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La guerre sino-américaine des télécoms : l’étau se resserre sur Huawei

Après un effort concerté des autorités américaines pour bloquer l’accès à Huawei au marché intérieur des États-Unis, une campagne de déstabilisation du géant chinois des télécoms auprès des partenaires des Etats-Unis est à l’œuvre depuis près de huit mois. Les autorités américaines semblent avoir jeté leur dévolu sur les infrastructures 5G du groupe, en estimant que celles-ci pouvaient comporter de nombreuses portes dérobées (« backdoors ») permettant aux services de renseignement chinois d’accéder à des données privées. En alimentant la suspicion quant au niveau de sécurité des infrastructures 5G de Huawei, les Etats-Unis cherchent à convaincre leurs alliés de renoncer à un constructeur qui était pourtant bien positionné pour l’emporter sur les marchés de la 5G. Comme si cette tentative d’affaiblissement ne suffisait pas, les Etats-Unis ont joué la carte de l’extraterritorialité pour asséner le coup fatal à leur concurrent.

Une vaste campagne de déstabilisation

Aux Etats-Unis, le géant chinois des télécoms a connu de si importantes déconvenues, qu’il semble depuis peu vouloir se détourner de ce marché. Huawei n’est, de fait, pas le bienvenu aux Etats-Unis depuis 2012 au moins, date à laquelle un rapport du Sénat pointait des failles de sécurité liés aux appareils Huawei. Ce rappel considérait également que le groupe représentait « une menace pour la sécurité des Etats-Unis », sans néanmoins apporter de preuves concrètes aux accusations. Les efforts des autorités américaines pour empêcher l’accès au marché à Huawei se sont multipliés depuis quelques mois. En mars 2018, les principaux opérateurs téléphoniques et distributeurs américains (AT&T, Verizon, BestBuy) se sont pliés à la pression politique et ont décidé de ne pas commercialiser les téléphones portables ou autres produits de la marque Huawei.  Le groupe chinois renonce alors à procéder à la mise sur le marché américain de son dernier téléphone portable, le Mate 10 Pro. Le réel coup dur pour Huawei arrive en août, lors de la promulgation du Defense Authorization Act. Le texte de loi interdit aux agences gouvernementales américaines ou à toute personne ou structure voulant travailler avec le gouvernement américain d’utiliser les appareils de Huawei et de ZTE ainsi que d’autres entreprises chinoises. Les produits de Huawei et de ZTE sont ainsi officiellement bannis des marchés publics américains.

Depuis, certains pays alliés des Etats-Unis, notamment ceux appartenant au club des « Five Eyes » (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada) ont multiplié les déclarations de suspicion à l’égard de Huawei.  

Le 23 août, l’allié australien annonce l’interdiction de Huawei et de ZTE pour le déploiement de son réseau 5G, en pointant le risque d’espionnage.  En octobre, le Royaume-Uni lance une enquête pour évaluer si le pays était « trop dépendant » d’un seul fournisseur de télécoms. Dans un pays où la majorité des opérateurs internet utilise des infrastructures de Huawei, le groupe chinois semble directement visé. Le 28 novembre, la Nouvelle Zélande interdit à l’opérateur historique du pays, Spark, de se fournir auprès de Huawei, en invoquant des problèmes de sécurité liés à la technologie 5G. Une semaine plus tard, c’est au tour de l’opérateur anglais, BT, de renoncer à se fournir chez Huawei pour le cœur de ses réseaux 5G, en invoquant de nouveau des problèmes de sécurité. Le jour précédent, le patron du MI6 appelait à demi-mot dans les médias au bannissement complet des équipements télécoms de Huawei. Finalement, Reuters annonce, le 7 décembre, que le Japon s’apprête à retirer Huawei et ZTE de ses marchés publics sur la 5G.

Les conquêtes de Huawei sur les marchés des proches alliés des Etats-Unis semblent ainsi s’effondrer comme un château de cartes. L’ensemble des pays ou des entreprises ayant décidé de ne plus faire affaire avec Huawei invoquent le risque sécuritaire. Même si le risque d’espionnage n’est pas clairement invoqué, l’objectif semble bien de montrer que le groupe Huawei n’est pas fiable. Au Royaume Uni, BT déclare que « Huawei reste un important fournisseur d'équipements en dehors du cœur de réseau et un partenaire précieux pour l'innovation » et annonce qu’il a déjà retiré les composants de Huawei sur les cœurs de réseau 3G et 4G par mesure de sécurité. En Nouvelle-Zélande, on tente d’expliquer qu’il « ne s'agit pas du pays, et même pas particulièrement de l’entreprise » mais que ce sont les propriétés de la 5G qui font que ces réseaux sont plus vulnérables aux cyber-attaques. Une autre manière de dire que Huawei n’est pas digne de confiance sur ce type de technologies sensibles.  Seule l’Australie a officiellement invoqué le risque d’espionnage en estimant que « l'implication de fournisseurs (de matériel de télécommunication) susceptibles d'être soumis à des décisions extrajudiciaires d'un gouvernement étranger » constituait un risque sécuritaire. Les autorités australiennes font référence à l’article 7 de la Loi sur le renseignement national chinois de 2017 selon laquelle toutes les entreprises chinoises doivent coopérer avec les services de renseignement chinois. Huawei a répondu en niant qu’elle entretenait des liens avec l’Etat chinois.

 

Un concurrent redoutable

Que ce soit pour avertir ses partenaires de graves risques sécuritaires ou gagner une guerre commerciale, on ne peut que noter les efforts concertés des autorités américaines pour affaiblir Huawei. Le 23 novembre, le Wall Street Journal accusait dans ses colonnes les Etats-Unis de mener une campagne auprès de divers partenaires, dont l’Italie, l’Allemagne, et la France, pour qu’ils renoncent aux infrastructures 5G de Huawei.  Dans un entretien au Journal du Dimanche du 24 novembre, le PDG de Huawei France, a tenté de rassurer ses clients européens tout en pointant du doigt les manœuvres américaines : « Nous travaillons depuis plus de dix ans en Allemagne et nous n’avons jamais eu le moindre problème, tout comme dans les 170 pays où nous sommes installés. Ces soupçons non fondés surviennent dans un climat de tensions commerciales et géopolitiques ».

Difficile en effet, de ne pas voir dans ces manœuvres une tentative des Etats-Unis pour affaiblir un concurrent redoutable sur un marché qui s’annonce, de plus, prometteur. Un rapport du Sénat américain du 15 novembre consacrait un chapitre entier à la domination chinoise sur le marché mondial de la 5G. Le marché de la 5G y est dépeint comme un nouveau terrain de guerre économique qu’il s’agit de remporter. D’après le rapport, « le gouvernement chinois cherche à dépasser le États-Unis dans ces industries pour gagner une part plus importante des bénéfices économiques et de l’innovation technologique ». Il met en exergue la nécessité de surpasser la Chine malgré la concurrence déloyale subie par les États-Unis et le risque d’espionnage.

Les accusations américaines coïncident par ailleurs avec les premiers lancements de réseaux 5G dans le monde qui ont commencé en octobre 2018 aux Etats-Unis et qui débuteront en 2019 en Chine et à l’horizon 2025 en Europe. Les Etats-Unis cherchent ainsi à saboter les efforts de Huawei qui est parvenu à se positionner très favorablement au sein de ces marchés. L’entreprise, leader sur le marché des infrastructures 5G, a récemment annoncé avoir signé 22 contrats commerciaux pour le déploiement de ces réseaux. Il a été l’unique acteur à gagner des parts de marché en 2017, en passant de 25% à 28%, et a détrôné au passage ses concurrents européens, le suédois Ericsson et le finlandais Nokia. Huawei représente également une menace grandissante pour le géant américain Qualcomm sur le marché de la 5G. L’entreprise chinoise a en effet mis au point ses propres cartes à puces compatibles avec la technologie 5G, ce qui risque de mettre en péril la prépondérance de Qualcomm sur un marché mondial qui lui était majoritairement acquis.

 

La carte de l’extraterritorialité du droit américain à nouveau sur la table

La campagne de déstabilisation de Huawei sur le marché des infrastructures 5G semble ainsi être une illustration supplémentaire de la guerre économique à laquelle se livrent la Chine et les Etats-Unis. Après avoir cherché à ternir la réputation du géant chinois, les Etats-Unis semblent être passés à l’étape supérieure. Alors que le sommet du G20 débutait à Buenos Aires le 1er décembre, la directrice financière du groupe chinois, Meng Wanzhou, est arrêtée, sur requête des Etats-Unis, à l’aéroport de Vancouver. Meng Wanzhou, qui s’avère être également la fille du patron de Huawei, risque l’extradition aux Etats-Unis. Les causes officielles de l’arrestation demeurent floues mais, selon Le Figaro, Huawei serait accusé d’avoir violé les embargos américains sur l’Iran. Le spectre de l’extraterritorialité du droit américain semble ainsi de nouveau s’abattre sur un adversaire économique des Etats-Unis. Exemple récent :  le 22 novembre, la Société générale se voit infliger une amende d’1,35 milliards de dollars pour avoir violé des embargos américains.  Pour la Chine, ce sont deux entreprises chinoises des télécoms, leaders du secteur, qui auront été ciblées en l’espace d’un an si Huawei est condamné. De fait, en juin 2018, l’entreprise chinoise de télécoms ZTE, est accusée d’avoir violé les embargos américains sur l’Iran et la Corée de Nord par le Département de la justice américain (DOJ). Elle a dû s’acquitter d’une amende d’un milliard de dollars et s’est vue imposer « une équipe de conformité » américaine dans ses locaux pour une période de dix ans.  

Face à l’arrestation de Meng Wanzhou, les autorités chinoises ont réagi sans cacher leur colère. La Chine a exigé fermement la libération de sa ressortissante.  Quant à la partie américaine, le conseiller économique à la Maison Blanche assure que le Président Donald Trump n’avait pas été informé de l’arrestation de la directrice financière. Celle-ci s’est déroulée lors de son tête-à-tête avec le président Xi Jinping, lors du G20… Une note amère qui ne va pas ravir la partie chinoise et qui semble sonner le glas de la trêve commerciale entre les deux géants.