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Comment le Kazakhstan se sépare de son allié historique russe

Dans une quête d’autonomie, le Kazakhstan déploie des efforts pour réduire l’influence russe sur son territoire. Cela passe par une diversification économique, énergétique et de défense ayant pour objectif de construire son indépendance. Le défi réside cependant dans le maintien d’un équilibre diplomatique avec la Russie, historiquement liée au Kazakhstan. 

Guerre en Ukraine: grande étape du découplage russo-kazakh

Malgré ses relations étroites et historiques avec la Russie, le Kazakhstan entreprend de nombreuses mesures pour affirmer son indépendance. En janvier 2022, alors que la Russie envoyait plus de 2 000 troupes pour aider à réprimer les troubles anti-gouvernementaux au Kazakhstan, les autorités kazakhes n’ont pas soutenu l’invasion russe de l’Ukraine. De fait, elles ont déclaré leur neutralité par rapport à l’invasion et se sont même engagées à se conformer aux sanctions contre la Russie. Lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg en été 2022, le Président Tokayev a déclaré que son pays ne reconnaissait pas l’indépendance des territoires « quasi-étatiques », Donetsk et Lougansk, ce qui a déplu à  Moscou. En conséquence, les relations entre le Kremlin et Astana se sont tendues, avec des réprimandes régulières des dirigeants russes à l’égard du Kazakhstan pour sa position sur la guerre en Ukraine​​.

La Russie dans le complexe énergétique du Kazakhstan

De par sa position stratégique en Asie centrale, le Kazakhstan est un acteur majeur dans la géopolitique et la sécurité énergétique eurasienne. Sa production d’uranium est la plus importante au monde, et le pays dispose de ressources minières et pétrolières abondantes. Or, la guerre en Ukraine a dévoilé la position délicate du Kazakhstan, coincé entre les intérêts russes et ceux de l’Occident. Historiquement, le Kazakhstan est très dépendant de la Russie pour l’exportation de ses ressources énergétiques. En 2020, environ 44 % des revenus du budget kazakh provenaient du pétrole et du gaz. De surcroît, le pays exporte 80 % de son pétrole via le Consortium du pipeline de la mer Caspienne (CPC), dont la Russie détient une participation significative. Cependant, la série d’incidents récents affectant les opérations du CPC a conduit à une réduction des exportations de pétrole kazakh vers l’Europe, suggérant une possible pression politique de la part de Moscou​​. En effet, en juillet 2022, la Russie a bloqué le CPC pendant un mois pour des raisons de « violations environnementales ». 

Pipeline CPC, Conflit 08/07/2022

Les nouvelles routes d’export énergétique du Kazakhstan pour s’affranchir de Moscou

Face à cette dépendance, le Kazakhstan a entamé des démarches pour diversifier ses routes d’exportation énergétique. L’État commence à exporter du pétrole via le pipeline Baku-Tbilisi-Ceyhan dès le début 2023 et surtout, à  augmenter le transit de pétrole via la mer Caspienne vers l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie. Cela nécessite l’expansion quantitative de la flotte de pétroliers et l’agrandissement du port d’Aktau. En 2022, les expéditions de pétrole kazakh vers la Chine ont augmenté de 30 %, bien que cela ne soit pas susceptible de se maintenir. En effet, la Chine préfère acheter du pétrole russe à des prix significativement réduits du fait de l’alliance géostratégique multidimensionnelle entre Moscou et Beijing. Par ailleurs, KazTransOil a commencé à pomper du pétrole du Kazakhstan vers l’Allemagne via la Pologne, par le pipeline Druzhba​​​​, afin de répondre à la demande croissante de l’UE. Moscou a même donné son accord pour que le pétrole kazakh transite à travers la Russie

Les efforts de diversification économique et commerciale du Kazakhstan

Sur le plan économique, le Kazakhstan a manifesté un intérêt croissant pour renforcer ses relations avec l’Europe. La visite du Président Emmanuel Macron en novembre 2023 a été une étape importante, marquée par la signature de contrats stratégiques dans les secteurs des minerais, de l’énergie et de la recherche. Parmi eux, les partenariats dans l’éolien avec Total Energies et la fourniture de radars militaires font particulièrement de l’ombre aux partenaires traditionnels Russes.  Avec un commerce bilatéral de 5,3 milliards d’euros en 2022 principalement dans les hydrocarbures, la France se positionne comme un partenaire économique clé, devant la Chine. Ce type de transaction commerciale dans des secteurs aussi précis et spécifiques démontre jusqu’où le Kazakhstan est prêt à diversifier son économie. Cela d’ailleurs se traduit de plus en plus dans les acquisitions de matériels militaires.

L’évolution de la politique de défense du Kazakhstan au regard de la conjecture

Militairement, le Kazakhstan s’éloigne progressivement de la dépendance envers les équipements russes. L’armée kazakhe s’est dotée d’équipements de diverses origines, notamment européenne et américaine, comme les avions cargo C295 d’Airbus, les avions d’entraînement militaire Tchèques L-39 Albatros, les hélicoptères Bell-205, et les Hélicoptères H145. Parmi toutes les acquisitions il y a également des drones Wing Loong chinois et des blindés Otokar turcs. La multiplicité des sources d’importations du Kazakhstan  s’explique par le fait que l’État ne peut se permettre de miser la viabilité de sa défense sur un seul pays producteur. Un exemple qui a alarmé les autorités kazakhes est le cas de la Russie, contrainte d’abandonner son allié arménien lors du conflit face à l’Azerbaïdjan. À cause de la guerre en Ukraine, le Kazakhstan ne peut pas recevoir d’armement russe et dans l’hypothèse où il rentrait en guerre, celui-ci ne pourrait pas combattre sans soutien réel de la Russie.

Alphabet et identité : le tournant occidental du Kazakhstan

En plus des aspects énergétiques, économiques et militaires, le Kazakhstan manifeste son émancipation de l’influence russe à travers des changements linguistiques. En 2021, le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, a signé un décret visant à adopter un nouvel alphabet latin pour écrire le kazakh, remplaçant l’alphabet cyrillique utilisé depuis l’époque soviétique. La décision de changer d’alphabet d’ici 2025 a suscité des réactions diverses au sein de la population, reflétant les tensions culturelles entre la majorité ethnique kazakhe et la minorité russe du pays. Environ 70 % de la population kazakhe voit ce changement comme une étape nécessaire pour affirmer son identité nationale, tandis que la communauté russophone le perçoit comme une discrimination et une tentative de s’éloigner de la Russie ainsi que de son influence culturelle, comme l’a fait l’Ukraine sous Porochenko. Malgré ces tensions, le gouvernement kazakh a assuré que le russe, langue semi-officielle au Kazakhstan, conserverait l’alphabet cyrillique, signifiant que le changement ne concerne que la langue kazakhe.

La posture du Kazakhstan dans le conflit ukrainien et ses efforts pour diversifier ses relations économiques et militaires témoignent de son désir d’autonomie. L’engagement du Kazakhstan à maintenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, son refus de soutenir l’invasion russe, et sa conformité avec les sanctions occidentales contre la Russie, démontrent une indépendance croissante dans la politique étrangère kazakhe. Le Kazakhstan veut jouer un rôle de médiateur entre l’Ukraine et la Russie,  tout en participant à la sécurité énergétique et alimentaire européenne. Malgré la pression de Moscou, le Kazakhstan marque un tournant dans ses relations internationales​​. La France a montré un intérêt considérable dans l’économie kazakhe, bénéficiant de la diversification des partenaires de celui-ci. 

Ferdinand Souleau-Joffre

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