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Chine : quelle stratégie pour l’Afghanistan ?

Si les regards se sont quelque peu détournés de l’Afghanistan ces dernières semaines, plusieurs pays, dont la Chine, restent activement impliqués dans un processus de normalisation de leurs relations diplomatiques et économiques avec le nouveau régime Taliban. Pékin est en effet enclin à investir dans l’économie afghane afin d’y développer de nombreux projets et surtout d’y négocier l’extraction de minerais précieux dont le pays regorge. Ces derniers s’avèrent être stratégiques dans de nombreux domaines, tant civils que militaires.

Situation afghane actuelle

Le 1er décembre 2021 signe le 100ᵉ jour des Talibans à la tête d’un pays qu’ils ont réussi à reconquérir d’une manière fulgurante en août dernier, vingt ans après s’être fait déloger par l’administration Bush en 2001. Une situation rendue possible principalement grâce au désengagement progressif des Américains voulu sous l’ère de Donald Trump, puis terminée sous Joe Biden – très probablement facilitée par une aide opérationnelle de l’ISI (services de renseignement pakistanais) dans la stratégie de reconquête territoriale.

Seulement, sur un plan économique, les nouveaux maîtres du pays se retrouvent dépourvus de tout budget notamment suite à la décision prise par la maison blanche de geler les 9,5 milliards de dollars qui ont été investis dans l’économie américaine lorsque Ashraf Ghani était au pouvoir. L’aide financière étrangère qui représentait environ 75 % du budget afghan en 2020 a elle aussi été supprimée du jour au lendemain laissant ainsi les Talibans sans le sou à la tête d’un pays de 40 millions d’habitants.

En plus d’une situation économique déjà critique, la situation humanitaire se détériore de jour en jour. Aujourd’hui, 95 % de la population afghane peine à se nourrir correctement, environ la moitié d’entre eux risquent la famine et le pays manque cruellement d’eau. Pour ne rien arranger, les températures hivernales vont progressivement chuter pour atteindre les -25°C dans certaines régions et rien ne laisse supposer que les nouveaux dirigeants seront à même de répondre efficacement à ces nouveaux défis.

D’un point de vue de politique internationale, les Talibans sont bien seuls. La grande majorité des délégations diplomatiques établies avant la reconquête de Kaboul ont fermé leurs portes. Les États-Unis et l’Europe refusent pour l’instant toute coopération officielle avec le nouveau régime tant que ce dernier n’aura pas établi une feuille de route politique claire où les droits de chacun (notamment des femmes) seront respectés dans le temps long. Au Nord, les pays d’Asie centrale sont particulièrement méfiants et renforcent leur vigilance aux frontières avec l’aide du voisin Russe qui refuse que sa « zone tampon » soit déstabilisée. Le Tadjikistan, par où transite le trafic d’opium afghan nécessaire à la survie économique du nouveau régime, s’est par exemple vu attribuer plusieurs régiments supplémentaires par le Kremlin afin de sécuriser la zone. À l’Ouest, Téhéran a récemment dépêché des unités de pasdarans en renfort à la frontière irano-afghane après que des affrontements épars aient éclaté avec les Talibans il y a quelques jours. Aujourd’hui, seul le Pakistan reste un fervent défenseur de la cause talibane, mais n’a pour le moment ni la carrure politique ni les moyens économiques pour faire peser le nouveau régime sur la scène internationale.

 

Pékin rentre en lice, doucement mais sûrement

C’est précisément pourquoi l’Empire du Milieu commence à porter son regard un peu plus à l’Ouest. Pékin reste (avec la Turquie et la Russie) un des rares pays à avoir maintenu son ambassade ouverte et le seul et à avoir reçu une délégation Talibane sur son sol. Le retrait précipité des Américains d’un pays meurtri par plus de 60 années de guerre est en réalité synonyme d’enjeux économiques et d’opportunités sécuritaires importants pour Xi Jinping dont l’administration s’efforce de plus en plus à tisser des liens avec le voisin Afghan. 

Toutes relations commençant quelque part, la Chine s’est d’abord efforcée de fournir une aide humanitaire au nouveau régime. 30 millions de dollars ont été versés parallèlement à 3 millions de doses de vaccins promis par le régime communiste pour lutter contre la propagation de l’épidémie dans le pays. Depuis la fin du mois de juin, des trains chinois ont ainsi régulièrement été affrétés pour transporter plus de 2 600 tonnes de matériel à destination des Afghans. La dernière livraison humanitaire comprenant 1 000 tonnes d’équipements divers (vêtements matelassés de coton, couvertures, poudre de thé, pain levé, lait et autres produits de première nécessité) a ainsi été distribuée fin novembre.

Mais la stratégie chinoise ne se limite pas qu’à jouer aux saints Martins. Car si les couvertures seront en effet nécessaires pour lutter contre le manteau neigeux, en approche, ce sont surtout les routes et minerais, stratégiques pour le développement civil et militaire communiste, qui attise la curiosité pékinoise. En témoigne le récent accueil le 24 novembre dernier par les Talibans d’une délégation de représentants d’entreprises chinoises dont les experts en géologie se sont efforcés à effectuer toute une gamme de relevés de terrain. L’objectif in fine étant que ces derniers évaluent la viabilité d’un potentiel projet d’extraction de lithium au moyen terme. La ressource est très prisée à l’international notamment pour son utilisation lors de la fabrication de batteries pour les véhicules électriques. Une note du ministère de la Défense américain parue en 2010 estimait d’ailleurs que les réserves de lithium du pays atteindraient environ 1 000 milliards de dollars, une estimation dont les profits (à condition que des accords soient signés et des projets concrets lancés) pourraient éventuellement bénéficier au pays hôte ainsi qu’au pays qui en faciliterait l’extraction.

 

Quels avantages à long terme pour la Chine ?

L’Afghanistan regorge de lithium, mais aussi de cuivre, fer, bauxite, chrome, mercure, or, béryllium, graphite, cobalt, pétrole et gaz comme renseigné par l’USGS (Institut d’études géologiques des États-Unis). Une manne stratégique en réalité, car nombre de ces éléments sont nécessaires dans le processus complexe qu’est la transition énergétique et technologique mise en œuvre ces dernières années, tant dans le domaine civil que militaire. L’agence Internationale de l’Énergie (IEA) publiait d’ailleurs un rapport il y a quelques mois annonçant que « les besoins en lithium vont être multipliés par 42 d'ici à 2040, ceux de graphite par 25, ceux de cobalt par 21 et ceux de nickel par 19 ». Ces ressources étant de plus en plus rares, la question de l’indépendance énergétique sur le long terme sera inévitablement combinée à un enjeu de rapport de force entre puissances.  

De par la Realpolitik mise en place par Xi Jinping, la Chine compte en réalité réaliser plusieurs objectifs sur le long terme avec l’aide de son voisin afghan qui n’en sortirait, lui aussi, pas moins gagnant de cette coopération.

Le premier est que Pékin mettrait in fine la main sur des métaux rares et précieux, sous réserve que les deux gouvernements s’entendent sur une éventuelle collaboration dans le temps long. Cela permettrait à l’Empire du Milieu de monter en puissance dans le milieu de la gestion de ressources rares (ou ils sont déjà bien positionnés). Cette stratégie lui donnerait à terme un avantage technologique tant dans le domaine civil que dans le domaine militaire sur les Américains et Européens, dont le retour dans la région n’est plus à l’ordre du jour.

Le deuxième, est qu’il permettrait à OBOR (One Belt One Road) de s’étendre du Xinjiang jusqu'à Téhéran en passant par Kaboul et Islamabad. L’effet final recherché étant d’affermir la légitimité politique des Talibans sur la scène internationale, de renforcer économiquement l’Iran, et d’affaiblir le rival indien en intégrant le Pakistan dans la boucle économique. Pékin réussirait alors le pari fou d’inclure trois pays plutôt hostiles à la politique américaine dans son giron économique, lui permettant d’augmenter ces prétentions commerciales. Et ce, sans avoir à subir la pression que Washington exerce sur le détroit stratégique de Malacca. Les Américains tissent en effet de nouvelles alliances dans le pacifique et tentent  ainsi de limiter la capacité militaire et économique chinoise dans la zone, ce qui pousse Beijing à trouver des moyens de contournement par la terre grâce aux nouvelles routes de la soie.

Finalement, le troisième et dernier objectif permettrait au régime communiste de s’assurer que les affiliés afghans d’un islam ultrarigoriste sunnite – dont les adeptes font probablement partie des guérillas les mieux entrainées du monde – ne viennent pas déclarer de guerre sainte dans le Xinjiang voisin afin de délivrer les Ouïghours de l’emprise chinoise.  

 

Jean-Baptiste Ajacques

 

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