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Effondrement de la compétitivité européenne : conséquence du découplage énergétique UE-Russie

À travers la dissociation énergétique de l’Union européenne et de la Russie, l’Europe troque du gaz et du pétrole relativement bon marché pour des hydrocarbures dispendieux. L’augmentation structurelle du coût de l’énergie sur le continent met en péril la compétitivité européenne. Les tentations de délocaliser outre-Atlantique sont fortes, au plus grand bénéfice de Washington.

Aujourd’hui, 5 décembre 2022 entre en vigueur l’embargo de l’UE sur le pétrole brut russe transporté par voie maritime, supprimant ainsi les deux tiers de ses importations. Dans un second temps, le 5 février prochain, seront visés les produits pétroliers raffinés russes. La Pologne et l’Allemagne ont aussi accepté de stopper leurs importations pétrolières par oléoduc, ce qui signifie que 90 % des importations de l’UE en pétrole russe sont concernées. À cela s’ajoute le plafonnement du prix du pétrole russe à 60 dollars le baril décidé par le G7, l’UE et l’Australie afin de limiter les capacités d’exportation russe vers des pays tiers comme l’Inde ou la Chine, et ainsi maximiser l’effet de l’embargo. 

Par conséquent, il sera prohibé pour les assureurs et les transporteurs des pays soumis au respect de l’embargo d’acheminer le pétrole russe à un prix supérieur à 60 dollars le baril. Quoique peu impactant à court terme (le pétrole brut russe évolue à 65 dollars le baril), le plafonnement pourrait l’être davantage s’il était abaissé, au risque cependant de faire perdre, à moyen ou long terme, des parts de marché au profit de concurrents qui pourraient se substituer aux Européens pour acheminer le pétrole russe. Actuellement, 90 % du marché assurantiel des cargaisons mondiales est contrôlé par les pays du G7 et l’UE est un poids lourd du fret maritime.     

 

L’objectif général de cet embargo est de saper le budget de la Russie pour la contraindre d’arrêter ses opérations militaires en Ukraine. Avec 67 milliards d’euros provenant de ses ventes de pétrole à l’UE depuis le début de la guerre pour un budget militaire annuel avoisinant les 60 milliards, la capacité de la Russie à continuer la guerre est intimement liée à ses exportations de pétrole.  

Pour remplacer le pétrole russe, l’Europe se tourne vers d’autres pays comme les États-Unis, l’Angola, l’Arabie saoudite, l'Irak, etc. Cependant, les prix risquent d’être plus élevés pour deux facteurs. D’une part, à cause de l’augmentation du coût du transport et de la logistique (le pétrole provient de plus loin). D’autre part, en raison de la réduction de l’offre de deux millions de barils par jour des pays membres de l’OPEP+ pour faire face au ralentissement de la croissance économique mondiale. Et avec la contraction additionnelle de l’offre liée à l’embargo de l’UE sur le pétrole russe, tout porte à croire que les producteurs de pétrole verront leurs revenus croître. Ils n’ont donc aucun intérêt à augmenter l’offre, ce qui ne ferait que baisser les prix. 

 

Réduction drastique de la part du gaz russe dans les importations européennes

Le gaz russe consommé par l’UE ne représente plus que 7,5 % du total de ses importations gazières contre 40 % avant la guerre. Pour faire face à ce changement de situation, l’Europe a choisi d’importer du GNL 30 % à 50 % plus cher que le gaz naturel transporté par gazoduc, y compris de Russie, mais également de pays comme, entre autres, le Qatar, l’Azerbaïdjan, le Nigéria ou encore les États-Unis. Aussi faut-il mentionner le manque de ports méthaniers en Europe, et les coûts associés à leur construction. Malgré la trentaine de terminaux de regazéification principalement localisés en France, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie et au Portugal, leur nombre est insuffisant pour absorber l’explosion de la demande européenne en GNL. Les pays d’Europe centrale en sont dépourvus, alors que l’Allemagne n’a inauguré son premier terminal flottant que le 15 novembre dernier.  

Dans leur ensemble, ces choix énergétiques entraînent une augmentation vertigineuse des prix de l’énergie en Europe. Lors du deuxième trimestre de 2022, « la valeur mensuelle moyenne des importations de produits énergétiques a plus que doublé par rapport à 2021 », selon Eurostat. Le prix de l’électricité produite en Europe flambe également à cause d’un mécanisme de marché européen. Ce dernier fait que le prix de l’électricité dépend du coût de production marginal du dernier mégawattheure injecté sur le réseau et non du coût moyen de production. Comme le prix du gaz augmente significativement, le coût de l’électricité augmente aussi, car le coût marginal dépend du coût de production des centrales à gaz. 

 

De graves conséquences pour l’Europe

Avec la crise énergétique qui frappe l’Europe, nombre d’industriels considèrent délocaliser leur production où la sécurité de l’offre et le prix de l’énergie sont garantis, comme aux États-Unis ou en Chine. L’Amérique produit une grande partie de son électricité à partir du gaz pour lequel elle est autonome et excédentaire. Non content de bénéficier de prix de l’énergie trois à quatre fois moins élevés qu'en Europe, l’Oncle Sam multiplie les mesures incitatives, comme l’Inflation Reduction Act. Il s’agit d’une enveloppe de 370 milliards de dollars de subventions pour développer l’implantation de sites de production aux États-Unis. 

Sans surprise, VolkswagenBMW et Northvolt ont, pour ne citer qu’eux, déjà annoncé une extension de leur production aux États-Unis. D’autres y songent de plus en plus. Safran suspend pour le moment l’ouverture d’une usine dans les alentours de Lyon, tandis que Toshiba pourrait délocaliser une partie de la production de son usine de Dieppe. L'instabilité de l’offre et les prix trop élevés de l’énergie en Europe ne sont pas étrangers à ces considérations. La compétitivité européenne fond comme neige au soleil, alors que l’inflation importée via l’énergie se diffuse petit à petit dans tous les secteurs de l’économie. 

Enfin, la capacité de production d’électricité d’origine nucléaire est insuffisante en France en raison de problèmes de corrosion, de maintenances prolongées et, surtout, du délaissement de la filière du nucléaire ces dernières années. Ainsi, avec un peu moins de la moitié de son parc nucléaire à l’arrêt, la France se voit réduite à importer de l’électricité d’Allemagne, de Belgique, du Royaume-Uni et d’Espagne alors qu’elle était une exportatrice nette d'électricité depuis quatre décennies. En dépit de l'aide de ses voisins, la France risque des délestages, c'est-à-dire des coupures d’électricité pour préserver le système électrique. Si le scénario du black-out total reste improbable, le délestage pourrait néanmoins impacter 4 millions de Français simultanément plusieurs heures par jour avec un chamboulement majeur de toutes les activités. Si cela advenait, les entreprises européennes qui hésitent encore à délocaliser seraient vraisemblablement convaincues de plier bagage.

 

Rémy Carugati

 

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