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L’intelligence économique, outil privilégié de reconquête de la souveraineté économique nationale d’après le rapport sénatorial Lienemann-Lemoyne

Un rapport du Sénat publié le 12 juillet 2023 dévoile une stratégie nationale, des mesures pragmatiques et appelle à une révolution culturelle pour surmonter les défis économiques et géopolitiques contemporains grâce à l’intelligence économique.

Dans le contexte actuel où les influences étrangères façonnent notre environnement économique, académique et numérique, la commission des affaires économiques du Sénat a décidé de créer une mission d’information portant sur l’organisation de l’intelligence économique en France. Ce rapport, publié le 12 juillet 2023, est le premier bilan des actions menées depuis la mise en place d’une nouvelle politique publique de sécurité économique il y a quatre ans.

L’intelligence économique, présentée comme une solution à la perte de souveraineté économique de la France, vise à instaurer un état d’alerte pour défendre et promouvoir les intérêts stratégiques à divers niveaux : État, entreprise, territoire, ou établissement de recherche. Cette démarche s’appuie sur trois types d’actions : la veille stratégique ou concurrentielle, la protection du patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, et les opérations d’influence.

Cependant, le rapport met malheureusement en lumière le fait que les défis identifiés il y a près de trente ans restent d’actualité. La France accuse toujours un retard en matière d’intelligence économique par rapport à ses concurrents internationaux. Ce retard est principalement dû à une tendance à la séparation et à la diffusion sélective de l’information, un manque de collaboration entre les domaines public et privé, une faible considération pour l’intelligence économique et un soutien politique en dents de scie. Face à ce constat, les rapporteurs Marie Noëlle Lienemann et Jean-Baptiste Lemoyne appellent à une transformation culturelle et organisationnelle majeure pour intégrer l’intelligence économique comme une pratique courante et partagée à tous les niveaux de la société.

Face à une souveraineté affaiblie, marquée par la désindustrialisation et la perte de compétitivité, la France doit renforcer ses capacités stratégiques. Le rapport propose une stratégie nationale d’intelligence économique qui se compose de quatre axes : stratégie proprement dite, gouvernance, territoires et acculturation ou valorisation des ressources.

Le premier cherche à établir une perspective nationale interministérielle pour anticiper et orienter les tendances économiques, comprenant des aspects défensifs (ce dernier s’alignant sur la politique de sécurité économique actuelle en la renforçant) et offensifs.  Le deuxième axe vise à établir une structure interministérielle durable pour la mise en œuvre de cette stratégie nationale, en la conciliant avec les activités du SISSE à Bercy. L’axe de l’engagement territorial ambitionne de propager l’intelligence économique au niveau local, en renforçant la collaboration entre le gouvernement et les autorités locales: à l’heure actuelle, le niveau d’intégration des stratégies d’IE régionales reste disparate. Enfin, l’axe des ressources et de l’acculturation aspire à sensibiliser et à former tous les acteurs à l’intelligence économique, tout en favorisant le développement d’un secteur français de la conformité.

Au-delà de détails peu connus sur la gouvernance et le fonctionnement actuels de la politique de sécurité économique (existence d’un Comité d’Orientation du Renseignement d’Intérêt Économique (CORIE), action des régions en IE), certaines recommandations se démarquent également par leur originalité et leur pertinence dans la manière dont elles abordent le problème. Par exemple, la recommandation n° 14 proposent d’intégrer un volet « intelligence économique » dans tous les schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) ; la recommandation n° 19 suggère d’intégrer un volet « intelligence économique » aux contrats des 19 comités stratégiques de filière. Ces mesures, en plus d’être novatrices, pourraient renforcer la compétitivité des secteurs clés de l’économie française et la position économique de la France à l’échelle régionale et sectorielle.

Par ailleurs, dans une question écrite publiée récemment, l’un des rapporteurs, Mme Marie-Noëlle Lienemann,  souligne l’importance de la normalisation volontaire et appelle à une stratégie nationale en la matière, qui serait pilotée par le gouvernement. Cette stratégie devrait intégrer la normalisation volontaire dans la politique industrielle de la France et renforcer la participation française dans les instances internationales de normalisation.

De ce rapport d’information du Sénat, ressort surtout un appel à une véritable prise de conscience de l’importance de l’intelligence économique pour la reconquête de la souveraineté de la France, dans le prolongement d’un autre rapport à ce sujet publié un an plus tôt. On peut également se réjouir de voir une liste d’actions concrètes  pour replacer l’intelligence économique au cœur des politiques publiques et pour que tous les acteurs soient davantage conscients des rapports de force économiques à l’œuvre aujourd’hui dans le monde, et mieux armés pour y faire face : on peut citer entre autres, un contrôle renforcé des investissements étrangers et une stratégie normative pour préserver la compétitivité des entreprises (en écho au deuxième objectif de la stratégie d’influence par le droit publiée par le Quai d’Orsay en mars dernier), et le renforcement du soutien à une filière française de conformité.

Cependant, la récente question posée par l’un des rapporteurs, concernant la nomination d’une économiste américaine ayant travaillé pour le DoJ, Microsoft, Apple et Amazon au poste de chief economist de la direction générale de la concurrence européenne, rappelle à quel point le chemin à parcourir est encore long. Cette nomination, qui soulève un risque de conflit d’intérêts, et d’accès à des informations confidentielles qui pourrait potentiellement conduire à une fuite de données sensibles vers les États-Unis, montre que l’intégration de l’intelligence économique dans le processus décisionnel, tant au niveau national qu’européen, est loin d’être une réalité. Face à ce constat, la lecture et la mise en œuvre des recommandations de ce rapport sont plus que jamais nécessaires: rendez-vous en septembre pour savoir s’il connaîtra un enterrement de première classe ou débouchera sur une proposition de loi suivie d’effets concrets.

Arnaud Bossy Casteret pour le club Droit et IE de l’AEGE

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