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Sanctions américaines records : un moyen pour les Etats-Unis de contrôler leur environnement concurrentiel économique ?

BNP, Crédit Agricole, Alstom et plus récemment Volkswagen… Depuis quelques années, les entreprises européennes battent des records d’amendes outre-Atlantique. Autant d’éléments qui perturbent les négociations en cours sur le traité transatlantique …

Mardi 20 octobre 2015, la banque selon laquelle « le bon sens a de l’avenir » signait un accord à l’amiable avec les autorités américaines : elle devra régler une amende de 694 millions d’euros pour mettre fin à son litige lié aux embargos américains. Les amendes records similaires à celle du Crédit Agricole, faisant suite à des sanctions américaines, se multiplient dans l’Union Européenne depuis quelques années, et pas uniquement dans le secteur bancaire. C’est l’occasion de revenir sur certaines de ces « amendes historiques », qui parasitent les négociations sur la signature du traité de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne.

 

Des sanctions records pour les entreprises européennes…

En juin 2014, BNP Paribas se voyait sanctionnée d’un montant record de 8,97 milliards de dollars pour n’avoir pas respecté les embargos vers Cuba, l’Iran et le Soudan. Les Etats-Unis considèrent en effet que toute opération faite en dollars doit être conforme à la législation américaine. L’amende qui a sanctionné la violation de l’embargo américain avait poussé François Hollande à écrire à son homologue américain pour l’alerter du « caractère disproportionné des sanctions envisagées » contre la banque. L’amende infligée à la banque française est en effet sans précédent pour un groupe étranger. Au-delà du paiement, la banque avait également dû reconnaître publiquement sa culpabilité, et a plaidé coupable de violation de sanctions. Le groupe s’est en outre vu interdire pour une durée limitée certaines transactions en dollar. La banque n’avait pourtant brisé aucun interdit français ou européen dans ses échanges avec Cuba, l’Iran et le Soudan. Mais les Etats-Unis profitent allègrement de leur contrôle sur le dollar pour appliquer ses sanctions hors de ses frontières. Cette affaire avait connu un précédent en 2013, lorsque Clearstream, la filiale dédiée à la compensation de l’opérateur boursier allemand Deutsche Börse, avait, dans des conditions similaires à celles de la BNP, versé 152 millions de dollars aux Etats-Unis afin de mettre un terme à des poursuites liées à la violation de sanctions imposées à l’Iran.          

Début 2015, c’était une banque allemande, la Deutsche Bank, qui s’était vue infliger coup sur coup deux amendes historiques aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, pour un total avoisinant 2,5 milliards d’euros. On l’accusait alors de manipulation sur les taux interbancaires Libor et Euribor entre 2005 et 2010, engendrant un énorme scandale financier.

En décembre 2014, le groupe français Alstom écopait d’une amende de 772 millions de dollars au terme d’un accord conclu avec le département américain de la Justice. L’entreprise a reconnu que certains de ses responsables et employés ont versé des pots-de-vin à des officiels en Indonésie, en Egypte, en Arabie saoudite, dans les Bahamas et à Taïwan pour remporter des contrats, violant ainsi la FCPA.

En juin 2015, le géant pétrolier britannique BP, accusé d’avoir provoqué une marée noire dans le golfe du Mexique en 2010, écope d’une amende de 20,8 milliards de dollars, qu’il devra payer en plus des 30 milliards de dollars investis pour le nettoyage des côtes du golfe du Mexique. Elles avaient été polluées par la marée noire déclenchée par l’explosion en 2010 de la plateforme de forage Deepwater Horizon de BP.

La dernière sanction en date concernait, il y a un mois, le géant automobile allemand Volkswagen qui, suite au trucage des tests antipollution de ses véhicules Diesel, encourt une amende de 37 000 dollars par modèle vendu, soit un total de 18 milliards de dollars pour tricherie, versé à l’Etat américain.

 

…accompagnées de manques à gagner abyssaux

Outre les sanctions financières, les entreprises européennes souffrent également d’un manque à gagner lié aux différents embargos en vigueur dans la législation américaine. Ainsi PSA a perdu en 2012 un marché qui représentait 20% de sa production totale : l’Iran. En effet, suite à l’entrée de General Motors dans le capital du groupe français, l’executive order act signé dans la foulée contraignait ce dernier à se retirer du marché iranien en moins d’un mois. Nexans et Renault ont également dû faire de même (le constructeur provisionnait alors 800 millions d’euros de pertes, avec les conséquences sociales que l’on connait).

Comme le soulignait le rapport de la délégation de la commission des finances du Sénat, « s’il n’est désormais pas rare que les sanctions sectorielles américaines incluent les transactions financières, l’extension des sanctions aux entreprises codétenues (« under common ownership or control with ») est une spécificité de cet executive order« . Ce rapport, sur les relations économiques et financières entre la France et l’Iran, rédigé par le Sénat en 2014, n’hésite pas à parler de « tutelle de fait des États-Unis sur notre système bancaire et financier, voire sur le droit français et le droit européen dans leur ensemble » et même d’« hypocrisie américaine« , compte tenu de la présence d’entreprises américaines en Iran (Boeing, Coca-Cola, et même General Motors).

Loin d’être une fin en soi, ces sanctions ont donc permis aux Etats-Unis de préserver, voire de développer les marchés de leurs entreprises nationales, en affaiblissant leurs concurrents, sous couvert du respect de l’environnement (BP, VW) ou de la démocratie (PSA, BNP).

De plus, toutes ces sanctions ont des conséquences sur les relations interrégionales : elles nuisent d’ores et déjà aux négociations sur le traité transatlantique, en discussion entre les Etats-Unis et l’UE depuis 2013. Ce traité a pour vocation de créer la plus grande zone de libre-échange au monde, avec 850 millions de consommateurs, qui porterait sur la moitié du PIB mondial. Si la France lui reprochait déjà un manque de transparence, les affaires énoncées supra le font désormais se heurter à des problématiques liées au droit international et à l’extraterritorialité. Laurent Fabius déclarait à propos de l’affaire BNP, que « si dans le cas d’une banque européenne, c’était d’unilatéralisme qu’il s’agissait et non pas de réciprocité, ça risque d’avoir des conséquences négatives ». Peut-être que ces sanctions constitueront finalement un atout pour l’Union Européenne, pour lui permettre de protéger ses intérêts à la table des discussions de la signature de ce traité…


Angéline Steinbach