Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Le secret des affaires, impératif juridique dans la compétition économique

Deux ans après l’échec de la proposition de Loi du Député Carayon, l’Assemblée Nationale a enregistré le 16/07/2014 une proposition de loi visant à assurer « la protection du secret des affaires ». Cette dernière intervient alors que la France est l’un des rares pays européens à ne pas protéger juridiquement cette notion fondamentale dans le monde économique .

La notion de secret des affaires est au cœur même de la compétition économique. Elle circonscrit le maintien du caractère confidentiel d’un produit ou d’une décision stratégique en mesure de donner à une entreprise un avantage concurrentiel. Le « secret des affaires » comprend donc en ce sens l’ensemble des informations protégées conférant, ou susceptibles de conférer, une valeur économique à son détenteur légitime. Cette notion irrigue par nature le monde économique et en constitue l’un des socles fondamentaux. Malgré cela, la France n’a jamais pris la décision de pleinement protéger juridiquement cette notion (I). Si la proposition de loi en cours a  pour objectif d’assurer une protection effective du secret des affaires (II), cette dernière contient cependant des zones d’incertitude quand à son application concrète (III).

I. Une volonté de protection de la notion tardive

La création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) le 15 avril 1994 à Marrakech répond à la volonté des Etats parties au traité de déployer le libre-échange dans le monde. Pour ce faire, l’accord de Marrakech prévoit notamment l’abaissement des barrières douanières susceptibles d’entraver la libre circulation des biens, et capitaux entre les différents Etats. Cependant certaines restrictions sont admises par l’OMC en ce qu’elles concernent des Aspects de Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC). L’annexe ADPIC prévoit ainsi la possibilité pour les Etats de légiférer de façon à maintenir une protection juridique en matière de propriété intellectuelle et propriété commerciale. C’est au titre de cette protection de la propriété intellectuelle et commerciale que le secret des affaires est consacré dans l’article 39-2 en tant que protection des « informations non divulguées ». Malgré cette perspective offerte par les traités instituant l’OMC, la France ayant pourtant ratifié le document, n’a jamais créé de protection juridique effective du secret des affaires.

Dans le cadre de la stratégie « Horizon 2020 » la Commission Européenne souhaite faire de l’Union Européenne une économie reposant sur une croissance intelligente basée sur le savoir et l’innovation sur la période 2014-2020. Pour ce faire, il était nécessaire de réaliser l’unification du marché unique sur le plan de la protection juridique de la propriété intellectuelle. Harmoniser les régimes juridiques des différents pays doit permettre d’assurer une meilleure protection juridique des économies européennes en la matière. C’est dans cette perspective qu’un projet de directive relatif à « la protection des savoir-faire et des informations non divulguées contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicite » a été mis en place le 28 novembre 2013. De facto, le champ couvert par la directive inclut la notion de secret des affaires.

Malgré ce projet de directive, une proposition de loi relative à la protection du secret des affaires a été déposée le 16 juillet 2014 par le Député Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois à l’assemblée nationale. Cette dernière vise à « doter les entreprises françaises des leviers leur permettant de faire face aux nouvelles modalités de la vie économique dans laquelle la norme juridique s’est muée en instrument concurrentiel, voire en outil de prédation ».

II. La mise en place d’une couverture juridique effective de la notion de « secret des affaires »

La proposition de loi de secret des affaires donne une réalité juridique à la notion qui n’était jusqu’alors protégé qu’à titre accessoire : vol, recel, atteinte au secret professionnelle… La qualification de secret des affaires peut être ainsi appliquée à toute information n’étant pas aisément accessible procurant une valeur économique à son détenteur et qui bénéficie à ce titre de mesures de protections proportionnée au secret concerné.

Cette disposition insérée au sein du Code de Commerce repose sur trois critères cumulatifs. Ainsi l’information concernée :

   – Ne doit pas être accessible en l’état au public et les personnes qui la détiennent doivent être tenues au secret.

   – Doit posséder une valeur économique, avérée ou potentielle pour son détenteur légitime.

   – Doit avoir fait l’objet de mesures de protection proportionnée au secret protégé.

Une information répondant à ces trois critères entrerait donc dans le champ du secret des affaires. La violation de ce dernier entrainerait de fait des poursuites à la fois sur le plan civil et pénal.

Sur le volet civil, le tribunal constatant une atteinte, ou un risque d’atteinte au secret des affaires, peut « prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée telle que saisie, injonction et autre, propre à empêcher ou faire cesser cette atteinte ». Dans le cas où cette atteinte serait constatée, le tribunal est également en mesure d’attribuer des dommages et intérêts pour dédommager la victime.

Sur le volet pénal, la prise de connaissance, la révélation ou le détournement d’une information protégée par le secret des affaires serait susceptible d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 375 000€ d’amendes. Cette dernière serait étendue à 7 ans d’emprisonnement et 750 000€ d’amendes « lorsque l’infraction est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la nation ». Enfin, la proposition de loi prévoit une mesure permettant de rendre effectif ce secret des affaires sur le plan pénal. En effet, le principe du contradictoire implique l’échange de pièces dont la valeur est potentiellement stratégique pour l’entreprise. Ainsi, ce principe est susceptible de porter atteinte au secret des affaires. Pour éviter cela, le juge est en capacité de refuser la production de cette preuve ou alors une production non confidentielle.

III. Une couverture juridique dont l’application demeure incertaine

Plusieurs éléments restent incertains dans la pleine application de la proposition de loi actuellement en cours de discussion.

En premier lieu la délimitation juridique du concept souffre encore de quelques imprécisions. La notion « d’obtention illicite » est trop incertaine et nécessite d’être précisée pour qualifier juridiquement l’acte malveillant : le concept d’intrusion ou de révélation serait à cet égard plus pertinent. De la même manière, le principe du contradictoire – et ce malgré le pouvoir de modulation du juge concernant la présentation des pièces – demeure une condition sine qua none du « droit à un procès équitable » en droit français. Il risque donc d’y avoir des frictions entre ce droit et l’essence même de la protection juridique attachée au secret des affaires.

En second lieu, la notion même de secret des affaires implique que l’entreprise ait procédé à une catégorisation de la sensibilité de ses informations. Cela doit se traduire concrètement par des actes positifs de l’entreprise, que ce soit dans le contrat de travail des salariés, ou bien même dans le règlement intérieur. Le projet de loi ne concernant que le Code du commerce il apparait que de nombreux acteurs économiques, au premier rang les salariés, sont exclus de fait de cette disposition.

En définitive, la prise en compte de la notion de « secret des affaires » marque une réelle avancée juridique dans la protection des intérêts des entreprises. Cependant, l’effectivité d’un tel concept ne sera effectif qu’à condition que les acteurs concernés – entreprises, salariés, autorités de police, magistrats – adoptent une démarche de sensibilisation à ces thématiques et la mette en pratique.

Hugo Lambert