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Jeu vidéo et stratégie chinoise : entre protectionnisme et expansionnisme économique

Alors que le marché du jeu vidéo est en plein essor, la Chine est perçue comme une terre promise pour les sociétés du secteur alors que le gouvernement tente de limiter leur consommation. Entre protectionnisme et stratégies d’expansion des géants du numérique, l’évolution de l’équilibre des pouvoirs et les conséquences à anticiper sont encore peu explorées.

Tencent est l’une des entreprises des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi), équivalentes chinoises des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) américaines. Créée en 1998, elle a réussi à se développer au fil des années pour atteindre en 2017 un chiffre d’affaires de 34,33 mds de dollars. Tencent joue aujourd’hui un rôle central dans la société chinoise et dans son fonctionnement. L’entreprise a su gagner une place dans le cœur et l’esprit des Chinois en leur proposant de multiples outils et offres dans divers secteurs dont la communication, les réseaux sociaux et les services numériques. Le navigateur internet QQ Browser et l’application incontournable WeChat, ne sont que quelques exemples de ses produits. De fait, l’entreprise n’est pas non plus en reste dans le monde du jeu vidéo. Ce géant joue en tête d’affiche en mettant à disponibilité des jeux par Tencent Games et en organisant des compétitions à haut niveau dans le domaine grâce à Tencent Esport.

 

Le jeu vidéo est un média qui s’est développé en quelques décennies de façon spectaculaire à travers le monde. Marché en perpétuelle évolution, il représentait en Asie quasiment 50% du marché mondial en 2016, montrant la valeur qu’il représente pour tout acteur du secteur. En 2019, pas moins de 619 millions de joueurs chinois sont recensés et Peter Warman, PDG de Newzoo estimait que les géants Tencent et NetEase « accaparent à eux deux environ 90 % des parts du marché ». La prédominance des jeux sur PC et sur mobile conforte le nombre de joueurs du fait de leur implantation forte dans la consommation chinoise. Cependant, le gouvernement chinois est à l’origine de règlementations face à l’essor du jeu vidéo en Chine. En effet, les autorités ont pu constater que le média vidéoludique avait pour conséquence un plus fort taux d’enfermement des jeunes chez eux. Plusieurs conséquences directes ont alors émergé afin de protéger les mineurs : la restriction de temps de jeu et des périodes interdites de jeu. De fait, la limitation de durée passée sur un jeu mais aussi les règles définissant le maximum d’argent qu’un joueur mineur peut dépenser (200 yuans par mois pour un mineur de moins de 16 ans) ont eu des impacts économiques sur ce secteur de l’industrie numérique. Pourtant, les entreprises étrangères n’en sont pas sorties découragées. 

 

Valve, via sa plateforme Steam, essaie depuis plusieurs années de s’insérer dans le marché chinois des jeux vidéo, cette dernière ayant fait face à de nombreux déboires avant de pouvoir annoncer son entrée sur le marché de manière officielle. Possédant une grande quantité de contenu sur sa plateforme, Valve a dû se plier aux règles de l’État chinois concernant l’éthique du contenu visibles par les utilisateurs. Un comité d’éthique y est ainsi né afin d’évaluer chaque contenu et analyser si ce dernier est conforme aux valeurs sociales prônées par le Parti Communiste Chinois. L’enjeu des données, qui doivent être stockées sur le territoire chinois, a aussi eu pour effet un retard de la présence de la plateforme en Chine. De 2000 à 2014, le gouvernement avait aussi décrété l’interdiction de vente de consoles sur le territoire, mettant ainsi un frein aux ventes de consoles japonaises et américaines à l’époque. L’ingérence de l’État dans le commerce du jeu vidéo l’a rendu vierge de toute influence occidentale et nippone. Aujourd’hui, l’insertion dans le territoire reste encore et toujours une problématique d’actualité. Une solution actuellement pratiquée par Nintendo est le partenariat avec un grand acteur du secteur en Chine, Tencent, même si le contenu des jeux vidéo doit encore passer à l’analyse via le comité d’éthique.

 

Un rapport de force est donc bien visible en Chine entre des sociétés étrangères, qui tentent de s’établir sur le marché et des sociétés chinoises ayant déjà des bases plus que solides à l’échelle de la Chine et pratiquant aussi une stratégie d’expansion. Depuis quelques mois, les différentes acquisitions et investissements de NetEase (QuanticDream) et de Tencent (RiotGames, Supercell, EpicGames, …) sont évocatrices. Si l’assimilation de savoir-faire d’une industrie bien rôdée se fait graduellement, la tendance actuelle permet de mettre en exergue la montée en compétences de la Chine dans le secteur. Les jeux vidéo ont permis, de par l’histoire, de mettre en avant des nouvelles technologies, de les améliorer et de les rendre accessibles au grand public. En parallèle des nouvelles routes de la soie, la Chine a prévu un autre angle de développement représenté par le « Made in China 2025 ». Il semble alors qu’à la vue des tendances actuelles, le marché du jeu vidéo en Chine continuera de croitre et que cette industrie participera à terme au projet de développement du pays. Toutefois, les questions des risques portés sur l’écosystème actuel existent toujours. La mainmise occidentale concernant certains types de jeu et le savoir-faire propre à certaines entreprises seront-t-ils remis en question dans quelques années ? Quid des données personnelles des joueurs quant à leur présence de par le monde ? 

 

Finalement, si certains points restent encore à élucider, la mutation des coulisses du marché du jeux vidéo chinois a bel et bien débuté et impacte le monde entier, à l’instar des nombreux enjeux géoéconomiques soulevés par l’affirmation de la puissance chinoise. Ces conséquences, même si invisibles pour les joueurs outre Chine, restent présentes et pertinentes pour l’analyse de ce secteur de l’industrie numérique. A ce titre, les acteurs systémiques chinois comme Tencent continueront de représenter une force considérable.

 

Alexandre SIMERAY