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L’ère des fake news

Les fake news se sont imposées sur Internet et concurrencent les médias traditionnels.

Rappelons que le terme de fake news reste le plus souvent contesté dû à la diversité des situations qu’il englobe. Il peut s’agir aussi bien d’inexactitudes rapportées pourtant de bonne foi par des responsables publics que d’un discours faux diffusé dans un but parodique, idéologique, ou encore mercantile en attirant le plus de visiteurs vers une page web à l’aide d’un titre racoleur . La diffusion des fake news a eu pour résultat de faire accéder l’expression « post truth » au titre d’expression de l’année 2016 par l’Oxford English Dictionnary. Ce phénomène profite de ce que la frontière qui sépare la vérité de la calomnie est ténue. Il se développe sur l’insinuation et l’influence dans le but d’amener un destinataire à tirer les conclusions souhaitées.

Finalement, ce que nous appelons fake news n’est bien en fait que le nouveau nom de la désinformation.

La portée des articles ou contenus produits est aujourd’hui amplifiée par un algorithme : les internautes vont partager, agir et réagir à propos de l’actualité. Selon Jestin Coler un auteur des sites hébergeant des articles considérés comme faux, les fake news sont comme des grenades assourdissantes : « elles explosent et résonnent le temps d’une journée. Si vous intervenez avec trois jours de retard, vous avez déjà manqué le coche ».

Alors que les media traditionnels ont pour mission d’informer, les fake news ont pour objectif d’influencer. Un spécialiste des contenus viraux, Neetzan Zimmmerman résumait de manière crue cette quête d’audience : « aujourd’hui ce n’est pas important qu’une histoire soit vraie. L’important c’est que les gens cliquent ».

Comment expliquer ce phénomène ?

L’essence du journalisme – comme de la science – est d’assurer la vérification des faits, en rencontrant les acteurs et les témoins des évènements relatés, en menant un véritable travail d’enquête. Mais les moyens des journalistes sont limités et des contingences diverses limitent l’accès aux informations. De plus, l’information n’est plus fournie uniquement par les médias, mais par les agences de relation presse, les services de communications des entreprises, les ONG, les associations sans oublier les pouvoirs publics. Chaque acteur doit être capable d’attirer suffisamment d’audience alors que se joue une nouvelle « économie de l’attention » sur Internet, à la radio, à la télévision et dans la presse écrite. Il faut faire avec le « temps de cerveau disponible ». La surabondance d’informations réduit fortement sa durée.

Par ailleurs, le journalisme requiert la confiance a priori de son lectorat. Elle ne va pas de soi et doit passer outre un certain nombre de biais, qu’ils s’agissent de biais cognitifs (nous croyons ce que nous pensons être objectivement possible), ou bien affectifs (nous croyons ce qui correspond à nos croyances, à nos craintes ou encore à nos espoirs), ou encore de biais liés à la popularité d’une nouvelle (nous sommes plus enclins à croire ce qu’un grand nombre de personnes croient de bonne foi.).

Les fake news au contraire, ne demandent pas d’efforts particuliers dans la mesure où elles épousent les émotions, les craintes et la psychologie de son lectorat.

Une analyse du chercheur Dominique Wolton dans le livre Penser la communication, explique bien la logique de révélation qu’adoptent les auteurs de fake news, l’exclusivité et la rapidité étant gage de succès  : « autrefois, dans les sociétés fermées et non démocratique, le secret était la règle, et les informations avaient souvent pour but de faire éclater la vérité. Mais aujourd’hui où tout le monde informe, l’information n’est plus synonyme de vérité, sans pour autant être toujours fausse. Elle est souvent « entre deux », obligeant l’information-presse à se radicaliser dans l’investigation, les révélations, la levée des secrets pour se distinguer de ce flot d’informations qui la singe. ».

Une entreprise, Cambridge Analytica s’est spécialisée dans la collecte de données, mais aussi dans la communication d’influence. L’un de ses actionnaires est l’homme d’affaire et informaticien Robert Mercer, un spécialiste de l’intelligence artificielle et le principal pourvoyeur de fond du site Breitbart. Robert Mercer est aussi le président d’un fond de capital risque spécialisé dans les technologies liées à l’intelligence artificielle. Mercer dispose des technologies permettant de recueillir des données pour prédire les réactions d’un panel de lecteurs à partir de leur historique de navigation. Une technologie utilisée pour suivre en temps réel l’humeur d’un marché, ou d’un ensemble d’électeurs.

Une fois que les données pouvant prédire les réactions des internautes ont été récoltées,  l’étape suivante est la diffusion des informations capables de modifier la perception qu’a l’audience sur un sujet. Pour cela, il est nécessaire de disposer d’un site ayant une renommée suffisante pour diffuser les articles aboutissant à l’effet final recherché. C’est notamment le  cas de Breitbart, dont les activités sont soutenues par une organisation, le Governement Accountability Institute, créé elle aussi par Robert Mercer. Son but est de fournir les fonds pour assurer le travail d’investigation de Breitbart.  Breitbart fonctionne comme une machine à diffuser des fake news pro-trump en influençant en profondeur la perception des électeurs américains, en diffusant des articles mêlant des éléments avérés et d’autres non. Ainsi le site Breitbart diffuse des études du Center for Immigration Studies, un centre d’études lié à l’Alternative Right, dont l’utilité est d’étayer un propos anti-immigration, tout en ayant un semblant de véracité.

Comment lutter contre leur prolifération ?

Accusé de propager les fausses nouvelles, les réseaux sociaux ont souhaité d’abord modifier l’algorithme de diffusion, puis en invitant les internautes à signaler les éléments de désinformation. Une autre méthode consiste à faire pression sur les annonceurs : des militants nommés Sleeping Giant ont décidés de mettre les annonceurs présents sur des sites jugés haineux, en face de leur responsabilité. Ils ont ainsi publié la liste des marques, universités, etc., dont les publicités étaient présentes sur des sites de fake news. Un « name & shame » qui, on l’espère, va amener les marques à se poser la question de savoir où va leur budget marketing et si leur présence sur de tels sites correspond à leur image et leurs valeurs.

La lutte contre les fake news concerne aussi l’éducation à l’information : comment apprendre à ne pas être crédules ? Une étude menée par l’université de Stanford a montré que 80% d’un panel d’adolescents ont des difficultés à distinguer les infos d’un site diffusant des articles purement fictifs d’un véritable site d’information. Pour répondre à ce constat préoccupant, des cours à l’éducation numérique sont délivrés  dans les lycées et dans les universités américaines comme la Stony Brook University. Des enseignants américains proposent aux étudiants des exercices pour vérifier le contenu auxquels ils ont accès : l’information provient-elle d’une source que vous connaissez ? L’information peut –elle être recoupée avec ce que vous savez déjà sur le sujet ? Est-ce que des experts respectés se sont exprimés sur le sujet ? Il y a – t-il un copyright ? Un exercice nommé back tracking qui consiste à voir qui est l’auteur de l’article, qui le diffuse et si possible les objectifs de l’auteur.

Les scientifiques se sont aussi engagés dans la lutte contre les fake news. Parce que le but de la science est de garantir la vérité des énoncés, la véridiction de ses énoncés se fait par la validation des travaux accomplis par les autres scientifiques, même si cela est long et entraîner parfois des débats.

C’est la raison pour laquelle la communauté scientifique s’oppose fermement à Donald Trump en lui reprochant de diffuser des fake news, notamment sur les questions environnementales. Ainsi des chercheurs américains se sont organisés pour diffuser la vérité. Une lettre ouverte co-signée par 2 390 scientifiques à travers le pays a été rédigée par le spécialiste de radioastronomie Arson Parson, dans laquelle il rappelle que le phénomène du réchauffement climatique est réel et avéré par la communauté scientifique.

L’entrée des chercheurs en politique est expliquée par le scientifique et membre du Congrès Bill Foster : « dans le domaine scientifique, si vous dites quelque chose qui n’est pas vrai, c’est la fin de votre carrière. Avant, c’était pareil en politique, mais plus maintenant. […] Cela fait des années que certains confrères dénoncent les propos idéologiques qui se substituent de plus en plus aux preuves scientifiques dans le débat public. » Le sens de cet engagement est de rappeler que nul ne peut s’affranchir de la vérité, et que les scientifiques ont la responsabilité de contribuer à ce qu’elle soit au centre des préoccupations des dirigeants politiques.

Des sites spécialisés dans la vérification ont fait leur apparition, comme First Draft, une organisation à but non lucratif chargé de collecter « des données empiriques »  et de faire collaborer les journalistes spécialisés dans la collecte de données, les universitaires spécialisés dans la diffusion d’informations et les ONG ayant recueilli des informations de première main. Des ONG se sont aussi engagées dans la lutte contre les fausses informations : Amnesty International a recours à un laboratoire nommé Citizen Evidence Lab dont le but est de vérifier la véracité des images impliquant les violations des droits de l’homme.  

La presse quant à elle a opéré sa mutation pour s’adapter à cette nouvelle réalité des fake news. Que ce soit par la diffusion d’un pure player américain nommé Axios, qui s’appuie sur les réseaux sociaux en appliquant la devise «smart brevity» : des informations avérés, présentées de manières concises. Un autre exemple est Wikitribune, un site d’information lancé par Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia. Ce site fonctionne grâce à la contribution d’une communauté d’internautes qui pourront proposer des éléments supplémentaires pour vérifier et étayer le contenu rédigé par les journalistes. Les changements seront soumis pour validation à un modérateur qui mettra les contributions en lignes si celles-ci sont jugées recevables.  

Un autre moyen de contenir les fake news est la modération des réseaux sociaux. Une expérience menée par deux chercheurs américains du MIT, J Nathan Matias et Merry Mou, montre l’engagement et le partage des fake news peuvent-être limités par la supervision des community managers. L’expérience s’est déroulée de la façon suivante : les modérateurs du réseau social Reddit ont signalé les forums de discussions dans lesquels apparaissaient le plus de réclamations causées par les fake news. Les deux chercheurs ont alors décidé de vérifier la visibilité des liens vers les fake news en fonction de trois scénarios : dans un premier temps, des liens vers les sites sensationnalistes étaient laissés sans aucune surveillance ni appel à la modération et à la prudence. Dans un deuxième temps des commentaires appelant à la prudence étaient postés dans les forums de discussion. Enfin dans un troisième temps, les mêmes commentaires étaient laissés avec en plus un appel à voter négativement les posts indiquant des liens vers des sites de fake news.

Ce que nous en retirons est que les appels à la prudence permettent de diminuer le partage et l’engagement des internautes vers des sites de fake news, ou de voir apparaître des liens vers des sites « sûrs ». De plus le fait de poster des messages appelant à la prudence augmentait la viralité des postes ayant des liens vers des sites d’informations sérieux. Enfin, la mise en ligne des messages appelant à la vigilance diminuait de moitié le taux d’engagement vers des fake news ainsi que leur partage.

Le phénomène des fake news est la preuve d’un axiome qui veut que sur internet, celui qui parle est le seul à avoir raison. Par conséquent, l’information et la connaissance ne sont plus menacées par la censure, mais par la contrefaçon. Les fake news confirment aussi que la frontière entre les consommateurs passifs et influenceurs actifs est plus ténue que jamais. Ce qui signifie qu’une culture de la vigilance doit apparaître et s’enraciner auprès des internautes.  Celle-ci ne se fera pas sans une concertation entre d’une part les autorités responsables de l’intérêt public et les moteurs de recherche et réseaux sociaux qui sont les vecteurs d’informations.

Pour aller plus loin :

Georges Bonfils