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Intelligence économique & géopolitique

Le Festival de Géopolitique de Grenoble, dont la prochaine édition aura pour thématique « Dynamiques Africaines » vient de lancer son appel à communication. Entretien avec Jean-Marc Huissoud, co-organisateur du Festival.

Le Portail de l’IE était présent lors 7ème édition du Festival de Géopolitique de Grenoble, du 12 au 15 mars 2015. Outre son retour sur la table ronde franco-suisse dédiée à la Géopolitique du goût, de la bataille des terroirs à la diplomatie culinaire, le Portail a réalisé à cette occasion une série d’interviews qui seront publiées cet été. Première d’entre-elles avec Jean-Marc Huissoud, Directeur du Centre d’Etudes en Géopolitique et Gouvernance de Grenoble Ecole de Mangement (GEM) et co-organisateur du Festival de Géopolitique, qui se triendra pour sa 8ème édition du 16 au 19 mars 2016 à Grenoble sur le thème « Dynamiques Africaines« , et dont l’appel à communication vient d’etre lancé.

Coordinateur du Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, corédacteur du Rapport Anthois 2010 La guerre économique ainsi que du Manifeste pour une éducation à la paix économique, Jean-Marc Huissoud effectue pour nous le lien entre Intelligence économique & géopolitique. Interview.

PIE : La thématique du Festival cette année était « Les frontières ». Constate-on l’émergence, ou la réémergence, de « frontières économiques » ?

Jean-Marc Huissoud : J’ai beaucoup de mal avec le terme « économie ». La tentation est de diviser les dimensions économiques, politiques, sociales, voire même culturelles. Or, l’économie n’a pas de logique ou de sens, seule. Dans le cadre du festival, nous employons par exemple d’avantage le terme de « géoéconomie ».

De même, séparer économie et politique me semble très superficiel. Pour rebondir sur votre question, évidemment qu’aujourd’hui, un des grands aspects du fonctionnement des frontières, la question de les ouvrir ou de les fermer, repose sur une dimension économique. C’est ce qui est au cœur du débat public, qu’il s’agisse des notions de protectionnisme ou de « patriotisme économique », et qui génère deux fantasmes :

  • Le premier, c’est que si on ouvre les frontières, l’économie sera bénéficiaire
  • Le second, c’est que si l’on reste chacun chez soi, en protégeant son économie, il n’y a aucune ouverture possible.

Or, il faut permettre aux marchés de s’approvisionner, réfléchir à « comment on contractualise » en soulevant des questions d’accords équitables et arriver à un développement par le commerce. Il est en fait nécessaire d’avoir une approche économique, mais avec les notions de politiques et de société afin de se poser enfin les bonnes questions.

PIE : Qu’en est-il alors de la dimension « économique » de l’Intelligence Economique ? Y a t’il un lien avec la géopolitique ?

J-M. H. : Le problème de l’Intelligence Economique, c’est qu’il ne s’agit pas d’Intelligence économique mais d’intelligence POUR l’économie. Si on veut aller plus loin en IE, il faut, selon moi, abandonner l’idée que l’IE est économique.

Si on garde à l’esprit qu’il s’agit de l’économie comme condition de la société, alors finalement la géopolitique et l’IE sont la même chose. La géopolitique, c’est « l’étude des relations entre communautés humaines, que ces relations soient de collaboration ou de conflit ». On ne peut plus, on ne doit plus, faire abstraction des changements politiques car les entreprises ne sont pas que des victimes de l’instabilité économique, elles la génèrent parfois.

PIE : Comment la Grenoble Ecole de Management perçoit la géopolitique ?

J-M. H. : Du point de vue de Grenoble école de management, mais en accord avec les parties prenantes, on ne peut pas se contenter de penser que la géopolitique c’est uniquement pour les diplomates ou les géographes. Cela concerne tous les gens qui sont en interaction avec un environnement régional ou mondial qui présente des incertitudes et donc des risques d’inadéquations, d’erreurs stratégiques, d’opinions, qui impactent tout le monde aujourd’hui.

Qu’on le veuille ou non nous sommes ouverts à tout ce qui se passe sur la planète, nous sommes potentiellement impactés par tout ce qui s’y passe. Parce qu’au final, nous sommes tous, quelles que soit nos activités, quelque part, lié à un territoire lui-même en relation avec d’autres territoires.

Il y a des fractures dans nos sociétés qui se bâtissent sur des représentations erronées d’un certain nombre de choses, par exemple sur la question de la nation, des frontières, des migrants, des religions, sur les questions de développement durable… si on n’a pas une vision du système mondial, avec les acteurs multiples, on risque de se tromper et on n’a pas le droit de multiplier le risque de se tromper par absence de volonté de comprendre.

PIE : Par conséquent, est-ce qu’il faut, comme pour l’IE et selon votre expression, « aller plus loin » en géopolitique ?

J-M. H. : La géopolitique, historiquement, est une approche très marquée d’idéologies. Mais aujourd’hui, je crois qu’il faut pratiquer une géopolitique en tant qu’objet. Il ne faut pas en faire une méthodologie trop rigide, qui servirait à auto justifier des positions qui sont prises en avance.

On essaie de regarder les objets qui nous intéressent (une région, une économie…) en se demandant ce que c’est et quelles sont les informations dont on dispose dessus aujourd’hui, de manière pluridisciplinaire. Car si on veut la voir en trois dimensions, il faut multiplier les regards pour avoir des éclairages multiples et déterminer quels sont les plus pertinents : ethnologique, linguistique, macroéconomique, microéconomique, historique, mentalités, religions… Nous diffusons ces grilles de lectures à travers les programmes d’enseignements.

PIE : Cela doit forcément impacter le modèle pédagogique et le mode de transmission des savoirs…

J-M. H. : Ces programmes sont forcément limités en temps. Ils n’apportent pas tout. Il faut des choses complémentaires, qui vont être l’apport de formations pédagogiques hors classe, qui n’ont pas forcément pour cible des étudiants, mais toutes les personnes qui souhaitent s’instruire. C’est ce que nous essayons de transmettre avec l’aide du MOOC : diffuser le savoir au maximum de gens. On ne délivre pas de diplôme, mais un certificat, et ce, de façon gratuite et ouverte.

L’idée c’est vraiment de véhiculer notre discours, notre image d’institution prenant ses responsabilités. Certes, c’est une action de stratégie de l’entreprise GEM mais aussi une action citoyenne. Nous sommes conscients qu’il faut refonder notre pensée car le monde change : la crise, les nouvelles technologies sont notre quotidiens à tous.

PIE : Quel impact a selon vous aujourd’hui la « société de l’information » ?

J-M. H. : Une chose a changé avec l’arrivée du web, de la télévision numérique, des voyages : on ne peut plus se permettre d’avoir de préjugés, sous prétexte qu’une zone est éloignée et qu’on ne sera pas en rapport avec elle. Il faut en avoir conscience et le comprendre, pour éviter que cela ne devienne anxiogène.

Le but c’est de le rendre intelligible sans nier les problèmes, mais mettre un sens sur ce qui est trop souvent perçu, du fait des médias, comme étant essentiellement de l’émotion. Mais le numérique n’est pas une fin en soi. Les Mooc par exemple ne font pas tout, ce n’est pas forcément la forme pédagogique idéale, et cela demande de l’investissement : c’est un vrai enseignement.

PIE : La 8ème édition du festival, en 2016, aura pour thème « Dynamiques africaines ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

J-M. H. : Le format se veut un peu plus court. On va essayer de couvrir le sujet sous tous ses aspects, avec un maximum de diversités. C’est un sujet très complexe, car il y a beaucoup de récits et légendes dans l’approche de ce continent, et surtout beaucoup d’idées préconçues. Il s’agira de parler de l’Afrique des crises mais aussi parler de l’Afrique en marche, car tout ne va pas mal sur le continent.

Il faudra également s’interroger sur la relation de l’Occident à l’Afrique. Il y a beaucoup de choses établies de longue date qui nécessitent d’être revues et réévaluer. Je pense qu’on est en train d’assister à une forme de seconde décolonisation, ou du moins un changement des rapports Nord/Sud. Ne pas oublier non plus d’insister sur la pluralité de ce continent qui présente des diversités de climat, d’expérience politique, de langues…

A nouveau, il faut se pencher sur l’objet et le mettre en lumière sous diverses disciplines. Il faut le regarder, par-delà le prisme de son histoire commune avec les européens. C’est loin d’être simple, à cause du passé colonial. Bref, considérons l’Afrique, les Afriques et les africains comme autant d’acteurs, de lieu de pouvoirs et de puissances émergentes à redécouvrir, et arrêtons de croire que ce continent ne se fabrique que de l’extérieur.

Interview réalisée par Stéphanie Gino