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Le Soft Power Alpin

Le cinquantenaire des relations diplomatiques entre la France et la Chine à débuté le 27 janvier. Pour la circonstance, Claude Bartolone, président de l’Assemblée Nationale rencontrait son homologue Zhang Dejiang qui célébrait « une amitié traditionnelle bâtie par nos dirigeants aussi grande que les Alpes et qui durera comme l’eau du Yangzi qui coule éternellement ».

Une allégorie prenant d’autant plus son sens que les Alpes sont à plus d’un titre un trait d’union entre nos deux nations. Si la diplomatie économique sait être au service des entreprises dans des secteurs attendus comme le nucléaire, l’aéronautique, le luxe, l’agroalimentaire, l’industrie…, elle sait aussi mettre en exergue des compétences inhabituelles et ancrées territorialement : le savoir-faire alpin en est un exemple et a su, loin de ses versants, s’exporter.

Les Alpes forment un environnement exigeant, un lieu de production de savoir faire unique, un enjeu pour les territoires. Une ressource, mais aussi un vecteur de potentialité pour mettre en avant des usages et des pratiques spécifiques : un chiffre d’affaires générant près de 18% de l’économie touristique en France. Une économie basée sur la verticalité, sur la pente, pour transporter, pour valoriser la ressource eau, pour cultiver et produire, pour habiter et depuis quelques années, pour se divertir et se ressourcer. Un regard partant du passé et se tournant résolument vers l’avenir, ambitionnant la conquête de l’international et emmené par des acteurs pour qui l’influence n’est pas seulement un rayonnement, mais aussi une interaction.

En Chine, où le relief représente les 2/3 de la superficie du pays, la présence française à Chengdu dans la province du Sichuan, s’imposait presque. La montagne y a toujours été utilisée comme support pour la poésie, la peinture et les jeunes générations la fréquente à présent aussi pour les sports de plein air. Une valeur nature, une pratique de la montagne, un usage à transmettre. Le loisir sportif qui pourrait devenir le coeur d’une économie touristique tournée vers le camping, le trekking, le cyclotourisme, l’escalade, le parapente, le ski et qui s’adresserait aux jeunes cadres de la classe moyenne. Pas forcément aisée, pas forcément sportive mais avec un besoin toujours plus grandissant de fuir les villes. Avec 120 000 clubs outdoor (30% de progression par an) et 30 millions de chinois qui s’adonnent à un sport de nature, la coopération, si elle n’est pas banale, était « évidente ». L’idée d’une coopération devait naître après que l’Autriche fut le pays européen ayant su imposer son image de destination touristique alpine aux USA il y a quelques années. Une erreur à ne pas reproduire avec la Chine. La coopération franco-chinoise prit d’abord la forme de la construction d’un centre de la montagne.

Des liens historiques existent entre l’école nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix et l’école des guides de haute montagne de Lhassa, un homme en symbolisant le rapprochement : Serge Koenig, vice-consul de France a chengdu, province du Sichuan et guide de haute montagne. Sa passion de la montagne, son expertise de ce milieu l’ont propulsé à la tête de la coopération Alpes–Sichuan. Des similitudes entre les deux régions sont vite apparues pour lui : de riches ressources naturelles, leurs forêts, leurs cours d’eau et leurs falaises. Les deux sites cohabitent avec les grandes villes, Chengdu et Chongqing du côté de Siguniang, ce qui favorise le développement du tourisme. Pour lui, Siguniang ressemble beaucoup aux Alpes d’autrefois, avec un siècle d’industrie touristique pour les dernières et seulement une dizaine d’années de développement du secteur autour du premier.

Serge Koenig s’est naturellement vu doter du surnom local de « Gao Ning », « l’altitude en sérénité ».

La coopération Alpes-Sichuan existe depuis 2006 et intervient à toutes les étapes de la création et du développement d’une économie touristique tournée vers la montagne. Véritable trait d’union entre des opérateurs français (entreprises, universités, associations sportives, équipementiers), il s’agit pour elle d’exporter des savoir-faire expérimentés et les compétences d’un tissu local de PME spécialisées. Développer des partenariats techniques, industriels, économiques avec des opérateurs chinois est une formidable opportunité au moment où le tourisme en Chine entre dans son âge d’or. Une coopération en résonance avec les grandes priorités socio-politiques de la Chine : réduction des inégalités sociales avec du lien rural-urbain, développement de niches économiques (le tourisme de montagne par exemple), ancrer la population rurale sur ses terres et promouvoir la valeur environnement.

Pénétrer ce marché chinois, une mission de longue haleine rendue possible grâce à ce personnage hors-norme ayant une triple casquette : initier des projets et mettre en relation les acteurs afin de signer des partenariats économiques ; mettre en place des actions de coopération généralistes en formant par exemple des guides de montagne, clé unique pour tisser des liens d’amitié avec les autorités locales et obtenir ainsi la priorité sur la concurrence internationale ; et enfin être institutionnel et officiel puisque vice-consul.

L’autre soutien à l’internationalisation des entreprises de l’aménagement de la montagne dans ce projet Alpes-Sichuan est représenté par le Cluster Montagne : fort de ses 120 membres, cette association regroupe les acteurs du secteur et il agrège à la fois entreprises, institutions et formations/recherche. Catalyseur du développement économique, cet écosystème se met au service de ses adhérents en prônant et en favorisant la coopération inter-entreprise. L’objectif est d’identifier des projets touristiques et convaincre les opérateurs du savoir-faire français.

Ajoutez a cela une action publique territoriale faisant intervenir des acteurs comme la caisse des dépôts, la BPI mais aussi la Datar. Un savant dosage public-privé dont le but est de passer du produit au marché. Savoir vendre un usage de la montagne – entre autres – doit être l’œuvre d’une stratégie réseau (pour citer N.Moinet) dont la finalité, la fluidité pour faire circuler l’information, la construction d’une économie relationnelle – sentiment d’appartenance, échange d’informations – et la capacité d’apprentissage-adaptation – apprentissage de compétences et apprentissage relationnel collectif – forment un socle indispensable, solide et représente ici une belle réussite.

Une illustration de l’économie des réseaux que cette coopération décentralisée Alpes-Sichuan qui a vu son maillage récompensé par plus de 20 contrats passés par des PME, TPE pour un montant d’un peu plus de 30 millions d’euros. Au-delà de l’enjeu économique et de ces opportunités exceptionnelles en Chine, il y a l’enjeu de la protection de l’environnement. L’impossibilité dans l’intérieur du pays de « surconstruire » les montagnes et l’obligation de préserver l’eau commandent donc de développer cet intérieur montagneux en préservant l’environnement. Aider au développement du tourisme, qui deviendrait la richesse principale des populations locales, cela contribuerait à une prise de conscience environnementale car les touristes viennent dans une nature protégée.

En Europe, la montagne est devenue depuis quelques années le terrain d’action des politiques publiques ayant trait aux préoccupations majeures de nos sociétés : assurer à la fois la protection de cet environnement mais aussi le développement de ces régions. Un équilibre à trouver, d’autant qu’à côté des pouvoirs publics, des entreprises et des touristes, surgit un nouvel acteur : l’ONG comme Mountain wilderness, CIPRA, WWF. Des usages différents et parfois contradictoires de la Montagne. Doit-elle être sanctuarisée, voire vitrifiée ? Ignorer la présence historique des sociétés dans les zones de haute montagne et préférer une vision davantage proche de celle du musée ? Retirer toute trace de civilisation, c’est prendre le risque d’amputer ces espaces de ce qu’ils ont été, de leur histoire et d’une partie de leur identité.

Philippe DION 

Pour aller plus loin sur le thème du soft-power et de l’influence:

Qu’est-ce que le soft power? Lexique.

La France, quelle influence au XXIème siècle?