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L’eau risque-t-elle d’être un frein au développement du Brésil ?

Avec l’un des systèmes fluviaux les plus étendus au monde et bénéficiant de conditions climatiques favorables, le Brésil possède 12% des réserves mondiales en eau potable. De telles capacités confèrent un avantage stratégique au Brésil, qui pourrait néanmoins être remis en cause par la mauvaise gestion de cette ressource.

La croissance du « Géant vert »

L’eau a joué, au Brésil, un rôle crucial pour son développement économique. Conscient des caractéristiques offertes par sa diversité climatique, l’étendue de ses terres cultivables et de ses ressources hydriques, le pays a concentré sa stratégie de développement régional et mondial via son secteur primaire (28% de son produit intérieur brut). Avec de faibles ressources en pétrole et en gaz, le Brésil a également su mettre à profit ses ressources hydriques. Avec plus de deux milles barrages, et quelque 115 usines hydroélectriques, le pays produit aujourd’hui 92% de son électricité. Enfin dans une logique de rayonnement international, le Brésil a récemment fait le pari de la production et l’export de biocarburants, comme le biodiesel et l’éthanol, en investissant massivement dans la production de canne à sucre.            Le Brésil est ainsi rapidement devenu un acteur majeur au sein des BRICS, jouant un vrai rôle sur la scène internationale. Cependant, s’en tenir à ce simple constat reviendrait à omettre une partie considérable dans l’analyse des conséquences immédiates ou potentielles, pesant sur la gestion de cette ressource pour le pays.

« Le paradoxe Brésilien » 

Ce concept repose sur l’ambivalence entre l’abondance de cette ressource en eau et sa mauvaise gestion. Le premier constat est d’ordre naturel. Le pays souffre d’une inégale répartition de ses  richesses hydrologiques au regard de la répartition de sa population. En effet 70% de l’eau se trouve en Amazonie, région où vit moins de 7 % de la population nationale. La majeure partie de la population du pays, (80%) vivant sur le littoral Est, du Nord au Sud, où se trouvent à peine 10% des réserves en eaux. Le second constat est directement lié à l’impact direct et indirect de l’homme. Deux points d’actualité sont importants à mettre en lumière afin d’illustrer ce propos. Il y a un an, en pleine période électorale, la plus grande mégalopole d’Amérique du Sud, Sao Paulo, avec plus de 20 millions d’habitants, a traversé la période de sécheresse la plus sévère jamais connue depuis 84 ans. Alimentant 45% de la région métropolitaine, les quatre lacs du réservoir de Cantareira, au nord de la ville, se sont retrouvés presque à sec. Les Paulistes, contraints à vivre depuis des années avec une eau non potable, se sont retrouvés en situation de rationnement, en plein été. Cet évènement a permis de mettre en avant le second plus gros scandale de corruption du Brésil après celui de Petrobras, celui de la Sabesp. Cette société en charge de l’eau et de l’assainissement des 364 communes de l’État de Sao Paulo, a été accusée de ne jamais avoir terminé ses travaux de traitement des eaux.  Elle est également sous le coup d’une instruction judiciaire. En effet, cotée à la bourse de São Paulo, la Sabesp, dont l’État est actionnaire majoritaire, aurait versé près de 5 milliards de réal (1,7 milliard d’euros) à ses actionnaires privés pendant la durée du contrat de concession, soit le double de son budget dédié à l’assainissement.

Le deuxième exemple date lui du 5 novembre 2015, date à laquelle, selon le ministre de l’environnement Brésilien Izabella Teixeira, le pays a connu la pire catastrophe naturelle de son histoire, avec la rupture du barrage Fundao. Appartenant à la société minière Samarco, ce barrage contenait les déchets du processus d’extraction du fer dans l’État de Minas Gerais. Outre les conséquences directes : des millions de poissons morts et 280 000 personnes privées d’accès à l’eau potable, la pollution des nappes phréatique aura des répercussions sur des décennies. Ces deux exemples traduisent le manque patent de considération de la part du gouvernement sur le développement et l’entretien de ses infrastructures de traitement et d’exploitation de l’eau. On considère en effet que la vétusté et le non-entretien des canalisations laissent s’échapper par an  près 46% du volume de l’eau qui y circule, ce qui suffirait à approvisionner en eau la France, la Belgique, la Suisse et le nord de l’Italie. De plus, 45% de la population n’a pas accès à l’eau traitée et 96 millions de personnes n’ont pas d’égout.

La stratégie brésilienne et ses perspectives

Paradoxalement le pays a toujours pris la mesure de l’importance stratégique de cette ressource. Partageant des bassins transfrontaliers avec ses dix voisins, le Brésil a très vite intégré la dimension géostratégique du contrôle amont ou aval de ses ressources. Après la chute de la dictature militaire en 1988, la constitution citoyenne a défini l’eau comme un bien public et une prérogative de l’Union, lui conférant ainsi un réel cadre juridique afin d’anticiper d’éventuelles rivalités étatiques. Il faut également remettre le Brésil dans son contexte. Longtemps considéré comme un pays en voie de développement, il est devenu en trente ans une des puissances émergentes majeures. Il est louable pour un pays s’inscrivant dans une dynamique de puissance, d’avoir privilégié son développement économique au détriment de sa population ou de considération écologique. Aujourd’hui, on voit le gouvernement s’inscrire  sur une gestion durable de l’eau afin « d’assurer en permanence l’utilisation et la conservation des ressources en eau, en tenant compte des aspects économiques, sociaux et environnementaux ». Cependant la dynamique de conquête régionale de la part du gouvernement de Dilma Rousseff sur l’Amazonie suit celle déjà initiée sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso en 2000. Il s’agit de mettre au centre de la stratégie du Brésil, l’exploitation du bassin amazonien par le biais de l’initiative d’intégration de l’infrastructure régionale en Amérique du Sud (IIRSA). La finalité ayant été la mise en place d’importants projets hydroélectriques dans la zone, et le souhait a été exprimé de continuer dans ce sens. Officiellement, le gouvernement fait mine d’avoir pris la mesure de l’importance de la préservation de l’eau, mais affiche sa volonté de continuer son expansion économique. Officieusement, il reste dans une logique électorale et adopte une vision court-termiste. Les conséquences se feront ressentir par vague, comme nos deux exemples cités plus haut. La réelle crainte est sur le long terme, si personne n’agit réellement. La déforestation de l’Amazonie aura de réelles conséquences sur l’ensemble de la planète. L’autre soulèvement viendra de la population, pas de la génération des parents, encore sous le traumatisme de la dictature, mais celle de leurs enfants qui commencent petit à petit à se soulever, et c’est bien là que se trouve le levier qui pourra ralentir ou faire basculer l’économie du Brésil.

Paul Noel