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Élargissement de l’Union économique eurasiatique : la Russie cherche à verrouiller le marché iranien

Avec le revirement de Donald Trump concernant la nouvelle politique iranienne mise en place par Barack Obama, sont arrivées les premières sanctions économiques. Qui dit sanctions américaines dit aussi extraterritorialité du droit américain. C’est aujourd’hui la Russie qui cherche à tirer parti du verrouillage politique de la question iranienne en « Occident », avec la ratification d’un traité de libre-échange entre l’Union économique eurasiatique (UEE) et l’Iran.

Le retour du régime des sanctions américaines, un coup dur pour l’ouverture du marché iranien aux entreprises européennes

Federica Mogherini, à la tête de la « diplomatie européenne », s’est insurgée en octobre dernier contre la position américaine. Elle a cherché à défendre les investisseurs européens qui avaient pris pied en Iran, expliquant qu’ « aucun pays au monde ne peut mettre fin seul à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a été adoptée, et adoptée à l’unanimité. » C’est pourtant, de la part du chef de la diplomatie européenne, mal connaître l’influence des sanctions américaines au travers de l’extraterritorialité du droit américain.

À titre d’exemple, c’est  BNP Paribas qui a fait l’expérience de cette politique américaine en 2014. En effet, pour avoir enfreint les sanctions mises en place par les États-Unis contre le Soudan, Cuba et notamment l’Iran, la banque française s’est vue infliger une amende de 9 milliards d’euros. On peut dès lors comprendre pourquoi les entreprises européennes restent frileuses quant à l’idée de garder un pied sur le marché iranien, ouvert grâce à l’accord de 2015. Malgré les déclarations de Mme Mogherini, on peut comprendre les réticences des entreprises européennes, et surtout françaises, qui ont constaté les effets d’extranéité du droit américain : Alstom, Peugeot, Alcatel

Les Européens trinquent, Moscou et Pékin se partagent le gâteau

Ainsi, ce sont les entreprises russes qui pourront tirer profit du retrait français d’Iran à la suite du retour des sanctions américaines.

Peugeot sera contraint de renoncer à son premier marché à l’étranger. Autant d’aubaines pour les constructeurs KIA ou GAZ (Usine Automobile de Gorkovski, constructeur russe de bus et camions) qui pourront profiter du retrait de Peugeot, qui pesait, à lui seul en 2017, plus du tiers du marché automobile iranien (36%) selon l’institut du commerce italien.

Malgré les menaces de sanctions américaines qui pèsent sur les entreprises installées en Iran, Renault semble disposé à rester sur le marché iranien à ses risques et périls. Le constructeur ne souhaite ainsi pas quitter son huitième pays d’exportation (162 000 ventes en 2017). Ce qui peut lui permettre de récupérer le marché abandonné par PSA, mais au risque de tomber sous le coup des lois anti-corruption américaines, et de se mettre lui-même en difficulté.

Airbus trouvait également son compte dans ces partenariats avec l’Iran. L’entreprise avait signé un contrat avec IranAir à hauteur de 18 milliards d’euros. Malheureusement pour le géant européen, ces sanctions pourraient également l’amener à se retirer du marché iranien. De son côté, Moscou tente d’avancer ses pions, et a obtenu la signature d’un contrat entre IranAir et Irkut (Sukhoi), pour la commande de 40 SSJ-100. L’avionneur russe essaie également de profiter de cet appel d’air pour mettre en avant son nouvel avion plus « fin » que le SSJ-100, le MC-21, qu’il a déjà présenté à Téhéran.

C’est aussi et surtout dans le domaine énergétique que le coup risque d’être le plus dur pour l’Hexagone. En effet, avec près de 20% des réserves mondiales de gaz, deuxième réserve du monde derrière la Russie, et 4ème  pour le pétrole, les entreprises françaises de l’énergie se privent d’un partenaire clé. Total, qui avait décroché le contrat « South Pars » en Iran, dont les recettes pour l’exploitation du plus important gisement gazier du monde étaient estimées à 5 milliards de dollars., s’est vu en effet obligé de se retirer du partenariat. L’exploitation a finalement été  récupérée par CPNC, le colosse chinois de l’extraction hydrocarbure.

Les sanctions américaines paralysent les entreprises européennes, mais ne mettent toutefois pas fin à l’accord sur le nucléaire iranien. C’est ainsi Rossatom qui va construire la centrale de Bushehr 2, après avoir construit Bushehr 1 en 2011, et ce, dans le respect du droit international. Une aubaine pour Téhéran comme pour Moscou, qui joue de cette posture légaliste pour redorer son image à l’international.

L’extension de l’UEE à l’Iran, partie de go eurasienne ?

C’est presque immédiatement après le retour des sanctions américaines – 12 jours pour être précis – que le Kremlin propose un accord de libre-échange entre l’Union économique eurasiatique (UEE) et l’Iran. Après l’éloignement progressif de l’Ukraine déchirée entre l’Europe et la Russie, et les bravades géorgiennes de 2008, portée par les perspectives d’un partenariat avec l’OTAN, la Russie s’est vue privée de deux partenaires-clés. Difficile, ici, de ne pas voir un pied-de-nez russe à l’Occident en cherchant à verrouiller le marché iranien.  

Ce pourrait être aussi pour la Russie une occasion décisive de sécuriser ses exportations d’hydrocarbures, en resserrant ses liens avec un des principaux exportateurs mondiaux. La perspective d’une guerre des prix des hydrocarbures serait effectivement une aubaine pour la Russie, qui a considérablement pâti de la chute du prix du pétrole en 2014. Cette perspective semble d’autant plus crédible avec comme client une Chine, cœur industriel mondial, toujours plus demandeuse d’hydrocarbures – et notamment de gaz – pour alimenter son industrie.

Mais, on peut voir dans ce partenariat Iran-UEE, récemment ratifié par la Douma d’Etat, une manœuvre pour consolider les quelques acquis commerciaux obtenus en Iran. L’UEE, prenant la suite de la CEI, organisation internationale abandonnée après les revirements stratégiques de l’Ukraine et de la Géorgie, est pour la Russie un moyen de sécuriser ses exportations.

En effet, après l’épisode libéral difficile de la décennie 90, Moscou sait que son industrie n’est pas assez compétitive à l’international. L’Union économique eurasiatique, zone de libre-échange qui se veut  le pendant eurasiatique de l’Union européenne, donne l’opportunité à la Russie de développer ses exportations hors hydrocarbures. La Russie cherche effectivement à ne pas rester trop dépendante de ses ventes d’hydrocarbures, stratégie économique dont elle a fait les frais avec la chute des prix en 2014.

L’ouverture du marché iranien aux importations européennes et américaines, aux produits généralement plus compétitifs, risquait d’être un coup dur pour la Russie, qui trouve dans l’Iran un partenaire commercial « à sa hauteur ». Cet accord de partenariat Iran-UEE pourrait entraîner un effet de détournement de commerce, à l’avantage de la Russie, comme ce fut le cas avec la Biélorussie et le Kazakhstan depuis leur intégration dans l’Union.