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Prost contre Barilla : simple procès ou machine de guerre économique américaine à l’action ?

Une class action (recours collectif) a été intentée contre la marque Barilla aux États-Unis : les consommateurs à l’origine de ces poursuites accusent les produits de Barilla de promouvoir une identité italienne de manière à « se créer un avantage concurrentiel injuste » et vendre leurs pâtes plus chères.

Cette histoire peut prêter à sourire : l’État fédéral américain qui s’en va juger la légitimité d’une marque fondée en 1877 à Parme, et détenue en majorité par la famille italienne Barilla, sur sa capacité à pouvoir revendiquer son origine italienne ou non. Ce scénario, à la limite du comique, ne serait-il pas en réalité une nouvelle démonstration de la polyvalence de la machine de guerre économique américaine ? Une nouvelle preuve que les Américains savent user du droit comme d’une redoutable arme de guerre économique ?

 

Préalablement, il convient de rappeler – pour ceux qui ne sont pas familiers avec le système juridique américain -, que la class action se définit comme une procédure par laquelle un ou plusieurs individus engagent une action en justice pour le compte d’un ensemble de personnes. 

L’affaire est portée devant la Cour californienne à Oakland et tombe donc sous le coup de la loi fédérale américaine mais également de la loi californienne. Les plaintifs, Matthew Sinatro et Jessica Prost, sont représentés par le cabinet Clarkson. L’accusation repose essentiellement sur le fondement de l’article 17500 du code commercial californien et avance que Barilla a transgressé cet article puisque « la représentation d'origine italienne diffusée au public par le biais de l'étiquetage, de l'emballage et de la publicité des produits est déloyale, trompeuse, fausse et mensongère »

Toutefois, en analysant la plainte, on découvre que l’argumentaire des plaignants repose sur trois éléments : le slogan de Barilla « Italy's #1 Brand of Pasta » (la marque de pâtes numéro un en Italie), la charte graphique des boîtes de pâtes (ou les trois petites tâches aux couleurs de l’Italie) ainsi qu’une vidéo publiée sur les réseaux sociaux de la marque reprenant l’histoire de la sauce carbonara. D’après l'accusation, ces éléments induisent complètement en erreur le consommateur et le poussent à croire que les pâtes sont fabriquées en Italie et avec du blé italien. Si l’on se réfère à l’article 17500, qui encadre les publicités mensongères, la définition donnée est assez large mais voici quelques exemples donnés pour illustrer ce texte de loi : un fabricant de tee-shirts annonce que ses produits sont « Made in the U.S.A. », alors qu'ils sont en réalité fabriqués dans un autre pays, et une société de boissons communique sur sa nouvelle eau aromatisée « sans calorie », alors qu'elle en contient en réalité 100 par bouteille.

Seul bémol pouvant s’opposer à l’argumentaire des plaignants : Barilla n’a pas fait cela. La marque italienne n’a jamais revendiqué que ses produits vendus en Amérique du Nord étaient fabriqués en Italie. À l’inverse, elle mentionne sur l’emballage que ses pâtes sont fabriquées aux États-Unis, et explique également sur son site internet que les pâtes vendues sur le continent américain proviennent des usines d’Ames (état de l’Indiana) et d’Avon (état de New York). Dans les faits, la situation demeure inchangée pour le consommateur américain puisque les pâtes sont fabriquées en utilisant la même recette mais également les mêmes machines et les mêmes ingrédients que pour les pâtes vendues en Italie ou autour du monde. 

S’il s’agit donc d’un avantage pour les plaignants, qui peuvent utiliser l’interprétation assez large de l’article de loi, cela devrait également permettre de soulever les incohérences juridiques de la plainte.

 

En plus d’être la marque de pâtes leader en Italie, Barilla l’est également à l’échelle mondiale. Sans  forcément signifier que ses produits sont les meilleurs sur le marché, ou que la marque vend uniquement des pâtes fabriquées en Italie, il s’agit de  l’entreprise qui en vend le plus. Cette place s’explique assez simplement par la puissance de sa machine industrielle qui lui permet d’être très présente dans les rayons de supermarché d’un côté et de pouvoir offrir un très bon rapport qualité-prix de l’autre. L’autre important facteur de réussite est lié à ses équipes marketing qui ont transformé le simple plat de pâtes en un produit presque gastronomique qui reste cependant accessible à tous à travers le prix ou sa préparation (comme l’illustre cette campagne publicitaire  sur Spotify, dont les musiques permettent de chronométrer le temps de cuisson des pâtes). 

En ce qui concerne les pictogrammes vert blanc rouge qui forment un drapeau italien sur l’emballage des pâtes, la loi américaine est très permissive sur le sujet et ils ne sont en aucun cas considérés comme étant un signe de provenance (sauf pour le drapeau des États-Unis, qui ne peut pas servir d’outil publicitaire en tant que tel, bien que la Fédéral Trade Commission soit particulièrement regardante sur l’appellation « Made in USA »). C’est d’ailleurs ce laxisme juridique qui permet à un vin blanc pétillant californien de pouvoir être vendu sous l’appellation « Champagne », ou à du fromage américain d’être vendu en tant que « Mozzarella », ou « swiss cheese ».

Enfin, en ce qui concerne la vidéo pointée du doigt, il s’agit d’un court métrage racontant la légende de la naissance de la sauce carbonara avec – en protagonistes principaux – un chef italien et un soldat américain. La marque Barilla n’est jamais mentionnée, si ce n’est son logo qui apparaît trois secondes (chrono en main) sur un total de neuf minutes de vidéo. Il devient, dès lors, difficile d’expliquer comment cet élément peut avoir induit en erreur un consommateur sur la provenance de ces pâtes.

 

Un procès inéquitable ?

À propos de la juge fédéral Donna Ryu, diplômée de l’université de Yale (1982) et de Berkley (1986), elle débute sa carrière en tant qu’avocat et finit par ouvrir son cabinet Ryu, Dickey & Larkin en 1994, à Oakland en Californie. Elle devient ensuite professeur de droit clinique à la faculté de droit Hastings de l'université de Californie en 2002. Il s’agit d’une personnalité investie dans la société civile. La juge Ryu a effectivement fondé un institut de formation national sur les recours collectifs, Impact Funds, dont elle assure la direction jusqu’en 2010, lorsqu’elle devient juge. Il est depuis dirigé par Jocelyn D. Larkin, avec qui elle avait justement créé son cabinet d’avocat en 1998. La spécialité d’Impact Funds est intéressante dans la mesure où cet institut a pour spécialité de dispenser des formations intensives de trois jours sur les recours collectifs aux praticiens du droit d'intérêt public, comme le sont les avocats du cabinet Clarkson.

Ce dernier est un cabinet d’intérêt public spécialisé dans les recours collectifs. Ces cabinets sont des associations privées d'avocats à but lucratif et se distinguent des autres cabinets privés par le fait que leur mission première est d'aider les personnes ou les causes sous-représentées, plutôt que la recherche d’intérêts pécuniaires. Dans le dossier de plainte, on apprend d’ailleurs que Shireen Clarkson, partner du cabinet, représente les plaintifs. Pour Matthew Sinatro et Jessica Prost, il s'agit d'une aubaine dans le sens où Shireen Clarkson était justement étudiante en droit clinique à la faculté de droit Hastings entre 2001 et 2004, quand la juge Donna Ryu y devenait professeur associée en 2002. À ce jour, bien qu’aucune corrélation n’ait pu être établie, ces faits pourraient soulever la question d’un éventuel conflit d'intérêts.

 

Des attaques réputationnelles visant à affaiblir l’image de Barilla aux USA

Pendant près de deux semaines, fin octobre, les journaux américains reprennent l’information avec des titres qui s’éloignent parfois de la réalité sur l’affaire judiciaire en cours, laissant sous-entendre que la firme s’invente une identité italienne qui ne lui appartient pas ou que l’affirmation « marque de pâte numéro 1 en Italie » a été jugée comme trompeuse.

Une attaque informationnelle et réputationnelle de cette ampleur laisse forcément des traces, à plus forte raison quand le point de comparaison central de l’affaire concerne les entreprises américaines concurrentes de Barilla. Ces dernières profitent des arguments avancés par les plaintifs et repris mot pour mot par tous les journaux américains : « moitié prix et identiques en termes de qualité ».

L’impact réputationnel pour l’entreprise italienne sera donc conséquent, d’autant plus que la stratégie de l’entreprise a été de ne pas commenter l’affaire. Une riposte bien maigre quand cette affaire revêt tous les aspects d’un cas d’école de guerre informationnelle particulièrement offensive à l’encontre de l’entreprise italienne. Pour la plupart des Américains, cette affaire n’est qu’une énième histoire de multinationale étrangère qui utilise son pouvoir pour augmenter son profit sur le dos du peuple. En témoignent les arguments avancés dans la plaidoirie qui se révèlent émotionnels, et non juridiques. La finalité est de pouvoir écarter l’entreprise italienne sur ce marché décisif et grandissant.

Dans ce contexte, l’entreprise TreeHouse Food devrait être largement en mesure de profiter de la situation. Fondée en 1862 dans l’Illinois, elle produit et vend un portefeuille complet d'aliments et de boissons sous marque de distributeur : ils sont les acteurs clés d’un système économique agroalimentaires où ils tiennent le rôle de sous-traitants de la supply chain de nombreuses marques de riz, de pâtes, ou de snacks présents dans les rayons de supermarchés américains, et possèdent, évidemment, leurs propres marques. D’autant plus que cette entreprise a acquis, le 5 novembre 2020, le portefeuille de marques de pâtes américaines de Riviana Foods (ancienne filiale d'Ebro possédant de nombreuse marques, notamment Panzani, restée sa propriété) pour 242,5 millions de dollars en espèces et se plaçait donc comme principal rival de Barilla sur le marché des pâtes pour lequel Statista prévoit une croissance annuelle de 3,14 % (taux de croissance annuel composé pour 2022-2027). Toujours selon cette étude, le marché mondial des pâtes alimentaires a été évalué à près de 44 milliards de dollars américains en 2021 et devrait atteindre 77,82 milliards de dollars en 2029. Il est alors légitime de s’interroger sur le bien-fondé de l’action intentée contre Barilla au regard de tels enjeux économiques. 

 

Arnaud Bossy Casteret pour le club Droit & IE de l’AEGE

 

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