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Interview de Pierre Bellanger : la souveraineté, enjeu central de la révolution numérique.

A l’occasion de sa contribution au Forum International sur la Cybersécurité, Pierre Bellanger, auteur de l’ouvrage « La souveraineté numérique » (éditions Stock, 2014), a accepté de répondre aux questions du Portail sur les enjeux de la révolution numérique contemporaine.

Connu pour être le PDG de Skyrock, vous vous êtes illustrés récemment par la rédaction d’un ouvrage sur « la souveraineté numérique » : quelles sont les raisons de la rédaction de cet ouvrage ?

J’ai voulu faire partager une prise de conscience et une grille de lecture de la réalité de ce que nous appelons la révolution numérique. Dans les faits, nous perdons la maîtrise de notre destin sur les réseaux informatiques et par conséquent y laissons notre République, notre liberté, notre vie privée, notre propriété intellectuelle et notre économie. C’est la question de la souveraineté numérique. Les réseaux sont un espace au même titre que la terre, la mer, l’air et l’espace. Pourquoi ne pas y appliquer nos lois et donc l’expression démocratique de notre volonté commune ? J’ai écrit ce livre pour que cette question devienne centrale. Car le réseau ne s’ajoute pas au monde que nous connaissons, il le remplace. En effet, le réseau est le premier vecteur productivité et de croissance de valeur, c’est notre chance. Pourquoi ne pas vivre cette dynamique exceptionnelle avec notre droit et en étant notre propre centre de gravité économique ?

Le numérique se déploie peu à peu dans l’ensemble des secteurs économiques : quelles sont les principales conséquences de cette transformation numérique?

Le réseau concentre, multiplie et transfert la valeur. La puissance informatique transforme le réel en informations. Ces informations permettent de réduire les gaspillages.  Leur valeur est par conséquent considérable. Un tiers de l’essence consommée est brûlée pour chercher une place où se garer. La coordination de l’information de la place disponible et du véhicule à placer vaut un tiers de notre facture pétrolière automobile. Qui dispose de ces informations remplace ceux qui n’en disposent pas et recueille l’essentiel de la valeur issue de cette efficacité nouvelle. C’est toute notre économie qui est ainsi transformée. Bien entendu, si cela a lieu, c’est que cette efficacité est bienvenue et souhaitée. Ce n’est pas la question. La question est la suivante : la valeur transférée est-elle réinjectée partiellement dans notre écosystème économique pour accompagner le changement et le développement ou bien s’échappe-t-elle nous en laissant les coûts sans les bénéfices ?

Est-il possible de réguler les rapports de force entre les grandes entreprises du numérique et le reste de l’économie ?

Le même droit, la même fiscalité, les mêmes normes. C’est la base. Ensuite sur ce terrain équitable, nous avons a développer les outils pour que nos industries et nos services soient garantis de leur indépendance. L’usage de systèmes d’exploitation, de logiciels et de services qui ne répondent pas de nos règles est dangereux. Il faut donc rétablir une République numérique, seul support viable de toutes nos entreprises. Une des premières étapes est de créer un système d’exploitation souverain, le SESO, qui présent dans toutes les intelligences connectées et en se mettant lui-même en réseau soit le support du droit, des libertés et de notre prospérité.

Le gouvernement prépare actuellement une loi sur le numérique : quels sont les impératifs pour renforcer l’écosystème numérique français ?

Il faut arrêter l’hémorragie de données. Nous sommes en salle d’urgence sur ce sujet. Le meilleur moyen d’arrêter ce siphonage est de comprendre que les données au XXI ième siècle ne sont plus solitaires, c’est-à-dire ne renseignant, à la manière du fiche cartonnée, que sur un seul individu.  Les données sont aujourd’hui solidaires. Par leur nature, elles sont désormais liées entre elles : comme un carnet d’adresses, un rendez-vous, un courrier électronique. Enfin, par les algorithmes de corrélation, les données des uns servent à prédire les comportements des autres et de surcroît permettent d’utiliser de simples échanges sur des réseaux sociaux pour définir des probabilités de remboursement de prêts ou l’état de santé d’une personne.  La reconnaissance de cette nouvelle dimension des données : formant un réseau indivis leur donne un statut de bien commun à gérer comme tel et donc suspend le pillage. Cette reconnaissance donc est une révolution qui change la donne. Dans un monde ou tout devient réseau maintenir les données isolées devenait une fiction dangereuse.

En quoi les métiers de l’intelligence économique peuvent venir servir les intérêts des entreprises numériques françaises ?

Ce qui est important, c’est que les directions des entreprises prennent conscience des enjeux numériques et d’autre part apprennent à manier les outils conceptuels et pratiques pour les prises de décision dans ces domaines. C’est pour cela qu’une nouvelle école supérieure d’Internet a été créée : le Centre des Études du Cyberespace, le CHEcy. J’invite les cadres dirigeants à y venir. Le CHEcy est une des initiatives fortes de rétablissement de notre efficacité sur les réseaux et donc de notre souveraineté numérique.

Propos recueillis par Hugo Lambert