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Loi Pacte : de nouvelles armes pour contrôler les investissements étrangers en France

L’examen du projet de loi « Pacte » (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a commencé mercredi dernier à l’Assemblée nationale dans l’objectif de son adoption en 2019… Parmi les multiples facettes du projet de loi, une attire particulièrement l’attention de la communauté de l’intelligence économique en France : celui concernant les investissements étrangers.

Les fantômes d’Alstom, des chantiers navals de Saint-Nazaire ou encore de Linxens, fraîchement vendu cet été à un groupe chinois, hantent encore les mémoires. Si les investissements étrangers en France (IEF), étaient déjà contrôlés par le décret Montebourg, celui-ci serait renforcé significativement par la loi Pacte. Ce renforcement est contenu à la section 4 du projet de loi, sobrement et clairement intitulée « Protéger nos entreprises stratégiques ». L’exposé des motifs du projet de loi explique à ce propos que « les investisseurs étrangers sont les bienvenus et la France croit aux vertus économiques du libre-échange. Cependant, ils doivent savoir que leurs investissements devront être respectueux de nos règles et de nos intérêts souverains, tout comme le font les autres pays, y compris les plus favorables au libre-échange ». Reconnaître les intérêts souverains et reconnaître que tous les pays protègent ces mêmes intérêts souverains, c’est admettre l’existence d’une compétition, si ce n’est d’une guerre, économique qui ne sera gagnée que si les pouvoirs régaliens s’y invitent. L’objectif du décret Montebourg et de la section 4 de ce projet de loi vise donc à empêcher la vente d’entreprises françaises, vente qui affaibliraient l’autonomie et la puissance de l’Etat, et donc de la France, dans les secteurs sensibles comme l’énergie, l’eau, les transports ou encore l’armement…

Les pouvoirs du ministre

A l’heure actuelle, le ministre de l’économie peut déjà autoriser ou refuser un investissement. Il peut notamment refuser l’investissement au regard de deux critères explicites et limitatifs, définis à l’article R.153-10 du code monétaire et financier : si l'investisseur est susceptible de commettre une série d'infractions ou si l’investissement ne peut que porter atteinte aux intérêts nationaux. Le ministre peut également autoriser un investissement sous conditions (article L151-3 du code monétaire et financier)  « visant à assurer que l'investissement projeté ne portera pas atteinte aux intérêts nationaux ».

A ce propos, la commission d’enquête parlementaire chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d’entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d’Alstom, d’Alcatel et de STX, soulignait un manque de transparence :

« Tout d’abord, le dispositif français de filtrage des investissements est parfois peu connu. Il faudrait avantage expliciter les différentes étapes du filtrage des investissements effectué par l’administration car « plus la prévisibilité progresse, plus les investisseurs sont contents de travailler avec un pays comme la France », selon l’expression de M. Pascal Dupeyrat, représentant d’intérêts et auteur du Guide des investissements dans les secteurs stratégiques. Introduire davantage de transparence dans la procédure ne signifie pas mettre fin à la discrétion nécessaire aux impératifs de secret défense et de secret des affaires. Il est utile de rappeler, afin de rassurer les investisseurs, que les différentes étapes de la procédure auront lieu en toute transparence mais resteront entourées de la confidentialité nécessaire à la bonne réalisation des transactions.

Le dispositif actuel manque également de transparence au sens où aucune statistique relative au filtrage des investissements étrangers n’est publiée. Cela est à même de nourrir le sentiment, soit que l’État ne protège pas les intérêts stratégiques du pays soit, à l’inverse, qu’il bloque de nombreuses opérations en toute opacité, ce qui peut décourager les acteurs étrangers à investir en France. Certains pays publient des statistiques relatives au filtrage des investissements directs étrangers. »

 

La loi Pacte veut renforcer les pouvoirs de police administrative du ministre de l’économie, en complétant notamment son pouvoir d’injonction, afin que soit respectée la réglementation des investissements étrangers :

  • En cas de non-respect des conditions imposées, l’investissement pourra toujours voir son autorisation retirée, et le ministre pourra fixer des conditions additionnelles (telles que la cession des activités sensibles) non prévues dans l’accord initial, afin de pallier le manquement constaté, ou même enjoindre l’investisseur de respecter ses engagements ;
  • Afin d’anticiper les risques d’atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou à la défense nationale, le ministre sera en mesure de suspendre les droits de vote de l’investisseur, de désigner un mandataire chargé de veiller à la protection des intérêts nationaux, et également d’empêcher l’investisseur de disposer des actifs ou de percevoir des dividendes.

S’ajoutant aux mesures de police administratives, un pouvoir de sanction est prévu par l’article 55 du projet de loi. En effet, le ministre pourra sanctionner un investisseur dans le cas de la réalisation d’une opération sans autorisation préalable ; de l’obtention d’une autorisation préalable par fraude ; du manquement aux conditions ; et du non-respect d’une injonction. Il pourra prononcer une amende dont le montant ne pourra excéder :

  • le double de l’investissement réalisé ;
  • 10% du chiffre d’affaires annuel de la société cible ;
  • 1 million d’euros pour les personnes physiques et 5 millions d’euros pour les personnes morales.

Si ces sommes peuvent paraître trop faibles, alors que la situation actuelle fixe le montant « au double du montant de l’investissement irrégulier » seulement, Olivier Marleix qui a présidé la commission d’enquête chargée d’examiner les décisions de l’État en matière de politique industrielle, affirme que ce sont des sanctions plus réalistes, qui seront plus facilement utilisées et donc plus crédibles.

Les domaines sensibles protégées

Aujourd’hui le décret Montebourg couvre plusieurs types d’investissements « de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale » : les prises de contrôles, l’acquisition d’une branche d’activité ou le dépassement de la détention d’un tiers du capital de la société (pour des investisseurs hors espace économique européen et hors Union européenne).  

En mai 2014, le décret Montebourg est venu élargir la liste des secteurs protégés : aux jeux d’argents, à la sécurité privée, à la lutte contre le terrorisme, aux « matériels conçus pour l’interception des correspondances », à la sécurité des technologies de l’information, aux entreprises « dépositaires de secrets de la défense nationale », au commerce d’armes et aux entreprises en relation avec le ministère de la Défense, sont ajoutés l’approvisionnement en eau et en énergie, les transports, les communications électroniques, la santé, ainsi que les établissements, installations et ouvrages d’importance vitale au sens du code de la Défense.

La loi Pacte entend élargir par décret la liste des secteurs relevant d’une procédure d’autorisation préalable, « afin de mieux protéger les secteurs d’avenir », souligne l’examen des motifs du projet de loi. La liste élargie devrait notamment inclure l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs.

Les avancées en matière de protection des secteurs industriels stratégiques témoignent d’une prise de conscience progressive des pouvoirs publics, exécutif et législatif, quant aux enjeux qu’ils représentent pour la France. Si cette prise de conscience est relativement tardive et lente, d’aucuns avertissaient des dangers et enjeux d’une guerre économique mondiale il y a déjà trente ans, il faut donc continuer à user de pédagogie quant à la réalité et l’effectivité de rapports de force dans le monde économique, et à la nécessité de se doter des moyens de les faire basculer à notre avantage. A cette fin, l’exécutif aura bientôt de nouvelles armes à sa disposition avec cette loi Pacte, encore faudra-t-il qu’il en ait la volonté. La vente récente de Linxens saluée par Bercy dès juillet dernier, et avant même le lancement des négociations officielles, laisse quelques doutes à ce sujet…