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La guerre de l’influence en Europe entre les États-Unis et la Russie (Partie 1)

La Russie et les Etats-Unis sont au cœur d’un rapport de force géoéconomique qui pourrait être caractérisé de guerre économique entre deux empires rivaux. Cette dernière se matérialise notamment par une volonté d’avoir une influence sur l’Europe (politiciens et entreprises) afin qu’elle agisse dans leurs intérêts. Cette première partie est l’occasion d’étudier la stratégie américaine dans cette guerre de l’influence.

Particularité de l’empire américain

L’empire que sont les Etats-Unis, a compris très tôt la nécessité de mettre en place une stratégie d’accroissement de puissance et utilise tous les leviers d’action à sa disposition afin d’atteindre ses objectifs.

En 1992, les Etats-Unis mettent en place le programme SBIR (Small Business Innovation Research) dans le but de verser des fonds aux entreprises afin de développer des produits et des services. Ce programme a vocation à stimuler les innovations qui pourront être utiles à l’Etat et être mises sur le marché à destination des entreprises ou des particuliers. Le gouvernement américain a bien compris les enjeux stratégiques liés aux innovations sur l’échiquier mondial puisqu’il finance entre 25 et 30% de la recherche et développement et  60% de la recherche fondamentale.

Par ailleurs, ils créent en 1993, le National  Economic Council (NEC) doté de quatre objectifs :

– Coordonner l’élaboration des politiques économiques pour répondre aux enjeux nationaux et internationaux.

– Coordonner les conseils donnés au président américain au sujet des politiques économiques.

– S’assurer que les décisions et programmes politiques soient cohérents avec les objectifs économiques du président.

– Surveiller la mise en œuvre de la politique économique du président.

Le directeur de ce conseil est directement nommé par le président des Etats-Unis, ce qui sous entend bien la portée extrêmement stratégique de cette organisation pour les américains.

Depuis la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis sont la première puissance mondiale dans de nombreux domaines (politique, économique, militaire). La coopération entre les acteurs privés et publics, mise en place dans le but de servir des intérêts communs ne fait aucun doute aux Etats-Unis (Nous étudierons un exemple plus bas).

Que ce soit d’un point de vue militaire, économique ou politique les Etats-Unis utilisent toutes les armes dont ils disposent afin d’avoir un contrôle sur le monde (extraterritorialité du droit américain, décisions militaires unilatérales, droit de veto au FMI, prédominance du dollar, l’anglais comme langue internationale etc.)

Néanmoins, cet empire fait face aujourd’hui à certaines difficultés et ne peut plus incarner la puissance légitime démocratique comme ce fut le cas auparavant, pour diverses  raisons :

 – Taux de criminalité aux Etats-Unis : 1 américain sur 100 est en prison, il s’agit du pays possédant la population carcérale la plus élevée au monde.

– Brutalités policières (souvent à caractère raciste) : de nombreuses vidéos sortent régulièrement montrant des interpellations policières extrêmement brutales envers des afro-américains se terminant par la morts de ces derniers. (Michael Brown à Ferguson, Eric Garner, Ezell Ford, Akai Gurley etc.).

Problèmes de santé  : un tiers des américains sont obèses. Aujourd’hui, l’américain moyen pèse 11 kg de plus que dans les années 60.

Couverture médicale  : 45 millions d’américains ne disposaient d’aucune couverture médicale en 2009, les prévisions pour 2019 font état de 54 millions.

-Promotion de démocratie au Moyen-Orient, tout en étant allié aux régimes les plus rétrogrades de la région à l’instar de l’Arabie Saoudite et de Qatar.

 Nous pouvons également ajouter à ça l’intrusion du gouvernement dans la vie privée des citoyens ou encore les échecs militaires face à des adversaires jugés beaucoup plus faibles (Vietnam, Irak).

Par ailleurs, les Etats-Unis voient apparaître de nouveaux adversaires très coriaces (la Chine et la Russie par exemple), qui se dressent contre l’hégémonie des Etats-Unis parce qu’ils ont compris eux aussi la nécessité de mettre en place une stratégie d’accroissement de puissance.

Malgré ces points noirs, Washington reste aujourd’hui la capitale de la guerre économique.

Une Europe influencée politiquement depuis sa création pour servir les intérêts américains

De manière générale, les Etats-Unis utilisent différents moyens pour contrôler l’Europe, afin que cette dernière se dirige dans le « bon sens » et empêcher d’autres empires (Russie notamment) de se l’approprier.

Les Etats-Unis vont, dans un premier temps, influencer les institutions politiques européennes afin que ces dernières prennent des décisions conformes avec les intérêts américains.

L’empire américain n’accepte pas que l’Union européenne ne s’aligne pas sur ses positions et il s’est toujours employé à ce que l’Europe agisse en sa faveur. Comme lorsque Jacques Chirac a dit non à la guerre en Irak sur de faux prétextes par exemple, cela a beaucoup irrité les Etats-Unis.

Nous pouvons citer pour exemple les négociations du GATT durant lesquelles les Etats-Unis, lors des négociations concernant l’agriculture, on tout fait pour « désarmer les Européens de leur arsenal de protection et de stimulation des productions et des exportations agricoles ». Les Etats-Unis attendaient alors de l’Union européenne « un démantèlement intégral des soutiens internes et externes, ainsi qu’une ouverture de son marché aux productions américaines ».

Ces négociations se solderont par un accord, des années plus tard, en faveur des Etats-Unis (diminution des soutiens internes, des subventions aux exportations et ouverture du marché intérieur aux produits agricoles en provenance des Etats-Unis en particulier).

Aujourd’hui les Etats-Unis poussent l’Union Européenne à la signature d’un traité de libre échange, partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement (communément nommé sous les sigles TAFTA, TTIP ou PTCI) qui serait encore une fois en faveur des intérêts économiques américains.

Il est alors légitime de se demander comment les Etats-Unis parviennent à avoir autant d’influence sur les décisions européennes au point de pouvoir pousser l’Europe à prendre des décisions politiques et économiques qui lui sont défavorables.

Si nous prenons l’exemple du TAFTA, les informations sur le passé du négociateur européen en chef sur ce dossier sont quasi inexistantes (aucune information disponible sur ses anciens postes, ni sur ses anciennes missions), et en ce qui concerne les autres membres de l’équipe, certains d’entre eux ont fait leurs études aux Etats-Unis et d’autres ont exercé leurs fonctions au sein d’instances internationales faisant la promotion de l’ouverture des marchés et du libre échange. Tout ceci jette le doute sur la neutralité et l’impartialité des négociateurs européens sur ce dossier et sur l’influence probable des Etats-Unis dans le choix des membres de l’équipe de négociation.

Il est aujourd’hui acté que les Etats-Unis ont placé leurs relais d’influence au sein de l’Europe, et cedès la création de l’Union européenne puisque Jean Monnet (un des fondateurs de l’Europe) était un agent d’influence américain.

Par ailleurs, les Etats-Unis excellent en matière de lobbying à Bruxelles (seconde capitale du lobbying derrière Washington), et ce depuis la création de l’Europe, via trois acteurs : l’European Round Table (ERT), l’Unice (confédération européenne) et l’AmCham (Comité européen de la Chambre de commerce américaine).

C’est en 1970 que les américains installent l’AmCham à Bruxelles. Cette organisation réunit 145 des  grandes entreprises américaines présentes en Europe (Boeing, Procter &Gamble, Monsanto, McDonald’s, General  Motors etc.).

L’ERT, quant à lui, est un lobby fondé en 1983, qui bénéficie du privilège de pouvoir s’adresser directement aux membres de la commission européenne et qui s’est fixé pour objectif de « stimuler la compétitivité mondiale de l’industrie européenne ». Depuis sa création, l’ERT a multiplié les actions, campagnes et interventions ce qui ne laisse plus aucun doute sur le fait que l’Europe est une création américaine.

Pour se faire une véritable idée de la présence américaine à Bruxelles il nous suffit de nous référer aux chiffres suivants :

En 2014, les compagnies qui ont le plus dépensés en lobbying à Bruxelles sont américaines : Philip Morris (> 5 millions d’euros), Exxon Mobil (environ 5 millions d’euros et Microsoft (4,5 millions d’euros).

Les principales agences de lobbying qui opèrent à Bruxelles en 2014 sont également américaines :

  1. Fleishman-Hillard : 11,5 millions d’euros
  2. CDC Climat : 10 millionsd’euros
  3. Taxand : 10 millions d’euros
  4. Burson-Marsteller : 8,9 millions d’euros
  5. Med Ingeneria : 8,5 millionsd’euros
  6. Hill &Knowlton 8,4 millionsd’euros
  7. APCO Worldwide : 8 millionsd’euros
  8. FTI Consulting : 6 millionsd’euros
  9. Risk Dynamics : 6 millionsd’euros

En ayant connaissance de ceci, il est évident les Etats-Unis disposent d’une influence et d’un certain contrôle sur l’Europe via des leviers diplomatiques (condition de la création de l’Union européenne, rôle des Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale et pendant la guerre froide, création du sentiment « d’être redevable »aux Américains et donc d’une certaine culture poussant les politiques à se plier aux Américains sur de nombreux terrains et économiques.

Après avoir mis en avant la force d’influence politique dont disposent les Etats-Unis sur l’Europe, étudions maintenant comment cet empire l’utilise dans son rapport de force économique avec la Russie.

Dans ce cas précis, les Etats-Unis vont influencer l’Europe pour l’empêcher de se rapprocher de la Russie ou d’être trop dépendante de celle-ci, sans accorder d’importance aux conséquences économiques et politiques que subiront les pays Européens.

Pour les Etats-Unis, l’Union européenne doit rester sous contrôle américain puisque, comme nous l’avons vu précédemment, ce sont eux qui ont promu sa création via des agents d’influence.

Une des manifestations de tout ceci est le résultat du conflit entre la Russie et l’Ukraine. En effet, pour punir la Russie de son comportement dans le déroulement de cette affaire les Américains, suivi des pays européens ont mis en place un certain nombre de sanctions contre la Russie, nous pouvons citer entre autres :

– Une impossibilité d’achat, pour un citoyen européen, d’actions financières si ces dernières proviennent d’une banque russe dont l’Etat est majoritaire.

– Un embargo sur l’import et l’export d’armes en provenance et à destination de la Russie ainsi qu’un droit de veto des Etats pour d’autres produits.

– L’établissement d’une liste noire d’hommes d’affaire, de banques et de sociétés russes proches de Poutine suspectés de tirer avantage de l’annexion de la Crimée par la Russie, dont les avoirs seront bloqués et avec lesquels il est désormais « interdit » de faire du commerce.

Les Etats-Unis sont derrières ces différentes sanctions économiques qui leurs octroient un double avantage : Affaiblir économiquement la Russie qui, comme nous l’avons vu, est très dépendante de ses exportations et détériorer les relations entre l’Europe et la Russie et ainsi endiguer un éventuel rapprochement.

D’après l’ex-fonctionnaire du département du Trésor des États-Unis Paul Craig Roberts, ces sanctions avaient été planifiées à l’avance par les Etats-Unis et le but de Washington est « d’isoler la Russie de l’Europe et la diaboliser » .

Selon le média allemand Deutsche WirtschaftsNachrichtent, « les Etats-Unis ont coupé court aux tentatives de l’Union européenne de lever les sanctions et d’amorcer un rapprochement avec la Russie » début 2015.

Ces évènements sont une manifestation de la guerre économique que livrent les Etats-Unis contre la Russie. Pour mesurer l’impact de telles sanctions il nous suffit de rappeler les éléments suivants :

– Exportations russes en 2013 : 297 milliards de dollars à destination de l’Europe (1ère destination des exportations russes) soit environ 60% du total des exportations russescontre à peine 3,7% à destination des Etats-Unis.

– Importations russes en 2013 : 191 milliards de dollars en provenance de l’Europe (1er fournisseur de la Russie) soit 60% du total des importations russes contre 4,4% en provenance des Etats-Unis.

Ces sanctions ont donc été néfastes pour la Russie mais aussi pour l’Europe qui sont très liées d’un point de vue commercial. L’Europe a par ailleurs vu ses exportations diminuer suite à la décision de Vladimir Poutine d’interdire l’importation en Russie de matières premières, de denrées alimentaires et de produits d’agriculture en provenance des pays ayant appliqués ces sanctions. Le ministre des affaires étrangères espagnol a affirmé que le coût pour l’Europe des sanctions appliquées à la Russie était, en février 2015, déjà de de 21 milliards d’euros .

Les Etats-Unis n’ont presque pas été touchés car ils sont beaucoup moins liés à la Russie que ne l’est l’Europe.

Cette stratégie a donc permis d’affaiblir l’économie russe, d’endiguer un éventuel rapprochement entre l’Europe et la Russie et de montrer à la Russie que l’Europe était sous influence américaine et que les Etats-Unis feraient en sorte qu’elle le reste.

Une autre matérialisation de cette influence politique, l’annulation du projet de gazoduc South Stream

Toujours dans l’optique d’affaiblir la Russie et de détériorer les relations russo-européennes, les Américains ont usé de leurs différents leviers d’influence politique sur les politiciens européens pour saboter le projet du gazoduc South Stream afin d’éviter que l’Europe ne soit trop dépendante du gaz russe.C’était également le moyen d’infliger un coup dur à l’économie russe qui se développe en grande partie grâce à la distribution de son gaz via son entreprise Gazprom (nous verrons de quelle manière lors de l’étude de la stratégie russe).

Le Gazoduc South Stream, dont la construction était évaluée à 32 milliards de dollars, devait en effet permettre à la Russie d’approvisionner l’Europe en gaz sans passer par l’Ukraine mais par la Bulgarie, et faisait intervenir des entreprises comme EDF ou encore ENI (entreprise leader dans le secteur des hydrocarbures en Italie).

Titre : tracé du gazoduc South Stream

Source : http://www.euractiv.fr/sections/leurope-dans-le-monde/matteo-renzi-soutient-south-stream-face-bruxelles-302708

Ce projet n’était évidemment pas dans les intérêts américains puisqu’il liait encore un peu plus l’Europe et la Russie économiquement, il augmentait la dépendance de l’Europe à la Russie et permettait à l’entreprise phare de la Russie (Gazprom) d’accroître un peu plus sa puissance en Europe.

C’est pour ces raisons que les Etats-Unis ont usé de leur influence politique sur l’Europe pour saboter ce projet. Ils se sont servis des sanctions économiques faisant suite à la crise ukrainienne et notamment la liste noire des hommes d’affaires avec qui il était désormais interdit de faire affaire pour exercer une pression sur la commission européenne et plus  particulièrement sur la Bulgarie.

Les Etats-Unis et la commission européenne ont reproché à la Bulgarie d’avoir confié la construction du gazoduc à l’entreprise russe Stroytransgazen lien avec Gennady Timchenko, individu placé sur la liste noire établie sous l’impulsion des Etats-Unis…

Cette pression s’est soldée par le blocage du projet par le premier ministre bulgare Plamen Oresharski, et l’annulation du projet par Moscou face au comportement de l’Europe et notamment à cause des sanctions économiques prises contre la Russie.

Titre : les dessous de l’annulation du projet South Stream

Source : Alexis Pinon

L’annulation de ce projet a coûté très cher à Gazprom, à la Russie et à l’Europe, et notamment aux pays d’Europe centrale et orientale censés accueillir une portion du gazoduc. Cette affaire illustre la force d’influence politique des Etats-Unis sur les élites européennes qui ne mesurent pas l’importance économique de ce type de décisions ni même les enjeux qui découlent de ce type de comportement sur les relations internationales futures et l’avenir des entreprises européennes.

Il paraît important de noter que l’influence américaine ne se dirige pas uniquement vers les hommes politiques européens actuels mais également à tous les potentiels futurs hommes et femmes politiques.

Les Américains avaient en effet mis en place, en 2010, une stratégie d’influence des minorités françaises, jugées comme étant l’avenir politique de la France. Les différentes étapes de cette stratégie sont détaillées dans le « Manuel d’intelligence économique, sous la direction de C.Harbulot, première édition, p 395 ». Le but de cette stratégie était d’influencer et ensuite de placer des individus devenus pro-américains à la tête du futur gouvernement français pour s’assurer que celui-ci suive toujours les intérêts américains.

La bataille informationnelle autour du gaz de schiste coté américain

Une autre stratégie utilisée par l’empire américain pour affaiblir l’empire russe consiste à promouvoir le gaz de schiste. Les Etats-Unis savent que la Russie accroît sa puissance en partie grâce au gaz qu’elle fournit à de nombreux pays européens qu’elle rend par la suite dépendants.

Pour éviter une éventuelle baisse d’influence envers les pays européens et une trop grande dépendance de celle-ci vis à vis de la Russie, le président américain, Barack Obama, avait d’ailleurs déclaré lors d’une conférence de presse, en mars 2014, avoir autorisé la livraison de gaz à l’Europe pour un volume « équivalent à ce que l’Europe consomme chaque jour ».Cette déclaration retransmise dans le monde entier est un outil d’influence utilisé par les Etats-Unis afin de promouvoir le gaz de schiste américain et par ailleurs, influer sur les cours du gaz (cf. courbe ci dessous)

Il est intéressant de noter que le président américain a utilisé la question de la dépendance de l’Europe vis à vis du gaz russe comme outil pour faire la promotion du TAFTA en affirmant que les livraisons de gaz américain aux Européens seraient largement facilitées dès lors que le TAFTA serait signé. En effet, une loi américaine interdit aux compagnies d’hydrocarbures d’exporter du gaz à un ou plusieurs pays qui ne possèdent pas d’accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Voici un exemple qui démontre bien que les Américains n’oublient jamais où sont leurs intérêts.

L’objectif de cette prise de position est triple :

– Rendre l’Europe moins dépendante du gaz russe.

– S’octroyer le marché européen du gaz et donc d’accroitre encore un peu plus la puissance économique américaine dont l’Europe sera alors dépendante en terme d’approvisionnement de gaz.

– Infliger un nouveau coup dur à l’économie russe qui verrait ses exportations de gaz diminuer (en 2013 les exportations de gaz naturelle représentaient 14% des exportations totales de la Russie) et qui subirait une baisse des cours du gaz.

– C’est un outil d’influence qui permet d’influer sur les cours du gaz et qui impacte négativement la Russie.

Les Etats-Unis savent que la volatilité des cours des hydrocarbures joue en défaveur de la Russie qui en est extrêmement dépendante.

Toujours sous l’angle de la guerre informationnelle autour du gaz de schiste, l’US Energy Information Administration (EIA) publie en 2012 un rapport affirmant que les Etats-Unis renfermeraient les quatrièmes plus grosses réserves de gaz de schiste (19 000 milliards de mètres cubes techniquement extractibles). Les conséquences de cette situation pour les Etats-Unis seraient les suivantes :

– Possibilité d’atteindre une situation de quasi autosuffisance à l’avenir

– Possibilité d’exporter du gaz à l’étranger

D’un point de vu mondial, ce type d’annonces, tout comme la déclaration du président Obama s’inscrivent dans une logique d’opérationinformationnelle ayant pour conséquence la chute du cours du gaz naturel (année 2012 et 2014).

Titre : la chute du cours du gaz naturel entre 2012 et 2014

L’annonce concernant cette grande quantité de gaz de schiste aux Etats-Unis et la possibilité de fournir l’Europe a évidemment fait chuter le cours du pétrole (2012, 2014) puisqu’il s’agit d’une augmentation de l’offre de gaz disponible par rapport à la demande ce qui entraine forcément une chute des prix.

Cette chute du cours du gaz a évidemment beaucoup pénalisé la Russie puisque le gaz naturel représente 14% du total de ses exportations et a permis de pénaliser Gazprom qui a vu certains de ses clients obtenir un pouvoir de négociation plus important, ainsi qu’une plus grande marge de manœuvre dans les renégociations de contrats avec celle-ci.

Par ailleurs, les Etats-Unis, accompagnés de certains pays européens au sein desquels se trouvent d’importants gisements de gaz de schiste (Pologne, Hongrie), et de certaines entreprises européennes (Shell, Centrica, ENI, E.ON etc.) ont mis en place un lobbying important pour promouvoir le gaz de schiste en Europe.

Leurs arguments sont les suivants :

 – Sécurité énergétique (réduire la dépendance au gaz russe).

– Le potentiel du gaz de schiste est extrêmement fort.

– Les risques environnementaux sont très faibles.

Le gouvernement américain effectue un lobbying extrêmement fort en soutenant ses entreprises phares, qui sont très présentes en Europe en ce qui concerne l’exploration de gisement de gaz de schiste :

– Exxon Mobile : Allemagne, Hongrie, Pologne, Royaume Uni.

– Chevron : Pologne.

– ConocoPhillips : Pologne.

Les Etats-Unis animent cette opération informationelle également via ses ambassadeurs et autres personnalités qui vont aller effectuer du  lobbying auprès des plus hautes instances gouvernementales des pays membres :

– En Bulgarie, l’ambassadeur américain a fortement fait la promotion des intérêts de l’entreprise américaine Chevron pour explorer les gisements de gaz de schiste en Bulgarie.

– La secrétaire d’Etat, Hillary Clinton (février 2012) en visite en Bulgarie a également fait la promotion du gaz de schiste en s’appuyant sur la nécessité pour la Bulgarie d’être plus indépendante d’un point de vue énergétique.

– En Pologne, la secrétaire d’Etat et d’autres membres du gouvernement américain ont également dépensé énormément d’énergie pour obtenir des permis d’exploration de gisement de gaz de schiste.

Néanmoins, cette stratégie d’approvisionnement de l’Europe semble difficilement réalisable du fait des contraintes de livraison :

– Pour le moment il n’y a pas de terminal de liquéfaction sur le littoral américain.

– Nécessité de mettre en place des méthaniers pour ensuite l’acheminer à travers l’atlantique.

– Nécessité de le regazéifier une fois arrivé en Europe.

Mettre en place cette opération engendrerait des investissements extrêmement importants ainsi qu’un temps considérable et rendrait donc le gaz de schiste américain plus cher que le gaz russe pour l’Europe. Donc, la question ici, est de savoir qui serait en charge de financer cet écart de prix si la décision de passer par les Etats-Unis en tant que fournisseur de gaz était actée. Les Européens se retrouveraient-ils à devoir payer leur gaz plus cher ou bien les Etats-Unis opèreraient-ils un effort financier pour contrer la menace russe ? Cette question sera sans doute abordée en fonction du déroulement des négociations sur ce dossier.

Autre point, la technique de la fracturation hydraulique (technique d’extraction du gaz de schiste) est très polluante et des mouvements civils se sont déjà emparés de ce sujet pour lutter contre l’exploitation du gaz de schiste (exemple de site internet : stopaugazdeschiste07.org, www.nongazdeschiste.fr, stopgazdeschiste.org).

L’Europe est, quant à elle, divisée sur la question du gaz de schiste. La France a interdit la fracturation hydraulique sur son sol, l’Allemagne reste quant à elle mesurée mais d’autres pays d’Europe y sont eux favorables (Pologne, Royaume Uni, Irlande, Pays-Bas, Suède, Espagne etc.).

Devant ces différents obstacles les Etats-Unis avaient commencé via l’entreprise Chevron, la prospection de gaz de schiste en Europe.

Cette entreprise, liée au pouvoir américain, avait alors entamé, dans une optique d’indépendance de l’Europe vis à vis du gaz russe, la prospection de gaz de schiste en Roumanie, en Pologne et en Lituanie, qui sont trois pays très dépendants du gaz russe. L’entreprise avait fait le tour de tous les pays de l’Europe de l’Est avant de se concentrer sur ces trois pays là en particulier.

En 2014, cette stratégie a subi un coup d’arrêt puisque la prospection fut arrêtée dans ces trois pays car les coûts auraient été trop élevés et les bénéfices trop marginaux. En effet, les entreprises Eni, Marathon Oil, Talisman Energy et Exxon Mobil ont arrêté les recherches, seule l’entreprise Chevron a continué. Cet arrêt a bien évidemment contrarié les différents gouvernements européens qui voyaient dans ce projet, la possibilité d’aboutir à une forme de sécurité énergétique et le moyen de mettre fin à leur dépendance vis à vis du gaz russe.

Les questions autour du gaz de schiste et des livraisons en provenance des Etats-Unis devraient continuer à alimenter le débat de la dépendance énergétique de l’Europe vis à vis de la Russie. L’intervention des Etats-Unis semble être une aide pour extirper l’Europe de cette situation mais il serait naïf de penser que cette intervention est totalement altruiste de leur part.

L’utilisation de l’extraterritorialité du droit américain pour contraindre les entreprises européennes

Une caractéristique importante du droit américain est qu’il est extraterritorial… C’est à dire que sous certaines conditions il va s’appliquer à des entreprises non américaines et ces dernières n’auront quasiment aucun moyen de défense puisqu’en général elles ne sont pas formées à ce droit extrêmement restrictif.

L’outil favori des Etats-Unis dans l’application extraterritoriale de leur droit est la Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Il s’agit d’une loi fédérale américaine pour lutter contre la corruption mise en place en 1977 et les américains ont décidé que cette loi s’appliquerait de manière extraterritoriale.

Le principe d’extraterritorialité est le suivant : Dès lors qu’une entreprise non américaine fait des affaires en dollars (monnaie de référence dans le commerce international, dans la finance internationale et toutes les matières premières sont cotées en dollars…), passe par un fournisseur d’accès internet américain, un opérateur téléphonique américain, répond à un appel d’offre la mettant en concurrence avec une entreprise américaine ou encore si elle possède des filiales sur le territoire américain, les Etats-Unis considèrent qu’ils peuvent lui appliquer leur droit ! 

Voici un exemple grossier afin de résumer au mieux ce principe d’extraterritorialité du droit américain : une entreprise suédoise passant un contrat en euros avec une entreprise espagnole, communiquant via un opérateur téléphonique irlandais mais échanges quelques mails via un fournisseur d’accès Internet américain devient passible de poursuites pénales américaines et devra se défendre devant les tribunaux américains.

Ce principe d’extraterritorialité n’est qu’un outil servant les intérêts économiques et politiques américains permettant aux Etats-Unis entre autres de :

– Effectuer une veille constante des entreprises étrangères (européennes) notamment sous le prétexte de la FCPA.

– Mettre en place une surveillance accrue, du FBI et de la NSA (écoutes téléphoniques, surveillance des mails etc.) de certaines entreprises sur la base de simples soupçons.

– Attaquer certaines entreprises allant contre les intérêts américains.

– Affaiblir des entreprises concurrentes des sociétés américaines sur des secteurs stratégiques pour permettre aux entreprises américaines de les racheter, de remporter un appel d’offre ou encore de se placer en situation de quasi-monopole.

Le cas le plus probant est celui du rachat de la société française Alstom par l’américain General Electric (GE).

Les Etats-Unis ont utilisé la FCPA et son principe d’extraterritorialité pour faire peur aux dirigeants d’Alstom en les menaçants de lourdes sanctions (pénales). Il s’agissait d’une technique pour pousser ces derniers à vendre une de leur branche stratégique à une entreprise américaine.

Le rachat d’Alstom par General Electric est une matérialisation de la convergence des intérêts commerciaux d’une entreprise américaine, et des intérêts stratégiques du gouvernement américain et de la porosité de la frontière entre les secteurs privé/public aux Etats-Unis puisque ce sont les agences gouvernementales (NSA, FBI) qui ont mis à mal Alstom pour ensuite servir les intérêts de GE et du gouvernement américain par ricochet.

La branche énergie d’Alstom est extrêmement stratégique puisque l’entreprise fabriquait des turbines qui équipent les centrales nucléaires françaises et certaines centrales nucléaires étrangères ainsi que la flotte de guerre française.

Aujourd’hui, suite à ce rachat, General Electric et donc les Etats-Unis, sont en situation de monopole en ce qui concerne les turbines or les centrales nucléaires sont des éléments stratégiques de l’autonomie énergétique de la France, il s’agit d’un secteur stratégique tout comme celui de la défense.

En quelques mots, si les Français désirent vendre un navire ou un réacteur nucléaire (équipé d’une turbine autrefois fabriquée par Alstom) à un pays tiers, elle ne pourra le faire que si les Américains (GE) acceptaient de leur fournir la turbine… Idem, pour la flotte française dont la bonne santé dépend désormais du bon vouloir des Américains qui peuvent s’octroyer le droit de ne plus lui fournir les pièces de rechange.

GE a également racheté une petite filiale d’Alstom chargée de la surveillance des satellites qui permettait de suivre la totalité des mouvements des satellites étrangers. C’était un moyen pour la France de savoir en permanence où se situaient les satellites russes et américains susceptibles de surveiller les mouvements des bâtiments français. Le rachat de cette petite filiale revêt donc une importance fondamentale en ce qui concerne la dissuasion nucléaire de la France car c’est en fonction de la position des satellites que la France faisait sortir ses sous marins nucléaires afin d’être sur qu’ils n’étaient pas suivis par des satellites étrangers.

Conséquences de ce rachat pour la France :

– Augmentation de la dépendance énergétique française vis à vis des Etats-Unis (turbine utilisée dans les réacteurs nucléaires).

– Affaiblissement de la France en ce qui concerne la dissuasion nucléaire.

– Possible perte de contrats commerciaux si les Etats-Unis ne sont pas d’accords pour fournir les turbines.

-Dépendance de la marine nationale française vis à vis des Etats-Unis.

Conséquences de ce rachat pour les Etats-Unis :

– Donner une position dominante à General Electric.

– Faire rentrer la France, pilier de l’Europe, « dans le rang » et l’affaiblir.

– Accroître la dépendance de la France vis à vis des américains.

– Obtention d’un levier d’action futur du fait du monopole d’approvisionnement de pièces stratégiques pour la France (nucléaire, défense).

– Pouvoir de négociation accru du fait de l’affaiblissement du pouvoir de dissuasion nucléaire de la France.

– Accroissement du contrôle sur un des piliers de l’Europe

Il existe d’autres exemples d’application extraterritoriale du droit américain soit pour renflouer les caisses du gouvernement américain (amende infligée à BNP Paribas) ou pour aider les entreprises américaines et donc accroître la puissance économique des Etats-Unis.

Les Etats-Unis utilisent donc cet outil pour museler les entreprises étrangères et notamment européennes, car aucun gouvernement européen ne vient remettre en cause ce principe abusif d’extraterritorialité que nous pourrions apparenter à de « l’extorsion de fonds ». Il s’agit d’un outil de contrôle des entreprises européennes par les américains afin que ces dernières ne concurrence « pas trop » les entreprises américaines et n’aillent pas à contre-sens des intérêts américains.

Les Etats-Unis ont donc un temps d’avance en ce qui concerne le contrôle des entreprises européennes par rapport à la Russie notamment avec ce principe d’extraterritorialité qui lui permet de surveiller toutes les entreprises européennes et de les saboter lorsqu’elles ne suivent pas une ligne de conduite en accord avec la volonté de domination mondiale des Etats-Unis.


Alexis Pinon