Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Les « dilemmes » chinois : de grandes stratégies pour tenter de répondre à la géographie

La Chine est extrêmement dépendante de ses importations stratégiques, notamment énergétiques. De cet état de fait provient ce que l’on nomme le « dilemme de Malacca », concept évoqué pour la première fois en 2003 par Hu Jintao. Aujourd’hui, la Chine fait face à d’autres « dilemmes » et déploie de nombreuses stratégies pour y répondre.

Selon l’US Energy Information Administration, la Chine est devenue, en 2019, le cinquième producteur de pétrole au monde tout en étant, depuis 2017, le premier importateur mondial, avec environ 13,4 % de sa consommation énergétique importée tous les ans. Ainsi, environ 58 % de ce pétrole importé provient du Moyen Orient, d’Angola, de la République démocratique du Congo et de Libye. De plus, 60 % des réserves de cobalt se trouvent en RDC. Or, ces ressources sont nécessaires à Pékin pour devenir numéro un sur le marché des batteries électriques, dans l’optique du plan « made in China 2025 », et dans sa volonté de contrôle des terres rares. Les investissements chinois dans le pays permettent ainsi à Pékin de contrôler aujourd’hui 72 % du raffinage de cobalt mondial.

 

Le « dilemme de Malacca » 

Disposant d’environ 15 000 kilomètres de façade maritime, la Chine est en réalité un pays partiellement enclavé. En effet, ce littoral ouvre uniquement sur la mer de Chine et l’océan Pacifique. Autrement dit, la Chine n’a aucun accès maritime direct à l’océan Indien par lequel transitent les importations que nous évoquions plus haut. Plus grave encore, il n’existe en réalité presque qu’une seule route qui permet de relier l’océan Pacifique et les côtes chinoises à l’océan Indien, cette route passant par un détroit, celui de Malacca – par lequel transite 80 % des importations de pétrole de la Chine. Ainsi, si Anvers était, au moment des guerres napoléoniennes, un « pistolet braqué vers le cœur de l’Angleterre », on peut aujourd’hui dire que Malacca est un « pistolet braqué vers le cœur de la Chine ». Par ailleurs, la crainte de Pékin réside dans le fait que les États-Unis puissent fermer le détroit grâce à leurs alliances et leurs bases en Asie du Sud-Est, notamment à Singapour, ce qui porterait un coup fatal à l’économie chinoise.

Cet état de fragilité explique presque à lui seul la création de la Belt and Road Initiative (BRI). Les pipelines d’Asie centrale, les ports du Myanmar ou le vieux rêve de percer l’isthme de Kra sont autant de tentatives chinoises de se défaire de ce dilemme perçu par le Parti communiste chinois (PCC) et ses dirigeants comme une atteinte à la sécurité nationale de la République Populaire de Chine. Pékin essaie donc de multiplier les efforts pour pallier cela à l’aide de la BRI. Cependant, les pipelines Kazakhstan-Chine et Myanmar-Yunnan ne fournissent en cumulé que 12,6 % des barils qui passent chaque jour par Malacca. Or, ni le corridor économique avec le Pakistan ni celui avec le Myanmar ne semblent prêts à résoudre ce dilemme que la Chine ne rencontre d’ailleurs pas qu’à Malacca.

 

Le « dilemme d’Ormuz »

La Chine est en fait dans une situation assez analogue à celle du dilemme de Malacca dans le golfe Persique. Ainsi, 44 % du pétrole que la Chine importe vient du Moyen-Orient, et en écrasante majorité des pays du golfe Persique.  

Il suffit à nouveau de s’en référer à la géographie pour comprendre le problème chinois. Les États-Unis, qui possèdent deux bases aériennes et une base navale aux Émirats arabes unis, pourraient là aussi bloquer le détroit d’Ormuz en cas de conflit, privant ainsi la Chine d’une part très conséquente du pétrole dont son économie a besoin. On peut considérer qu’environ 6,5 % de la consommation énergétique chinoise serait mise en danger si le pétrole du golfe Persique ne devait plus passer par Ormuz. Pour le moment, la Chine se contente d’orienter sa communication autour de sa sécurité énergétique et de la sécurisation des routes commerciales, notamment à travers les missions anti-pirateries qu’elle mène depuis Djibouti, première base militaire chinoise à l’étranger.

En 2003, la Chine pouvait se sentir légitime à parler d’un « dilemme de Malacca », le détroit étant situé dans une zone que la Chine perçoit culturellement comme son espace proche et sujet à sa domination commerciale et culturelle. Ce n’est pas le cas du Moyen-Orient. Aussi, on peut considérer dans une certaine mesure que si Pékin n’a pas encore indiqué dans sa doctrine officielle qu’Ormuz représentait un « dilemme » pour la Chine, il ne fait aucun doute que la peur d’un blocage du détroit hante les esprits des stratèges chinois. Il y a fort à parier que si la Chine devait asseoir sa place au Moyen-Orient, elle commencerait à employer ce terme dans sa rhétorique, tant la situation est analogue – bien que moins dangereuse – à celle que Pékin rencontre à Malacca.

 

« Chine 2049 » : la stratégie de différenciation chinoise

Une des pierres angulaires de la stratégie chinoise est le plan « made in China 2025 », qui doit voir la Chine devenir le leader dans la production des hautes-technologies telles que les batteries électriques. Cela doit surtout rendre l’empire du Milieu autosuffisant technologiquement et lui assurer son leadership sur ces marchés de haute-technologie. Mieux, Pékin compte écraser le marché européen et mondial de la voiture électrique d’ici 2025.

Cette stratégie chinoise a pour but de servir le grand plan de la Chine qui se nomme « Chine 2049 » ou « Rêve Chinois ». Son objectif était de se développer à l’horizon 2021, pour fêter le centenaire du Parti communiste chinois, mais son ambition vise surtout l’horizon 2049, année du centenaire de la République Populaire de Chine. Cependant, et contrairement à ce que prétend la propagande chinoise, l’ambition de Pékin n’est pas d’accéder à un développement « modéré » et « harmonieux », mais bien de devenir la première puissance mondiale et ceux dans tous les domaines, dont la haute technologie.

La stratégie « made in China 2025 » est essentielle à la Chine, car elle a aussi pour but de lui permettre de se passer en partie du pétrole qu’elle n’a pas et donc, de résoudre, en partie, le « dilemme d’Ormuz ». En revanche, les terres rares essentielles à cette stratégie passeront toujours par Malacca et son « dilemme », toujours bien difficile à résoudre pour la Chine.

C’est également en ce sens que la Chine déploie la BRI. Son but vis-à-vis de ces points vitaux que sont Malacca et Ormuz mais aussi Suez et Bab-el-Mandeb est double : il s’agit d’une part d’y sécuriser sa place dans la région, qui en dépend, et d’autre part, de tout faire pour trouver des substituts qu’elle pourra contrôler et dont elle estimera qu’ils ne mettront pas en péril sa sécurité nationale et ses stratégies futures. Ainsi fleurissent les projets de ports, de pipelines et de lignes de trains le long des nouvelles routes de la soie.

 

Rémi Bessiere pour le Club Asie de l’AEGE

 

Pour aller plus loin :