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Les vaccins au cœur d’une guerre économique mondiale

Confrontés depuis plus d’un an à la pandémie du Covid-19, tous les pays souhaitent mettre un terme le plus rapidement possible à la crise économique, sanitaire et sociale qui en découle. Les vaccins représentent alors de précieux sésames, indispensables pour basculer dans le « monde d’après ». Entre blocage d’exportations, utilisation de normes juridiques et guerre de l’information, tous les moyens sont bons pour en disposer et mettre en avant les qualités des politiques vaccinales de ces pays.

Avec la prise de conscience de l’émergence d’une pandémie mondiale, les instituts de recherches, dès mars 2020, soutenus par les pays, ont concentré tous leurs efforts pour produire un vaccin fiable dans un temps record C’est dans cette optique de sortie de crise et de recherche de profit, que des vaccins ont pu être produits en seulement quelques mois, alors que la procédure habituelle met une dizaine d’années. Si des vaccins ont pu bénéficier d’autorisations rapides de mise en circulation tels que les anglo-saxons Pfizer-BioNTech, Moderna, AstraZeneca ou enfin Johnson&Johnson, d’autres voir leurs efficacités mis en doutes (Spoutnik V) alors que les vaccins français subissent des retards (Sanofi) ou sont simplement abandonnés (Institut Pasteur).

Bien que les Nations Unies revendiquent le vaccin contre le Covid-19 comme « un bien public mondial », la réalité est quant à elle bien différente. Le vaccin représente aujourd’hui la priorité numéro un de chaque gouvernement qui compte en bénéficier en priorité. Si la cohésion entre pays, notamment européens, pouvait être questionnée au début de la pandémie, elle est actuellement remise en question à l’heure où les États mettent en place des stratégies pour s’accaparer de manière exclusive ces ressources stratégiques.  

Le blocage des exportations, arme privilégiée de la guerre vaccinale

Malgré des discours officiels souhaitant une collaboration internationale, les États usent de leurs pouvoirs pour bénéficier en priorité des stocks de vaccins présents sur le sol, quitte à ne pas jouer le jeu de la cohésion internationale. Pour cela, ils utilisent plusieurs moyens différents, pour les mêmes finalités.

Les États-Unis ne transigent pas à cela, en accord avec leur politique de préférence nationale, mise en avant de façon explicite par Donald Trump. À l’heure où l’objectif du Président Biden est d’avoir 90% de sa population éligible au vaccin d’ici mi-avril 2021, la bonne tenue de la campagne de vaccination américaine n’est possible que par l’utilisation de normes juridiques contraignant l’exportation de vaccins. Comme son prédécesseur Trump, l’actuel Président américain a eu recours à l’US Defense Production Act (DPA). Ce dispositif, initié lors de la guerre de Corée, permet à l’exécutif de contrôler les industries nationales en cas d’une situation d’urgence (bien qu’il soit utilisé de façon fréquente). Dès lors, les États-Unis bloquent les exportations pour mettre à profit toutes leurs productions à leur service. Disposant de centres de fabrication présents sur le sol américain, les laboratoires Pfizer, Moderna, AstraZeneca ou encore Johnson & Johnson doivent se plier à cette norme. Le DPA est donc, de façon indirecte, un outil à visée extraterritoriale. Cette situation nuit notamment à ses voisins proches comme le Mexique ou le Canada, mais aussi à l’Europe, qui comptait sur des livraisons venant des États-Unis.

À l’inverse des États-Unis, l’Inde n’a pas utilisé d’appareils juridiques préétablis pour suspendre les exportations de vaccins produits sur son territoire à compter du 18 mars 2021, toujours dans un souci de favoriser sa propre campagne vaccinale alors qu’une seconde vague d’épidémie secoue le pays. Cependant, cette décision a des conséquences énormes au-delà de ses frontières. L’Institut Indien Sérum (SII) basé à Pune dans l’État du Maharasthra est de fait le plus gros producteur mondial de vaccins, avec un débit de production de 70 millions de doses par mois en moyenne. Plusieurs pays s’inquiètent de cette situation car dépendants du SII pour leur propre campagne vaccinale. En premier lieu, le Royaume-Uni fait partie des plus inquiets, car la production de plus 10 millions de doses reste en suspens. À l’image des États-Unis, le pays s’engage à relever ces restrictions une fois la vaccination bien avancée. Pourtant, avec 1,3 milliards d’habitants, ces délais restent difficiles à prévoir.

L’Union Européenne adopte des mesures similaires, dans une logique de respect de la réciprocité. Si Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission Européenne, se défend de ne pas formuler des interdictions d’exportations, elle entend à ce que les entreprises respectent les accords formulés avec Bruxelles avant d’exporter ses vaccins. Pour cela, il est urgent de rattraper les retards de livraisons, en particulier pour AstraZeneca. N’ayant livré pour l’instant qu’un quart de ce qui était prévu initialement, le laboratoire anglo-suédois doit d’abord se hisser aux objectifs initiaux avant d’exporter les doses produites sur le territoire. C’est dans ce cadre que la Commission n’a émis aucune objection au blocage de l’exportation de 250 700 doses par l’Italie de vaccin AstraZeneca en direction de l’Australie le 5 mars dernier. Cet événement est la première application connue de garde-fous mis en place par Bruxelles en janvier 2021, via les douanes nationales, où les Etats-Membres doivent examiner les demandes d’autorisation d’exportation de vaccins produits sur son territoire. L’Union Européenne essaye ici de revoir une stratégie vaccinale très critiquée après avoir exporté 77 millions de doses à date du 25 mars 2021, alors qu’une troisième vague d’épidémie touche le Vieux-Continent.

AstraZeneca au cœur d’une guerre d’influence entre Bruxelles et Londres

Le vaccin, nous l’avons vu, est une ressource d’utilité vitale pour les États qui cherchent à en disposer en masse et en priorité afin de sortir de cette crise dans les meilleurs délais. Cependant, il peut aussi raviver des tensions entre pays ou organisations régionales ou internationales. Tel est le cas du vaccin anglo-suédois AstraZeneca, dorénavant appelé Vaxzevria, qui est dans l’œil du cyclone de Bruxelles, ravivant les braises du conflit entre ces deux puissances, alors que des questions liées au Brexit comme le cas de la frontière nord-irlandaise restent toujours en suspens.  

Dérrière Pfizer-BioNTech et Moderna, le troisième vaccin à avoir acquis une autorisation de mise sur le marché après, est celui développé par l’université d’Oxford, particulièrement attendu, en raison d’une logistique de chaîne du froid moins contraignante. Pourtant, le ton est rapidement monté entre le laboratoire et l’Union Européenne, dès le 22 janvier, lorsque l’annonce d’une baisse de 60% des livraisons prévues a fortement contrarié les autorités européennes, alors que le Royaume-Uni ne subissait aucun retard. Le Président Directeur Général du laboratoire, Pascal Soriot, s’est depuis rangé derrière la règle du « premier arrivé, premier servi » ; Londres ayant commandé des doses trois mois avant Bruxelles.

Il faut dire que nos homologues britanniques ont adopté une stratégie vaccinale différente, en se focalisant prioritairement sur la première dose, avec un choix d’allonger à douze semaines l’espacement des doses. C’est pour ça que le 29 mars 2021, plus de 30 millions de britanniques ont reçu une première injection, chiffre significativement supérieur à la situation française. Il s’agit pour Boris Johnson de se relever après un début de gestion de crise catastrophique, misant sur l’immunité collective, mais aussi du bilan le plus meurtrier du continent. Pourtant, le chiffre de ceux ayant eu une deuxième dose reste similaire à la moyenne française.

Dès lors, par voies de presse interposées et communiqués, on assiste à une réelle lutte d’influence entre Bruxelles et Londres, où un front européen se ligue contre Londres. Du côté européen, pour masquer les réalités de retards de livraisons handicapant la mise en place de campagnes de vaccination, États-membres et Commission Européenne ont enchaîné les prises de paroles et décisions entraînant la défiance envers le vaccin anglais. Les déclarations d’Emmanuel Macron sur l’inefficacité du vaccin pour les plus de 65 ans, l’interdiction de la Suisse de mise sur le marché faute de données suffisantes ou encore la poursuite d’AstraZeneca en justice par le gouvernement italien pour manquement à ses obligations, suivent cette tendance. Or c’est à la mi-mars que le point de tension maximum a été atteint quand un certain nombre de pays ont suivi temporairement le Danemark qui venait de suspendre l’autorisation du vaccin sur son territoire, par principe de précaution. En riposte, la presse britannique condamne l’égoïsme européen, tout en critiquant la campagne de vaccination ralentie mise en place par l’Union Européenne.

Derrière cette bataille de mots, la réalité du terrain souligne une position britannique de cavalier solitaire.  A contrario de l’Union Européenne, le Royaume-Uni n’a exporté aucun vaccin, et a pu compter sur les importations de vaccins en provenance de l’UE en bénéficiant de plus de 21 millions de doses (20 millions de Pfizer-BioNTech et 1 million d’AstraZeneca. Au total, la Grande-Bretagne a reçu l’équivalent de trois quarts des doses injectées sur son territoire de l’étranger. Avec les politiques protectionnistes indiennes et européennes, le pays est confronté à un problème sur l’approvisionnement de deuxième dose. Une situation qui provoque des tensions, d’autant plus que l’Union Européenne, dans les contrats signés avec AstraZeneca, doit profiter des exportations en provenance des centres de production présents sur le sol britannique. Cependant, des questions subsistent sur les réelles capacités de production d’AstraZeneca, après qu’un stock de 29 millions de doses ait été découvert en Italie. Si les tensions autour du vaccin entre Londres et Bruxelles persistent, la dépendance du Royaume-Uni envers l’Europe concernant son approvisionnement pourrait amener  à tempérer une poursuite des ces comportements belliqueux.

La question du vaccin est un sujet sensible pour Bruxelles. Il faut dire que, pour l’instant, seuls des vaccins anglo-saxons sont mis en circulation, et qu’une réponse européenne se fait attendre. Pire encore, des start-ups prometteuses européennes comme l’allemand BioNTech, pionniers dans le développement de l’ARN messager, qui a permis de développer un vaccin dans un temps record, ont établi des partenariats avec des géants étrangers comme Pfizer. Ce n’est pas une surprise, car la recherche et développement dans le secteur a été augmentée significativement aux États-Unis, à l’inverse de l’Union Européenne. S’avouant vaincu, Sanofi a accepté de produire des vaccins Pfizer en grande quantité. Le géant français pharmaceutique a raté le coche, préférant une conception classique du vaccin, sans s’appuyer sur les innovations récentes.

 

De sa fabrication à sa distribution, la guerre des vaccins fait rage, et les États usent  de tous leurs pouvoirs, notamment juridique et informationnel, pour s’accaparer les stocks au privilège de leur propre campagne vaccinale nationale. A l’heure où une sortie de crise paraît lointaine et où le Covid s’enracine au travers de multiples variants, la guerre économique liée aux vaccins ne vacille pas alors qu’ils pourraient bien être la clé de la reprise économique d'un pays.

 

Thibault Menut

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