence avec Apple.

Enfin, l’une des nouvelles stratégies dans cette guerre consiste à racheter les brevets d’un autre fabricant afin d’empêcher l’adversaire d’obtenir une technologie qui pourrait lui donner un avantage compétitif. On peut citer notamment le conflit encore une fois entre Samsung et Apple pour le rachat des brevets de RPO (entreprise américaine) , qui a développé une technologie permettant un arrêt de l’utilisation d’écrans tactiles, offrant un meilleur contraste et de moins solliciter la batterie . Apple possède déjà des brevets pour ce genre de technologies alternatives. Obtenir la technologie de RPO permettrait à Apple d’empêcher quiconque d’utiliser cette innovation.

On se rend bien compte aujourd’hui de la place qu’ont pris les brevets dans l’industrie, dans l’électronique notamment, que ce soit pour les fabricants de produits ou pour les concepteurs d’OS ou de logiciels. Cette guerre de papier qui se déroule aujourd’hui met en avant la nécessité de protection de la propriété intellectuelle d’une part, mais aussi l’absence de véritable régulation internationale pour les problèmes qui en découlent. Une normalisation des pratiques seraient la bienvenue pour éviter ce genre de conflit.

Simon Bourdet