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Rencontre : La Science-Fiction Fantasy Fantastique comme outil de rayonnement ?

Lorsque la littérature participe au rayonnement culturel et économique d’un pays ! Le Portail de l’IE a rencontré Elie Maucourant, jeune auteur de science-fiction.

Lyon – ses traboules, ses bouchons, ses rues pavées, mais également ses écrivains. C’est ici que nous a donné rendez-vous Elie Maucourant. A 25 ans, ce jeune professeur de français vient de publier son premier roman dans lequel la capitale des Gaules est hantée par une milice impitoyable : les Marcheurs. C’est pourtant auprès d’une maison d’édition québécoise, bien loin des quais du Rhône, que ce livre de fantasy a été édité. Comment expliquer ce crochet canadien afin de pouvoir s’imposer sur les rayons des librairies françaises ? Rencontre.

Les cours intérieures balconnées, héritées de la Renaissance, auraient plus tendance à suggérer les conspirations florentines que la littérature fantastique. C’est pourtant dans les recoins du Vieux Lyon qu’Elie Maucourant a puisé son inspiration. « Plus jeune je me lançais dans le récit de grandes épopées ; je suis revenu, pour mon premier roman, à quelque chose de plus simple : utiliser la matière que j’avais sous la main, à savoir Lyon et mes voyages, pour transformer tout ça en roman sombre, mêlant anticipation et fantastique. J’avais peur que cela ne plaise qu’aux Lyonnais : la suite m’a heureusement donné tort ! »

Cette suite justement, c’est au Québec qu’elle s’écrit. Et ce, après s’être heurté à ce qu’il appelle « le mur des éditeurs français ». Refus de manuscrits, attente interminable, demande systématique de document papiers, le tableau dressé est guère encourageant. « En France sévit hélas un fort clientélisme qui ne laisse que peu de place aux jeunes auteurs. »

Il se tourne alors vers nos voisins Outre-Atlantique qui se montrent plus attentifs, et très vite intéressés : « leur mentalité est particulière : j’ai eu l’impression qu’ils étaient moins des littéraires que des commerciaux. Que l’on ne s’y trompe pas : c’est une bonne chose. L’éditeur juge de manière impartiale, via un comité de lecture, la potentielle rentabilité d’un texte. » Bien qu’il ne soit encore qu’un jeune auteur, le contrat proposé est alors supérieur à ceux généralement offerts par les éditeurs français. « J’ai eu le droit au paquet ! A savoir 10 pourcent de droits d’auteurs, 2000 exemplaires pour un premier tirage, ainsi qu’une diffusion massive en France et au Québec. Et ce, contrairement aux contrats léonins que l’on peut parfois trouver en Hexagone ».[1]

Passer par le Canada pour être publié en France, un paradoxe d’autant plus vrai pour la littérature de genre : « la littérature enfantine ce n’est pas ici », lui a-t-on dit lorsqu’il a voulu entamer un mémoire sur la fantasy. Une réflexion qui, d’après-lui, refléterait parfaitement une certaine tension franco-française. « Il y a des grands auteurs de S-F et de fantasy française  (Damasio, Jaworski), mais si certains écrivains tentent de rattraper la terrible avance qu’ont les anglo-saxons sur nous, cela ne compense pas le manque d’intérêt qu’ont les universités pour ce genre. Cela fait des années que Tolkien est étudié à la fac en Angleterre, et K. Dick aux Etats-Unis. De plus, en France, nous n’avons pas d’atelier d’écriture créative (« creative and writing »), cours propices à l’émergence de scénaristes. »

R. R. Martin, J. R. R. Tolkien, J. K. Rowling : le constat est alors sans appel, et ce sont les auteurs anglo-saxons qui semblent mener la danse des adaptations audiovisuelles. « A quand un auteur français ?  Ô combien de thèses sur Alfred de Musset, si peu sur Dan Simmons ! Le climat n’est pas favorable à la multiplication des œuvres de genre ; difficulté couplée à un manque de moyens que devraient déployer les universités. Nous sommes beaucoup trop hermétiques et, quelque part, cela nuit à notre aura culturelle et à nos intérêts. 

De ce fait, la perception française de l’artiste et de la création serait-elle improductive et vieillissante ? Pour Elie Maucourant, cela ne fait aucun doute : « on a trop vite tendance à croire qu’un littéraire n’est bon qu’à être professeur ou libraire. C’est oublier qu’il y a un grand public captivé par la littérature de genre. Regardez les entrées du Seigneur des Anneaux, le succès de The Witcher ! Nous rattrapons doucement le retard, mais à quel prix. Les auteurs et les scénaristes sont un excellent moyen de rayonner, et ce n’est pas en pleurant les reliques du passé que nous y parviendrons. »

Toutefois, les solutions pour remédier à la frilosité éditoriale et universitaire semblent minces : « Il faut absolument encourager l’écriture créative dans les facultés et favoriser le marché éditorial français de la littérature de genre. Les éditeurs doivent accepter de prendre des risques au lieu de systématiquement racheter les droits d’auteurs anglo-saxons. Nous aussi nous avons le droit à la parole, et nous pouvons y gagner grandement. Tous, de l’écrivain à l’éditeur, du lecteur aux institutions. A terme, il est nécessaire que des écrivains de langue française soient adaptés à l’écran, qu’ils se manifestent sur la scène internationale. A la clef nous pourrions y trouver l’expression de l’excellence culturelle française, mais également des bénéfices économiques sans précédent. Prenons l’exemple de la série Viking, qui fait figure de vitrine non négligeable pour les pays scandinaves. Il en va de même pour Le Seigneur des Anneaux, dont les ricochets sur l’économie et le tourisme néo-zélandais sont énormes. Bien entendu, ces réussites s’apparentent plus à des petits miracles économiques qu’à des victoires infaillibles. Autrement dit, les succès sont aussi fulgurants qu’imprévisibles. C’est pourquoi je ne revendique pas la mise en œuvre artificielle de ce genre de projet, mais plutôt un terrassement qui soit susceptible de favoriser la création et la réussite. Les attentes du public ont changé. La fantasy, autrefois cantonnée à la confidentialité, s’impose aujourd’hui comme un phénomène de société. Enlevons nos œillères, et acceptons-le avec curiosité et boulimie. »


[1] A peine 4 pourcent de droits d’auteurs et 400 exemplaires.