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La sécurité d’approvisionnement énergétique auprès de l’OPEP+, enjeu concurrentiel des soft powers russe, américain et chinois.

Derrière les luttes d’influences au sein de l’OPEP et de l’OPEP+ se dessinent l’ombre des deux géants chinois et américain. Le premier a besoin d’un pétrole bon-marché pour soutenir sa reprise alors que l’autre doit soutenir le cours afin de sauver son industrie du pétrole. Avantageusement pour Pékin, un mauvais calcul américain a provoqué l’entrée dans la partie de la Russie qui a fait plonger encore plus les cours du pétrole. L’Europe y perd sur tous les tableaux et l’affrontement entre Pékin et Washington au Moyen-Orient semble inévitable.

L’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est un cartel de 14 pays exportateurs de pétrole créé en 1960 qui a fait parler de lui pour la première fois en 1973 lors du premier choc pétrolier en provoquant un quadruplement du prix du baril. Depuis lors, l’OPEP participe à la détermination des prix du pétrole. Ce cartel est le lieu de luttes d’influences internes (en 1986, l’Arabie-Saoudite concède une baisse de la production) et externes (en 2014, les États-Unis reprennent la production de pétrole de schiste et provoquent la réaction du cartel).

Lorsque débutera la reprise post-pandémie, le prix de pétrole (source d’énergie la plus utilisée) sera une des variables principales de son dynamisme. Alors que selon Euler Hermes, la Chine, premier pays touché par la pandémie, a déjà amorcé cette reprise, cette avance annonce une bataille pour la fixation du prix du pétrole. En effet, l’Empire du Milieu, deuxième importateur mondial derrière l’Europe est en passe de devenir le premier raffineur devant les États-Unis. Sa demande intérieure grandissante entre en contradiction avec les intérêts américains et ceux de l’OPEP+ (cartel de 24 pays exportateurs de pétrole représentant 50% de la production mondiale)  et laisse présager des problèmes d’approvisionnement pour le continent européen. L’OPEP est d’ores et déjà le théâtre d'opérations des softs Power américains, russes et chinois.

 

Le soft Power américain a les moyens et le besoin d’influer sur le cours du pétrole

Pour soutenir son industrie du pétrole largement dépendante d’un pétrole de schiste peu rentable, Washington use de la “carotte” sécuritaire en plus de la concordance de ses intérêts avec ceux des monarchies du Golfe (cf. Pacte du Quincy: surnom donné à la rencontre du 14 février 1945 sur le croiseur USS Quincy entre le roi Ibn Saoud).

Les États-Unis disposent d’alliés producteurs de pétrole qui dépendent de l’armée américaine pour leur sécurité : au sein de l’OPEP (Nigéria, Koweït, Arabie-Saoudite, Émirats-Arabes-Unis, Bahreïn), au sein de l’OPEP+ (Oman) et enfin avec le Qatar qui a quitté le cartel en 2019. Selon les données de trading economics, en additionnant la production américaine et celles de ces 7 pays, cela représente environ 40% de la production mondiale en août 2020. Les États-Unis ont donc la possibilité, alors même qu’ils ne font pas partie de l’OPEP, d’influer sur le prix du baril via leur soft Power. En tant que premier producteur mondial, c’est un atout non négligeable qu’ils vont utiliser afin de soutenir l’industrie pétrolière nationale.

Les États-Unis maintiennent leur première place grâce à une production de pétrole dépendante à 66% du schiste. Or, selon Matt Gallagher, directeur exécutif de Parsley Energy (le plus important producteur indépendant texan) le pic de production a été atteint cette année. En outre, la production de pétrole de schiste avec un baril aux alentours de 65$ n’est pas rentable, alors qu’aux alentours de 30$ les producteurs américains, déjà surendettés, ne produisent pas de cash-flow positif et risquent purement et simplement la faillite.

Par ailleurs, dans des proportions équivalentes, tous ses partenaires producteurs ont besoin d’une hausse du cours du pétrole pour pouvoir couvrir leurs budgets nationaux..

Un tel état de fait devrait permettre à Washington d’user facilement de son soft Power auprès de ses partenaires afin de faire grimper les cours du pétrole. Dans cette optique, les États-Unis peuvent compter sur l’Arabie Saoudite (3e producteur mondial) qui, outre son besoin de la protection d'Oncle Sam, a besoin d’un prix du baril supérieur à 80$ afin d’équilibrer son budget. Elle se montre déjà active sur le plan de l’influence puisqu’elle a menacé de sortir de l’OPEP+ voir l’OPEP si les Emirats Arabes Unis et les autres membres ne se soumettaient pas aux restrictions de production (en jaune sur ce tableau).

La voie est donc libre pour que Washington s’active en coulisse. Mais cela devrait exacerber les tensions avec Pékin dont les intérêts sont à l’exact opposé.

 

Le soft Power chinois au service du marché intérieur

Dans sa logique hégémonique, la Chine entreprend également de venir s’imposer comme une puissance pétrolière dans les années à venir. Son recentrage économique autour de son marché domestique nécessite un pétrole bon marché permettant de satisfaire au mieux sa forte demande intérieure, en totale contradiction avec les intérêts de “Big Oil”, le plus actif des lobbys américaine et qui ne craint pas une présidence Biden.

Située à la 7e place des plus gros pays producteurs de pétrole selon la CIA, sa production reste stable depuis une dizaine d'années. Loin derrière les trois géants que sont les États-Unis, la Russie et l’Arabie Saoudite, elle est toutefois  en passe de devenir le plus gros raffineur de pétrole devant son rival américain.

Ce tour de force s’explique par le programme colossal que s’est fixée la puissance chinoise, d’ouvrir à horizon 2024 neuf nouvelles raffineries. A ce stade quatre sont déjà prévues tandis que les autres sont encore à l'état de projet. Mais cette annonce est d’autant plus importante que dans le même temps les États-Unis connaissent un déclin dans ce secteur accentué par la crise du covid-19 et que le secteur du raffinage en Europe est en pleine dépression. Selon Steve Sawyer, directeur du raffinage chez le consultant industriel Facts Global EnergyLa Chine va mettre sur la table un million de barils supplémentaires par jour au cours des prochains mois. Elle dépassera les États-Unis probablement d’ici un an ou deux au plus tard.”

Ce chassé-croisé a des répercussions au niveau de l’OPEP puisque les pays exportateurs accroissent leurs exportations en direction de l’empire du Milieu au détriment des clients occidentaux historiques. La tendance est donc du côté chinois qui grappille toujours plus de parts de marché dans un secteur hautement stratégique et qui tend à remonter la chaîne de valeur du pétrole pour en maîtriser l'intégralité et sécuriser son approvisionnement (par exemple au Soudan) .

Son influence auprès de certains pays de l’OPEP n’est d’ailleurs plus un secret pour personne comme en témoignent ses rapprochements avec des puissances majeures du cartel comme l’Iran et le Venezuela.  Ces jours-ci la Chine a décidé d’accélérer l’importation d’or noir auprès de la société d’État Petroleos du Venezuela (PDVSA) en améliorant les procédés d’approvisionnement. En dépit des admonestations américaines, le transfert s’effectuera désormais par pétrolier direct alors qu’auparavant il se faisait par un système indirect de transfert d’un navire à un autre. Aujourd’hui la Chine se positionne donc comme le premier pays importateur de pétrole vénézuélien; pays disposant des plus grosses réserves mondiales prouvées d’hydrocarbures selon la CIA.

Par ailleurs, son rapprochement avec l’Iran suit la même stratégie qui consiste à renforcer son influence auprès de pays de l’OPEP ennemis de la puissance américaine. Dans le cas de la République islamique chiite du Moyen-Orient, l’embargo américain a été contourné en échangeant le pétrole à la Chine contre la construction de grands projets d’infrastructures industrielles sans passer par le dollar.

Ainsi en tant que première puissance démographique mondiale, son poids dans la demande globale de pétrole est prépondérant. Paradoxalement, Pékin doit donc manœuvrer pour satisfaire une demande intérieure toujours plus forte tout en gardant des prix du baril le plus bas possible. Ainsi, s’adjuger le pétrole iranien sans le monétiser constitue une réussite puisque cela permet de ne pas introduire de devises sur le marché du pétrole. Par ailleurs, Pékin devrait compter sur la Russie qui demeure son premier fournisseur.

 

Le soft Power russe joue sa carte pour son industrie gazière

Soucieuse de trouver des débouchés pour son industrie du gaz, la Russie a décidé de mener une guerre économique contre l’industrie du pétrole américain afin de faire céder Washington concernant le projet Nord Stream 2. Cependant c’est encore une fois la Chine qui pourrait en profiter.

La Russie est dans le trio de tête des plus gros producteurs de pétrole. Elle a été agacée par les menaces américaines envers les Européens concernant le projet Nord Stream 2; elle est partie prenante dans ce projet qui va lui permettre de disposer de débouchés plus larges pour son industrie gazière. En représailles, elle a décidé de mettre à genoux l’industrie du pétrole américaine. Membre de l’OPEP+, la Russie est entrée en début d’année dans une guerre économique sur fond de guerre des prix avec les États-Unis et son meilleur allié dans l’OPEP, L’Arabie-Saoudite. Pour tenir, Vladimir Poutine a assuré en mars dernier que la Russie pourrait soutenir son budget avec un baril entre 25-30$ grâce à son fonds souverain de 150 milliards $ créé pour soutenir la production en cas de chute du baril. Cependant la politique “blitzkrieg” de baisse des prix de Riyad a fait revenir Moscou à la table des négociations. En effet, le cours du rouble est depuis 5 ans corrélé avec les hauts et les bas du cours du pétrole.

Cependant, la Russie pourrait revenir à cette stratégie de jouer la montre pour forcer une inflexion des États-Unis.

Cependant, en tant que premier fournisseur de pétrole de la Chine, la Russie ne dispose pas d’une grande marge de manœuvre. En effet, même à 25$ ou 30$ le baril, elle doit tout de même trouver des débouchés pour son pétrole. Or, comme évoquée plus haut, la Chine diversifie ses fournisseurs en s’associant au Vénézuéla et s’implantant durablement en Iran et en Irak ; respectivement les 4e et 5e réserves mondiales selon la Central Intelligence Agency (CIA). En outre, la politique de guerre des prix de Moscou a fortement impacté les partenaires russes que sont l’Algérie et le Vénézuéla qui pourrait se tourner définitivement vers la Chine à la manière de l’Iran.

Moscou pourrait donc se retrouver avec un pétrole peu rentable et avec moins de débouchés puisque si Pékin souhaitait renégocier elle aurait la possibilité de menacer de se passer d’une partie russe des ses importations de pétrole grâce à ses nouveaux partenariats ou de pétro États aux abois . Le gaz russe devient dans ce contexte hautement stratégique pour Moscou mais également pour d'autres puissances rivales.

L’Europe, bien qu’elle n’ait aucun levier pour influer sur le cours du pétrole, a décidé de s’en prendre aux Américains afin de finaliser le projet Nord Stream 2.

 

Le soft Power européen privé d’influence sur le pétrole attaque le gaz américain pour finaliser le projet Nord Stream 2

L’Union européenne est en pleine tempête; le Royaume-Uni va quitter l’Union le 1er janvier 2021. Elle perd en son sein un membre du Conseil de sécurité de l’ONU alors que les États-Unis menacent de sanctionner les parties prenantes au projet Nord Stream 2. En réponse, la France s’est appuyée sur le Green Deal européen pour limiter les débouchés américains de l’exploitation des gisements de schiste.

Pourtant l’Union est dépendante de l’extérieur pour son pétrole. Un tel état de fait devrait pousser l’Europe dans les bras chinois et russes dont les stratégies poussent le cours à la baisse. Or, dans le même temps, la France et l’Allemagne ont proposé à Joe Biden un front transatlantique contre la Chine. Derrière cette proposition se dévoile l’intention du couple franco-allemand de se ranger derrière les États-Unis contre la Chine. Paradoxalement, ils se tournent contre le pays qui menace la finalisation du projet Nord Stream 2. L’Union pourrait donc se retrouver dans une situation où elle limite son approvisionnement en gaz et où elle soutient une puissance qui souhaite pousser le cours du pétrole à la hausse en totale contradiction avec sa sécurité énergétique.

Les intérêts américains s’opposent donc aux intérêts russe et chinois. La puissance des deux derniers, alliés objectifs, est un défi pour lequel les États-Unis qui ne devraient pas pouvoir compter sur l’Europe malgré la volonté franco-allemande de créer un front transatlantique contre la Chine. Les réalités stratégiques obligent l’Europe à se détacher des États-Unis, à moins de mettre en danger la sécurité énergétique des pays membres ou de tenter d’amadouer Washington pour pouvoir finaliser le projet Nord Stream 2.  L'OPEP+ et l’OPEP sont en danger; les pétro États doivent d’ores et déjà prévoir l'après-pétrole et pourraient être tentés de se rapprocher de la Chine pour lui vendre le reste de leurs réserves et accélérer la diversification de leurs économies. Par ailleurs, un éclatement de ces alliances laisserait le Moyen-Orient à la merci d’une nouvelle paxsinica qui ne laisserait pas la région s’embraser facilement au vu de ses besoins en pétrole pour son projet de domination globale. À moins que les États-Unis ne veuillent pas renoncer à leur pré carré et s’en prennent aux fournisseurs de Pékin. Pour l’instant, la prolongation de l’entente entre la Russie et l’Arabie Saoudite sauve l’OPEP+ et le statu quo moyen-oriental. Mais pour combien de temps encore?

 

                                                                                   Pierre-Guive Yazdani & Evan Tirologos

 

Pour aller plus loin:

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