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Le retour de la pleine puissance américaine avec Joe Biden

Certaines opérations financières à la fin de la présidence Obama laissent penser que l’ennemi n’était pas encore correctement désigné sous l’administration démocrate. Pékin désormais identifié comme l’ennemi au prix du déclenchement d’une guerre commerciale, l’establishment de nouveau au pouvoir, l’administration Biden dispose de la totalité du soft power financier américain pour endiguer l’avancée chinoise afin d’éviter le retournement de ses alliés historiques.

Pour Carl Schmitt, dont la pensée est aujourd’hui reprise par tous les courants de pensée, la tâche principale du politique consiste à désigner l’ennemi. Sous la présidence d’Obama, les ennemis désignés sont les pays qui menacent directement son imperium: le Venezuela en Amérique du Sud et l’Iran au Moyen-Orient. La crainte de Washington est que ces deux pays se rapprochent du géant chinois. En effet, l’Empire du Milieu commence à avoir de gros besoins en énergie et s'intéresse de près aux réserves de pétrole des deux régimes. Ces derniers subissent un embargo qui les empêche jusqu'à aujourd'hui de moderniser leurs industries du fait de l’absence de revenus. L’occasion est belle pour Pékin, qui peut offrir une porte de sortie aux deux régimes en raffinant elle-même les productions nationales. A l’inverse, pour Washington, un tel rapprochement est perçu comme désastreux dans la mesure où cela permettrait aux mollahs et aux communistes de Caracas de respirer en trouvant enfin des débouchés pour leurs immenses réserves d’hydrocarbures. Washington va donc parrainer une opération de corruption à destination des dirigeants émiratis qui va permettre à Pékin d’obtenir ses premières concessions au Moyen-Orient et aux majors du pétrole de pénétrer le marché chinois tout en éloignant pour un temps, Téhéran et Caracas de Pékin.

Washington ferme les yeux sur une affaire de corruption pour isoler ses ennemis

Les Émirats Arabes Unis (EAU), ont été un pivot de la politique d’isolation de l’Iran et du Venezuela par Washington. En effet certaines opérations financières en rapport avec le scandale 1MBD laissent à penser que le Capitole à au minimum fermé les yeux sur une partie des ramifications du réseau de corruption de Jho Low. Washington pourrait même avoir parrainé certaines opérations car elles ont permis à Pékin d’obtenir ses premières concessions dans le détroit d’Ormuz; ce qui avait l’avantage de détourner l’Empire du Milieu des ennemis désignés par le Capitole.

Le scandale 1MDB (Malaysia Development Berhad – fonds souverain malaisien) est une affaire de détournement de fonds qui implique des officiels de haut niveau en Malaisie dont l’ex-premier ministre, Najib Razak, et des dirigeants émiratis proches de la famille régnante à Abu Dhabi, les Al-Nahyan. Le niveau de corruption interroge puisque de grandes firmes comme Goldman Sachs sont impliquées et cette dernière a d'ailleurs été condamnée pour son rôle d'intermédiaire. Dans ce qui pourrait bien être la plus grosse affaire de détournement de fonds de l’histoire selon l’avocat général américain, Loretta Lynch, la théorie principale est que la fraude aurait été organisée par le fantasque Jho Low. Cet intermédiaire malaisien issu de la communauté chinoise qui aurait eu accès grâce à son seul réseau au plus haut niveau de responsabilité bancaire et politique sur plusieurs continents. Il se terre désormais en Chine.

Pourtant certaines opérations financières établissent que les ramifications de ce scandale s’étendent à la fourniture de concessions pétrolières à la Chine. En effet, les montants inexpliqués des ventes de la compagnie Coastal Energy à la CESPA et des parts d’Abu Dhabi dans la CESPA à Carlyle Group posent questions. En outre, les sommes démesurées en jeu ainsi que les intermédiaires et les bénéficiaires effectifs des ventes relient directement ces opérations au scandale 1MDB; sur quoi le Department Of Justice (DOJ) a étrangement fermé les yeux selon l’analyste Javier Ferrandis. Premier bénéficiaire, l’intermédiaire Jho Low qui gagne 250 millions de dollars en une semaine grâce à l’achat par la CESPA de Coastal Energy (détenue par le troublant Oscar Wyatt déjà impliqué dans l’affaire pétrole contre nourriture)  pour bons et loyaux services. Une opération officiellement rattachée au scandale 1MDB par l’administration américaine. Second bénéficiaire, les dirigeants émiratis via le fonds souverain Mubadala qui contrôlait jusqu’en 2019 la CESPA. Javier Ferrandis soutient que ces opérations sont ignorées par le DOJ, donc le Capitole, car elles ont pour but de remercier les dirigeants émiratis qui ont permis à la Chine d’obtenir ses premières concessions dans le détroit d’Ormuz. En effet, les concessions historiques aux EAU de la Shell, très proche de Carlyle Group qui ont expiré en 2014, ont atterri dans les mains chinoises alors qu'à quelques jours près, la Shell signait un accord historique avec les compagnies nationales chinoises pour pénétrer le marché chinois ouvrant également la voie aux majors du pétrole américaines. 

Comment expliquer que l’administration américaine ait laissé faire alors même que l’extraterritorialité du droit américain permettait de confondre les parties prenantes dont certaines ont d'ailleurs été partiellement sanctionnées? L’explication la plus logique est une convergence d'intérêt entre Big Oil (le lobby américain du pétrole) qui souhaitait s’implanter en Chine et l’administration américaine qui ne souhaitait pas voir Pékin se tourner vers le Venezuela et l’Iran; les réseaux du premier ont bénéficié aux seconds et vice-versa. Cependant, le coup de théâtre de l'élection de Donald Trump est venu gripper la machine pour l’establishment et les réseaux américains.

Trump désigne l’ennemi mais rate son opération de contre-influence

L'élection de Donald Trump a été un coup de tonnerre sur la scène politique américaine qui s’attendait à l'élection d’Hillary Clinton. Le nouveau président n’a pas hésité à fustiger l’ensemble de l’establishment américain responsable selon lui du déclassement américain. Se faisant il a créé une perturbation dans le système pour le meilleur et pour le pire. En tant que voix de l'Amérique blanche industrielle, majorité silencieuse des États-Unis selon lui, il a décidé de s’en prendre à l’ennemi désigné comme responsable des malheurs de son électorat: la Chine. Cependant, l’administration Trump, noyautée par les néoconservateurs, n’en a pas oublié les ennemis communistes et islamistes, le Venezuela et l’Iran. 

Ainsi, Donald Trump a provoqué la sortie unilatérale du pacte de Vienne qui avait pour but d'empêcher l’Iran de mettre ses menaces de mise au point de la bombe atomique à exécution contre la fin de l’embargo isolant ainsi la République Islamique. De même, le Venezuela a subi la coercition américaine et se retrouve exsangue. Le “style Trump” a consisté à attaquer frontalement et provoquer une guerre commerciale avec Pékin qui, si elle a eu le mérite de dénoncer la stratégie chinoise de conquête de marché, a également poussé les ennemis d’hier dans les bras de l’ennemi d'aujourd'hui. En effet, l’Iran et la Chine ont signé un partenariat historique de 400 milliards de dollars et ont conjointement commencé à exploiter le plus vaste champ gazier mondial situé dans les eaux iraniennes du détroit d’Ormuz, South Pars. De la même manière la coercition américaine sur Caracas a offert le pétrole vénézuélien à Pékin; les raffineurs chinois passent outre les sanctions américaines et les tankers vénézuéliens arrivent désormais directement en Chine. 

Ainsi, de par sa politique erratique, le président Trump a eu le mérite de dénoncer la véritable menace (la Chine) pour le statut de première puissance de l’Amérique. Cela a provoqué un dommage collatéral important: offrir les première et quatrième réserves mondiales de pétrole ainsi que les deuxième et septième réserves de gaz à Pékin à des prix défiants toute concurrence; un cadeau bien utile pour en finir avec le charbon.

Washington dispose des moyens pour démarrer une opération d’influence via une guérilla financière et pour reconquérir son imperium

Avec le véritable ennemi identifié et Joe Biden qui fait partie du sérail, le Capitole dispose désormais du bon objectif à abattre et de la totalité de la puissance réticulaire américaine. Pourtant le soft power américain est à un tournant:  son influence dans le monde arabe et en Europe a beaucoup pâti de la législature Trump.

Comme vu plus haut la puissance des réseaux américains a su ouvrir les frontières du marché chinois, mettre en place un système de corruption pour des officiels du plus haut niveau en évitant un procès. Les guerres internes de l’administration américaine provoquées par Donald Trump et son équipe de francs-tireurs devraient cesser afin de se concentrer sur la projection de la puissance américaine hors de ses frontières afin de combattre l’avancée sino-russe. De fait, les deux alliés de circonstance se sont rapprochés et ont accueilli dans leur giron des États clés des hinterlands comme l'Iran, l'Irak et avancent en Afrique. La nouvelle administration devrait voir toutes les portes s’ouvrir, notamment financière, afin de mettre la puissance américaine en ordre de bataille face à cet axe. Par ailleurs, le retrait américain des affaires du monde suite à la législature Trump a provoqué le recul de l’influence américaine en Europe, l’allié historique et au Moyen-Orient, considéré comme vital pour la sécurité américaine

Tout d’abord, un mouvement de contestation se lève en Europe contre Washington, favorisé par le style Trump qui a débloqué le tabou de l’ingérence américaine dans les affaires des pays membres dont la France et l’Allemagne. Ainsi l’Union se rapproche à pas feutré de la Chine et de la Russie dont le gaz devient un enjeu stratégique pour Bruxelles. En effet, Moscou grâce à sa diplomatie énergétique et Pékin grâce à sa puissance commerciale, ont enfoncé les frontières de l’influence américaine en Europe. Ensuite, l’allié du pacte du Quincy, l’Arabie Saoudite pourrait basculer hors du giron américain. En effet, Mohammed ben Salmane (MBS), prince héritier et le vice-Premier ministre d'Arabie saoudite est contesté par la nouvelle administration Biden qui verrait d’un bon oeil emerger un dirigeant plus frequentable à Riyad. Cependant, MBS a prouvé sa détermination à rester au pouvoir et cela pourrait être une variable d’ajustement importante car dans le même temps, l’Arabie Saoudite dépend de la Chine pour ses débouchés pétroliers. Pékin pourrait faire valoir ses liens avec la République Islamique pour intercéder en faveur de la sécurité saoudienne à Téhéran en lieu et place de la déclinante puissance américaine qui a désinvesti la région; à la manière de la paix au entre les deux Soudan, qui peut être corrélé à la présence sino-russe.

Ainsi, il apparaît que l’administration américaine a beaucoup à faire afin de repousser ses rivaux chinois et russes hors de ses sphères d’influence traditionnelles européenne et arabe. Néanmoins, Washington dispose d’un soft power financier sans égal qui peut ouvrir toutes les frontières du monde et atteindre n’importe quel niveau de responsabilité politique; d’autant plus que le président Biden devrait pouvoir disposer de l'entièreté de l’arsenal américain en la matière afin de déployer la puissance américaine et ramener à la raison ses alliés. Cette grille de lecture s’oppose totalement au storytelling de la pacification des rapports de force entre Washington et Pékin promu par l'élection de Joe Biden; un retour à la pax americana semble bien compromis.

 

Pierre-Guive Yazdani

 

Pour aller plus loin:

-CONVERSATION] Jeux d’influence anti-iraniens au Moyen-Orient, par Ardavan Amir-Aslani

Les Etats-Unis usent de leur soft power afin de limiter l'influence sino-russe en Arctique

L’accord sur les Investissements étrangers avec la Chine : premier signe d’un éloignement entre Bruxelles et Washington