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Le rôle vital des lobbies dans la politique saoudienne aux États-Unis

L’Arabie Saoudite est l’un des principaux partenaires des pays Occidentaux au Moyen-Orient. En effet, son poids géopolitique et diplomatique dans la région, ainsi que son rôle dans l’OPEP — dû à ses immenses ressources pétrolières — en font un pays stratégique pour la stabilité de la région et le prix du pétrole. Il est plus souvent dénoncé par la presse internationale et attaqué sur plusieurs thématiques comme les droits de l’Homme ou le financement du terrorisme. Ainsi, pour influencer sur la scène internationale tout en évitant de devenir un État paria, le Royaume utilise une arme rarement analysée par les médias traditionnels.

Derrière le gouvernement saoudien, de nombreux cabinets de lobbying, agences de communication ou associations représentent ses intérêts. Dispersé aux quatre coins du monde, ce réseau d’influence souffle aux oreilles de dirigeants politiques et économiques, et c’est aux États-Unis qu’il est le plus présent. Car si les États-Unis sont l’allié historique et le protecteur du Royaume depuis le Pacte du Quincy en 1945, les relations se sont refroidies depuis les attentats du 11 septembre 2001. Sous l’administration Obama, les relations se sont notamment dégradées en raison d’une position américaine plus critique envers le régime et, surtout, plus ouverte à la négociation avec l’Iran, ennemi historique des Saoud. Afin d’éviter de voir l’Iran, libéré des sanctions internationales, étendre son influence dans la région, l’Arabie Saoudite a tenté d’influer sur la diplomatie américaine.

 

« Shadow Elite » et financement des Think Tanks

De généreux dons sont régulièrement envoyés à différents Think Tanks américains provenant de bienfaiteurs proches du Royaume ou de son allié émirati. C’est le cas de l’influent Think Tanks Atlantic Council, qui a reçu des dons à hauteur de 2 millions de dollars en 2015, ou encore le Centre d’Études Stratégiques et Internationales (CSIS), qui a reçu 600 000 dollars la même année. L’objectif est de créer un flux de rapports et d’analyses qui suivent la ligne politique saoudienne afin de les diffuser dans les sphères politiques de la Maison-Blanche et du Congrès. Ce lobby saoudien est d’autant plus efficace qu’il profite d’une particularité du gouvernement américain. En effet, un phénomène de privatisation et de sous-traitance de certaines fonctions du gouvernement s’est opéré au sein des administrations américaines dans les années 1980, obligeant ainsi à faire sous-traiter des prestations à des agences de consultants ou des Think Tanks. Ces missions prennent souvent la forme de rapports et d’études stratégiques. Ces dernières peuvent parfois devenir décisives dans les processus de prise de décision du gouvernement ou d’adoption des lois. Ce phénomène, mentionné comme étant une « Shadow Elite » (gouvernement de l’ombre) par Janine Wedel, donne alors aux opérateurs privés la possibilité d’utiliser la connaissance afin de personnaliser et d’influencer une certaine version de la « vérité ». Ce phénomène est d’autant plus accentué que l’on retrouve aujourd’hui, dans la plupart de ces Think Tanks et opérateurs, de nombreux analystes et anciens politiciens pro-saoudiens, correspondant à la « Shadow Elite », ayant entretenu ou entretenant encore des liens étroits avec Riyad. La stratégie de financement des Think Tanks américains les plus influents permet ainsi au Royaume de placer ses pions dans les prises de décisions gouvernementales comme ce fut le cas pour le rétablissement des sanctions en Iran, le dossier yéménite ou l’embargo contre le Qatar.

 

Une communication accompagnée et soignée

La mise au ban de l’Iran et de la Russie — redevenus les nouveaux principaux antagonistes de Washington — permet ainsi à l’Arabie Saoudite de reprendre son statut de principal allié. Et quoi de mieux pour redorer son blason que de présenter l’Arabie Saoudite sous un nouveau visage, avec comme ambition de réformer aussi bien son économie que sa société et sa vie politique, sous l’impulsion d’un jeune Prince héritier, Mohammed Ben Salmane. Ce Prince de la Communication cherche à donner une image moderne du Royaume : ceci passe notamment par une opération séduction de deux semaines aux côtés de grandes compagnies de la Silicon Valley ou bien dans les prestigieuses universités du pays. Ce que l’on observe, c’est qu’autour de lui gravitent de nombreux cabinets de lobbying étrangers, souvent payés à prix d’or par le Royaume. Les actions de ces groupes sont centralisées au sein d’un organisme du gouvernement saoudien, le Centre d’Études et des Affaires Médiatiques de la Cour Royale Saoudienne. Parmi ces cabinets, on peut citer l’américain BGR Government Affairs, rémunéré à hauteur de 500 000 dollars par an, Qorvis Communication, qui appartenait au groupe français Publicis et dont les honoraires s’élèvent à 280 000 dollars par mois, Gloven Park Group, cabinet américain de lobbying composé d’anciens membres du gouvernement Clinton facturant 150 000 dollars mensuellement, ou encore Burson-Marsteller, détenu par le plus grand cabinet anglais de marketing WPP, qui a facturé ses prestations à hauteur de 3,6 millions de dollars. Depuis 2015, le Royaume a payé près de 18 millions de dollars à 145 lobbyistes enregistrés pour influencer sur les prises de décisions du gouvernement américain. En plus de ces cabinets de lobbying mandatés par le Royaume, on retrouve dans l’écosystème saoudien des associations d’hommes d’affaires comme le US-Saudi Arabian Business Council (USSABC) ou des groupes de pression comme le Friends of Saudi Arabia, qui alimentent et influent sur les relations.

C’est en partie grâce à ces acteurs que l’Arabie Saoudite et son plan « Vision 2030 » — plan de développement et de transformation de l’économie saoudienne visant à modifier son caractère rentier et qui fait figure de vitrine pour le prince héritier — sont parfois encensés dans certaines sphères politiques, économiques ou médiatiques.

 

Quelles conséquences après l’affaire Khashoggi ?

Cependant, la mort de Jamal Khashoggi, opposant politique et journaliste bien connu des groupes de réflexion de Washington, a considérablement effrayé le monde politique et celui des affaires, revoyant les vieux démons saoudiens ressurgir. L’affaire a notamment fortement affecté le forum international sur l’investissement en Arabie Saoudite, surnommé le « Davos du désert ». De nombreux PDG de grands groupes ont annulé leur présence à cet évènement, craignant pour leur réputation. Concernant les lobbys, certains ont pris leurs distances, jugeant qu’il est désormais trop risqué de faire affaire avec le Royaume. C’est le cas du cabinet Harbour Group qui a mis fin à son contrat avec Riyad. On aurait pu penser que ceci aurait entraîné un « effet domino » avec les autres cabinets, mais on constate qu’il n’en est rien aujourd’hui.

Cinq mois après l’affaire Khashoggi, une partie du monde politique et des affaires semble avoir tourné la page et l’on peut supposer que l’écosystème saoudien a su souffler de la meilleure des manières aux bonnes oreilles politiques. Cependant, le combat d’influence de l’Arabie Saoudite semble encore loin d’être gagné. Le pays tente en effet d’effacer une image négative via un semblant d’ouverture, mais les questions des droits de l’Homme, et notamment celles relatives aux conditions des femmes, font encore polémique comme ce fut récemment le cas avec Rahaf Mohammed, jeune réfugiée saoudienne ayant fui vers le Canada. S’ajoute à cela la guerre au Yémen, catastrophe humanitaire dans laquelle Riyad s’enlise de jour en jour, et qui participe à faire de l’Arabie Saoudite la cible d’une partie du monde politico-médiatique, et de l’opinion publique.

 

Tangi Ribeaux, pour le club Influence de l'AEGE