Communia, nouvel organe d’influence favorable à « l’ouverture » dans le domaine de la connaissance digitale

C’est une évidence, Bruxelles est devenue un centre de pouvoir incontournable sur un plan politique et législatif, non seulement à l’échelle européenne mais aussi sur un plan mondial.

Cette évidence s’exprime à travers une concentration importante d’institutions politiques, d’associations, d’ONG, de lobbyistes, de journalistes ou encore de think-tanks. Communia, organe de réflexion spécialisé dans le domaine de la connaissance digitale, fait désormais plus que jamais partie de ce monde d’acteurs influents puisqu’il est officiellement devenu, le 16 juin 2011, une association internationale à but non lucratif.

Le lancement a été l’occasion pour ses membres de publier une série de 14 principes destinés à promouvoir l’espace public digital, et à protéger celui-ci contre les risques de contrôle abusif, principalement par rapport au copyright. Lobby ou think-tank, l’avenir nous indiquera le rôle précis que souhaite jouer l’organisation.
Né à Bruxelles, grâce à l’UE

Le projet initial, intitulé « The Communia Thematic Network », a été financé de septembre 2007 à février 2011 par les fonds européens. Communia est donc née sous l’impulsion de l’Union Européenne qui a su, à travers son programme thématique eContentplus, générer une dynamique de débat, un processus de réflexion collaboratif, et des synergies aussi utiles que constructives sur les problématiques de gestion de contenus numériques.

Communia regroupe aujourd’hui un certain nombre d’acteurs de la société civile et du monde académique, pour la plupart déjà actifs et reconnus pour leur travail dans ce domaine.

C’est le cas de Creative Commons, organisation très visible dès qu’il s’agit de licences libres ou d’open access, et qui s’est fixé pour mission le développement d’infrastructures techniques et légales destinées à promouvoir la créativité digitale, le partage, et l’innovation. En d’autres termes, son objectif est de permettre une exploitation maximale du potentiel d’internet en termes de recherche, d’éducation et de culture, le tout dans une optique de développement, de croissance et de productivité.

Au passage, soulignons une fois de plus l’intérêt qu’il y a pour les PME françaises et européennes de s’impliquer dans la vie bruxelloise : prendre part à ce type d’initiative leur offre en effet la possibilité de se positionner en amont de certaines directives, et cela quel que soit leur secteur d’activité. Or, anticiper les évolutions du marché constitue généralement un levier stratégique déterminant pour l’avenir et la croissance d’une PME.
La légitimité du positionnement

Le « Manifeste pour le domaine public » (Communia, Janvier 2010) peut être considéré comme l’un des actes essentiels du mouvement. Son préambule rappelle habilement le point de vue de Victor Hugo : « Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous ». (Victor Hugo, Discours d’ouverture du Congrès littéraire international de 1878, 1878).

Au-delà de cette entrée en matière, le manifeste défend l’idée d’une participation culturelle de tous les individus, et souhaite encourager l’innovation numérique. Dans cette optique, il fait le rapprochement avec l’article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont il se pose en défenseur : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». On notera toutefois que le manifeste passe sous silence le deuxième paragraphe qui relativise cette perspective, puisqu’il précise dans la foulée que « chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur ».
Le contexte : un débat complexe dans un environnement très évolutif

Il ne fait aucun doute que l’information et la connaissance numériques occupent désormais une place centrale dans l’économie de la planète. En témoignent la capitalisation boursière du réseau professionnel Linkedin – 8,9 milliards de dollars – ou encore la valorisation de Google, à 111,5 milliards de dollars (ZDNet.fr, mai 2011). Les nouveaux usages qui découlent des technologies de l’information s’expriment de manière protéiforme à travers ce type de plateformes, et dans des domaines très divers : politique, culture, économie, etc.

Europeana, projet lui aussi financé par la Commission Européenne dans le cadre du programme eContentplus, illustre cette pluridisciplinarité des approches : le projet, qui porte sur l’héritage culturel et scientifique européen et s’inscrit dans une logique de « bibliothèque digitale », se matérialise à travers le v1.0 project, qui marie l’humain à la technologie, mêle les contenants aux contenus, et relie l’histoire d’hier à l’innovation de demain.

Si l’on s’intéresse à l’actualité immédiate et au calendrier de ce printemps 2011, on constate que la Communia Association voit le jour peu de temps après le World Copyright Summit qui s’est tenu à Bruxelles les 7 et 8 juin 2011. Cet évènement proposait trois grands thèmes de conférence : créer [l’écosystème mondial pour les créateurs et le secteur créatif], connecter [l’économie numérique et les nouveaux modèles économiques], et respecter [les droits d’auteurs et l’environnement social et législatif].

Le congrès était organisé par la CISAC (Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs et de Compositeurs). Il rassemblait en conséquence 29 partenaires exclusivement attachés à la représentation et la défense des artistes. Seul « intrus » apparent dans la liste : Google. Il est amusant de constater que dans un discours de clôture qui se voulait – du moins en apparence – sensiblement moins ouvert au partage de la propriété intellectuelle que ne peuvent l’être les membres de Communia, Michel Barnier a lui aussi repris une citation d’un certain… Victor Hugo : « Toutes les vieilles législations monarchiques ont nié et nient encore la propriété littéraire. Dans quel but ? Dans un but d’asservissement. L’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre. Lui ôter la propriété, c’est lui ôter l’indépendance ».

Il semble donc que le célèbre auteur franc-comtois soit soudain devenu un porte-parole à la mode qui s’invite à titre posthume dans les débats actuels sur le copyright. Or, à l’heure d’internet et du copy/paste instantané, ceux-ci sont devenus plus épineux que par le passé. En France, la complexité du dialogue était déjà clairement apparue lors des épisodes Hadopi et Loppsi. Très récemment, c’est encore en France à l’occasion de l’eG8 Forum (Mai 2011) que des divergences de vues sont nettement ressorties des discours.

Les différences de position furent en effet là encore manifestes, comme en témoigne cet article de Flore Fauconnier dans le Journal du Net. En substance, à un « Surtout ne faites rien ! » adressé aux chefs d’état par des personnalités telles que Larry Lessig, professeur à Harvard, s’opposait un « Soyez conscients de vos responsabilités et acceptez notre implication ! » d’un Nicolas Sarkozy visiblement soucieux que la liberté à tout prix n’aille pas de paire avec un n’importe quoi incontrôlable et dangereux.
Régulation de l’internet : une priorité ?

L’e-G8 Forum a au moins eu le mérite d’exister, puisqu’il a amené – et amènera encore – les différents acteurs à se poser des questions importantes sur la nature des évolutions de l’internet, ainsi que sur son impact économique, légal, moral, politique, ou encore social et sociétal. C’est une étape indispensable si l’on souhaite poser sereinement les bases de l’internet de demain. En termes de régulation, on peut toutefois légitimement se demander si les priorités des gouvernements doivent vraiment se situer sur ce terrain là.

En effet, dans le contexte de l’après-crise financière, difficile de ne pas juger plus utile, plus urgente et plus opportune une remise en cause des modes de gouvernance de certaines institutions financières ou de certaines multinationales. Évidemment, l’un n’empêche pas l’autre, mais s’il fallait définir une priorité, alors peut-être serait-il plus judicieux d’oublier internet un instant, de façon à laisser les phénomènes d’innovation spontanée se produire. Ceux-ci sont le fruit des mécanismes de partage et d’enrichissement mutuel qui lui sont propres, et ils paraissent davantage générateurs de croissance que les mécanismes de financement des banques envers certaines PME pourtant prometteuses. En cette période de crise, il est donc difficile de concevoir qu’un gouvernement songe à fixer des barrières à l’innovation à travers un encadrement excessif des ressources numériques.

Les ingénieurs familiarisés depuis longtemps avec le monde de l’open source, avec les licences publiques générales GNU, avec la notion de copyleft et avec la Free Software Foundation savent que c’est en partie grâce à cela qu’ils proposent et produisent chaque jour de nouvelles améliorations de l’existant. Alors certes on est souvent davantage dans l’innovation incrémentale que dans l’innovation de rupture, mais on reste néanmoins dans le domaine du progrès pour tous et c’est bien là l’essentiel.

Cela dit, et pour continuer le parallèle avec la crise de 2008, il est également vrai qu’on ne peut plus vraiment accepter l’idée d’un système totalement indépendant, qui s’autorégulerait et fixerait lui-même ses barrières légales, morales et éthiques. On l’a fait pour les banques, on s’est trompés. Pourquoi commettrait-on la même erreur avec internet ? En outre, il suffit d’observer l’évolution de la cybercriminalité pour se convaincre de la nécessité de fixer quelques règles autour du traitement et de la manipulation de l’information digitale, quelles que soient ses formes.

Sur ce point précis, le white paper du CEIS intitulé « Marchés noirs de la cybercriminalités » est riche en enseignements. Il rappelle en conclusion que les réponses à ces problématiques d’ampleur – bien qu’encore émergentes – sont à inventer sur un plan national, européen, et international. C’est donc bien la nécessité d’une forme de gouvernance mondiale renforcée qui semble devoir s’imposer en filigrane.

C’est pour toutes ces raisons qu’il sera intéressant de suivre les positionnements futurs de la Communia Association, d’abord sur le copyright, mais aussi sur internet dans son ensemble. Les sujets de réflexion sont passionnants car ils concernent la notion – très vaste – de gouvernance de l’information sur la toile mondiale.

Enfin, et pour conclure, c’est aussi bien sûr sous un angle purement I.E. que nous seront tentés d’observer les activités de l’association : quelle stratégie de lobbying adoptera-t-elle pour donner du poids à ses prises de position, quel type de communication d’influence mettra-t-elle en œuvre, quelles stratégies de partenariats développera-t-elle?

Jean-Christophe MARCOUX

Entrepreneur et consultant
Management stratégique de l’information
Gestion de projets et conduite de programmes

Twitter : @JCMarcoux