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Recapitalisation d’EDF à nouveau retardée : quels enjeux pour le groupe dans le contexte de la crise énergétique ?

Après d’âpres épisodes de négociation, la recapitalisation étatique d’EDF est à nouveau repoussée. Lundi 23 janvier 2023, les actionnaires minoritaires ont demandé un sursis à la Cour d’appel de Paris, jugeant l’Offre publique d’achat (OPA) à hauteur de 12 euros l’action insuffisante. Pour l’instant chiffrée à 9,7 milliards d’euros, l’OPA est bien en-deçà des attentes des privés, qui ne détiennent plus que 10 % du capital de l’énergéticien.

Suite à leur précédente levée de boucliers lors de l’annonce d’Offre publique d’achat en juillet 2022, les actionnaires minoritaires entendent bien faire monter l’enchère, s’estimant lésés par le tarif de rachat des actions proposé par la puissance publique. Bercy, qui avait prévu un budget initial de 12,7 milliards d’euros maximum (incluant d’éventuelles opérations complémentaires de soutien à des entreprises du groupe), risque d’avoir à réévaluer ses prévisions.

Officiellement, la recapitalisation du groupe trouve ses justifications dans l’accès au capital pour les plans de transformation de l’énergéticien. L’État se portant garant, les créanciers se trouveraient rassurés par la solvabilité de la puissance publique et feraient baisser les taux d’intérêt, permettant ainsi un plan de relance nucléaire effectif qui maintiendrait des coûts de l’électricité raisonnablement touchés par le coût du capital. 

 

Une recapitalisation justifiée du point de vue financier

Bien que plusieurs options de partage des risques financiers subsistent en vue de limiter les coûts du capital via le financement réparti entre l’État (dette publique), les exploitants du parc (pré-taxe aux fournisseurs d’électricité en France et à l’étranger) et les consommateurs (via le prix du MWh sur le marché de gros), l’arbitrage entre l’acteur public et les marchés financiers reste indispensable. Dans le contexte du marché européen de l’électricité, les prix doivent pouvoir rester compétitifs sur les technologies bas-carbone et exempts des coûts variables des matières premières (nucléaire, énergies renouvelables). En effet, l’inflation galopante dévorant peu à peu l’économie européenne ne peut s’établir sur le long terme, tandis que les ambitions de relance nucléaire et de souveraineté énergétique du gouvernement Borne doivent s’accompagner de mesures concrètes de refonte du marché européen de l’électricité et de facilitations d’accès aux capitaux via l’investissement public.

Il semble que ce dernier soit directement attribué à EDF, qui supporte déjà le mécanisme de l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) pour l’instant fixé à 100 TWh par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) pour 2023. La demande d’ARENH par les fournisseurs alternatifs d’électricité (hors EDF) étant de 148,3 TWh, le recours au marché européen pour l’approvisionnement des 48,3 TWh restants se fera au prix fort. La CRE estime que ce phénomène fera augmenter le Tarif Réglementé de Vente de l’Electricité (TRVE) d’EDF d’environ 108 % à compter du 1er février 2023, ce dernier étant indexé sur les prix de vente des fournisseurs alternatifs à EDF et non l’inverse. L’État compte toutefois maintenir son bouclier tarifaire sur les prix du MWh pour ne limiter l’augmentation du TRVE qu’à 15 %, une mesure temporairement effective puisque les dizaines de milliards d’euros injectés dans cette mesure interventionniste se retrouveront tôt ou tard sur la facture des contribuables ou des consommateurs.

 

Mais est-elle réellement pertinente au vu des défis actuels ?

Si la recapitalisation d’EDF par l’État a du sens en vue de contenir les prix des électrons sur le long terme et permettre la souveraineté énergétique française, l’urgence d’une refonte du marché européen de l’électricité semble plus prioritaire que les mesures temporaires mises en place par le gouvernement. Le bouclier tarifaire a ses limites et il ne règlera pas les déboires structurels du groupe, à savoir les mécanismes de fixation des prix de vente de l’électricité sur le territoire européen et l’affaiblissement à petit feu d’EDF pour l’entretien des parts de marché des fournisseurs alternatifs d’électricité. Pour l’instant, ces derniers n’assument ni les coûts de construction, de production et de transport des électrons et bénéficient d’un accès protégé à un marché qui s’adapte à leurs conditions.

Cette recapitalisation est aussi directement liée à la possibilité de restructuration d’EDF, anciennement matérialisée par le plan Hercule (toujours d’actualité via « Grand EDF ») selon le député Philippe Brun. Dans la feuille de route que la Première ministre a adressé à Luc Rémont, récemment nommé à la tête de l’énergéticien, les défis sont légion et la dénomination d’une « nouvelle feuille de route stratégique opérationnelle et financière » dans le cahier des charges du nouveau PDG sonne comme une alternative au plan Hercule Grand EDF. Espérons que le plan de scission du groupe en trois entités n'est plus d’actualité, et que la dynamique de privatisation partielle d’EDF Renouvelables et d’Enedis ne sera bientôt plus qu’un souvenir.

La finalisation du rachat des 10 % restants du capital d’EDF par l’État est sujet à une décision de la Cour d’appel de Paris, qui examinera le recours des actionnaires minoritaires le mercredi 25 janvier au matin.

 

Aymeric Le Brun

 

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