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Affaire des Rafale, la portée du droit américain plus longue que celle des missiles.

La nouvelle fait grand bruit : la vente de douze Rafale à l’Égypte serait mise entre parenthèses par Washington. La difficulté ne vient pas des avions à proprement parler, mais des missiles de croisière « SCALP », que les égyptiens souhaitent monter sur les Rafale. Ces missiles, pourtant développés par MBDA et fabriqués dans le Loir-et-Cher, comportent en effet « une petite puce électronique » d’origine américaine : dès lors, la simple présence de ce composant leur permet l’application de l’extraterritorialité de leur droit.

La vente à l’Égypte, bien partie lors de la visite d’Emmanuel Macron en fin d’année dernière et qui avait reçu l’aval de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), achoppe aujourd’hui sur la décision des États-Unis de ne pas exporter une pièce nécessaire à la fabrication des missiles. Ce composant Made in USA donne en effet lieu à l’application des normes ITAR (International Traffic in Arms Regulations).

 

L’ITAR est l’une des multiples émanations de la fameuse extraterritorialité du droit américain. Ce terme désigne la possibilité pour les États-Unis d’appliquer leurs propres normes si un quelconque élément américain venait à se trouver imbriqué dans des faits litigieux, ou contraires à leurs intérêts, et ce partout dans le monde. Il revient à l’esprit de tous l’exemple de la banque BNP-Paribas, condamnée à une amende de 7,9 milliards d’euros pour avoir contourné des embargos américains tout en libellant ses transactions en dollar ; On peut également citer le cas Alstom, condamné à une amende record pour des faits de corruption violant le FCPA américain (Foreign Corrupt Practices Act), qui a la possibilité d’intervenir quand les faits sont commis – entre autres – par une entreprise cotée à la Bourse américaine, ce qui était le cas d’Alstom en 2004. Malgré ce rapport de force déséquilibré, il faut savoir que « le terrain judiciaire n’a jamais été exploré par crainte pour les groupes visés de se voir boycotter en plus d’être déjà sanctionnés financièrement. Leur pusillanimité se comprend quand on examine les maigres chances de succès d’une action devant la Cour suprême des États-Unis. » (Hervé Guyader).

L’ITAR est relié au DDTC (Directorate of Defense Trade Controls), dont le but affiché est de veiller à ce que les exportations commerciales d'articles de défense et de services de défense soient conformes aux objectifs de sécurité nationale et de politique étrangère des États-Unis.

Cette extraterritorialité peut se révéler un véritable instrument de guerre économique (rappelons que l’amende subie par Alstom avait entrainé la vente de sa branche énergie à General Electric) comme un moyen de pression (ce qui semble être le cas du présent sujet).

 

Concernant les motifs susceptibles de pousser les États-Unis à freiner la vente, il est possible que les autorités américaines redoutent une montée en puissance militaire d’une Égypte qui semble se rapprocher de la Russie. Les relations entre le Caire et Washington se sont de plus largement détériorées depuis le coup d’état survenu en Egypte en 2013, plaçant le général Al-Sissi à la tête de l’État ; ce contexte s’était révélé une aubaine pour les Russes et les Français, lesquels ont pu réaliser une grande percée dans le pays, au détriment des Américains.

Une autre hypothèse – probablement concomitante à la première – pourrait être que, du point de vue américain, « ce type de missile serait tout à fait problématique dans toute la région du Moyen-Orient s'il venait à être utilisé par exemple contre les intérêts, pourquoi pas israéliens, pourquoi pas engagés en Libye. C'est une arme qui a véritablement un potentiel de changer la balance ou l'équilibre des forces au Moyen-Orient. » (Alexandre Vautravers).

La France, qui avait déjà réussi, rappelons-le, à revendre aux égyptiens les navires Mistral refusés à la Russie, notamment sous la forte pression américaine,  ne semble donc plus faire les affaires de Washington en faisant celles du Caire.

 

Pour l’heure, les difficultés françaises semblent compliquées à surmonter :

  • un gain d’indépendance dans le cadre de l’Union Européenne – que pourrait rendre possible une coopération en matière d’industrie d’armement – est rendu improbable en raison d’intérêts divergents des états membres ;
  • une autonomie stratégique française, complète et sans faille, en ce qui concerne les composants, est rendue difficile en raison de « l’internationalisation des chaines de valeurs qui caractérisent l’armement » (Adrien Caralp). « Bien sûr, l'industrie française aurait certainement souhaité avoir un produit 100% français, mais il faut bien entendu considérer le coût de développement de chaque pièce, de chaque partie d'un système de missile de croisière aussi complexe que le SCALP, avec potentiellement une situation où personne ne serait en mesure d'acquérir à l'exportation cette arme » (Alexandre Vautravers).

 

Ce type d’affaire comporte cependant un précédent, comme le rappellent Les Echos : il avait en effet fallu, dès 2014, une visite de François Hollande aux États-Unis pour débloquer la vente de deux satellites espions aux Emirats Arabes Unis. La France s’était heurtée, là aussi, à un refus des Américains d’exporter certaines pièces fabriquées sur leur sol.

Emmanuel Macron devant se rendre aux États-Unis les 23 et 24 avril prochains, il faut espérer, si une solution n’était pas trouvée préalablement, qu’un règlement semblable puisse être obtenu.

 

 

Ces types de désagréments sont préjudiciables pour les affaires que concluent de grandes entreprises françaises comme MBDA, notamment pour les délais de livraison qu’ils entraînent. Un mécontentement est d’ailleurs grandissant chez les autorités égyptiennes, qui demandent maintenant les missiles SCALP gratuitement.

Une fois de plus, « la question de l’extraterritorialité des lois américaines reste entière puisqu’à chaque manifestation, elle oblige […] à devoir entamer des discussions qui confinent plus ou moins à devoir courber l’échine. Il faut reconnaître à cette mécanique une efficacité absolue puisqu’elle revient, sous le prétexte d’une régulation économique visant à prévenir les fraudes, à arbitrer le droit du commerce international avec comme seul prisme l’intérêt américain » (Hervé Guyader).

 

Yvan Failliot

Sources, par ordre d’utilisation :

CABIROL M., « Rafale en Egypte : les Etats-Unis bloquent », 16/02/18

LITTLE K., REIFMAN S. et DIETRICK A., « U.S export controls apply extraterritorially », 

RUSSEL G., « BNP Paribas : pourquoi la France ne comprend pas la décision américaine », 06/06/2014

AFP, « Etats-Unis: Alstom paie une amende record pour faits de corruption », 22/12/2014

GUYADER H., « Vente de Rafale bloquée : la France subit (encore une fois) la loi américaine », 23/02/18

Directorate of Defense Trade Controls

ATER A., « Egypte : l’alliance Moscou-Le Caire se précise », 12/12/17

RFI, « Une législation américaine bloque la vente de «Rafale» à l'Egypte par la France », 16/02/18