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Entretien avec Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de Guerre Economique.

Christian Harbulot, directeur de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), publie un nouvel ouvrage intitulé : Sabordage – Comment la France détruit sa puissance, aux Editions François Bourin.

Vous publiez un ouvrage au titre évocateur : Sabordage – Comment la France détruit sa puissance. En vous lisant, vous donnez l’impression d’entretenir une vision tragique de l’histoire contemporaine. Faut-il vous ranger parmi les déclinistes ?

Non, je ne présente pas une vision tragique de l’histoire contemporaine, mais plutôt une vision pessimiste sur l’évolution de la France.

J’ai écrit ce livre pour deux raisons : d’abord parce que la France a un véritable déficit de réflexion sur la question de puissance, ensuite pour essayer de concevoir une ébauche de grille de lecture afin d’expliquer pourquoi nous en sommes arrivés là. Ce livre ne vise pas simplement à dénoncer une situation, mais à trouver des solutions. Je ne suis ni pessimiste, ni décliniste. La priorité absolue, pour un pays comme le nôtre, est de retrouver une vision de la puissance. Historiquement, la France a lâché prise après 1815, non pas d’abord à cause de la défaite militaire de Waterloo, mais parce que c’est à notre principal adversaire – la Grande-Bretagne ndlr- que nous devons le rétablissement du roi de France. Cette interférence britannique nous a amenés à faire des concessions et nous a alors empêchés d’avoir une vision unifiée de la puissance.

Deux siècles plus tard, la reprise en main n’a pas eu lieu. Elle aurait pu intervenir à la fin du XIXème siècle après la nouvelle défaite française face à la Prusse, mais aussi après avoir tiré les conséquences des erreurs majeures qui ont été commises au XXeme siècle : les clauses du Traité de Versailles, la défaite de Juin 1940 etc.

À qui profite ce sabordage ? À la différence du sabotage qui est la destruction intentionnelle du bien d’autrui, notre principal ennemi ne serait-il pas nous-mêmes ?

Oui, notre ennemi est bel et bien nous-mêmes, c’est-à-dire notre incapacité actuelle à avoir une autonomie de pensée. Et l’Europe n’est pas la solution à l’impuissance française ! L’Europe permet simplement à la France de se décharger de sa responsabilité. L’Europe est une réalité géostratégique qui vit sous la « tutelle » américaine et qui craint de s’en extraire. On le constate tous les jours en soulignant l’incapacité pour l’Allemagne et la France de « s’unir », et en observant la constante perfidie anglaise face à l’UE.

En 140 pages, vous dressez un portrait sévère mais lucide de la situation actuelle. Quels sont, selon vous, les moyens de puissance à employer pour parvenir à un redressement salutaire de notre pays, avant qu’il ne soit trop tard ?

Depuis 1945, nos élites (politiques, économiques, financières etc.) se reposent sur les Etats-Unis. La France s’est progressivement dessaisie de sa propre vision stratégique de la puissance. Pour moi, aucune personne politique en France n’incarne actuellement ce renouveau d’une pensée stratégique autonome. C’est là un point faible de notre pays. L’avenir de la France dépend de la manière dont certains citoyens vont défendre leur volonté de vivre ensemble dans ce pays coûte que coûte : c’est la base de « l’unité recomposée ». Il va donc falloir établir une stratégie sur des logiques qui ne sont pas seulement opportunistes : des activités ancrées sur le territoire, compétitives face à la concurrence internationale. Mais il nous faut aussi faire un effort de relecture de ce que nous sommes : c’est indispensable !

Vous dirigez depuis 17 ans l’Ecole de Guerre Economique, première formation en intelligence économique. Comment cette discipline – et ses étudiants – peut-elle contribuer à sortir la France de ce que vous appelez « la spirale infernale » ?

La génération montante n’aura pas le choix. Je crois à l’émergence d’une catégorie d’acteurs qui ne se contentera pas de vivre sur ses acquis, je veux croire à un sursaut générationnel fondé sur notre héritage industriel. A l’EGE, nous voulons alimenter ce sursaut, à contre-courant s’il le faut.

Pierre VINCENT et Arnaud MENU