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Élections américaines : quelle influence pour Téhéran ?

À l’image de quatre années pour le moins désordonnées, l’ex-président Donald Trump quitte en grand fracas la Maison Blanche, laissant à la nouvelle présidence un climat d’instabilité. La victoire de Biden redistribue les cartes au Moyen-Orient.

Les décisions prises par le gouvernement américain durant le dernier mandat (2016-2020) n’ont fait qu'accentuer la dégradation de la situation politico-économique de l’Iran. 

Le 8 mai 2018, Donald Trump décide unilatéralement de sortir de l’accord P5 P+1 du Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) qu’il qualifie de « désastreux ». Mis en place par l’administration Bush, cet accord fait suite aux attentats de 2001. En 2015, Obama ratifie ce dernier et décide de lever les sanctions mises en place par son prédécesseur en imposant en contrepartie une limitation de l’enrichissement de l’uranium aux Iraniens à hauteur de 3,67%; accord qui sera d’ailleurs respecté par Téhéran, jusqu’en mai 2019.

En 2018, Donald Trump amplifie la coercition américaine sur Téhéran en imposant de lourdes sanctions économiques sur les secteurs bancaires (dont la Banque Centrale iranienne), les matières premières, l’automobile, l’aéronautique civil suivi des secteurs pétrolier et gazier; une nouvelle manière d’étrangler financièrement le pays. L’enjeu est alors de mettre à genoux le pays pour avoir l'ascendant lors des négociations.

Les sanctions prises en 2020, contre les 18 principales banques iraniennes fragilisent encore plus une économie iranienne déjà asphyxiée. De ce fait, Washington réduit ainsi la possibilité pour l’Iran d’effectuer la moindre transaction commerciale ou financière avec les entreprises occidentales, menacées de sortir du spectre économique américain si elles venaient à aller à l’encontre de l’embargo. Les États-Unis espèrent contraindre la République islamique à renégocier les termes de l'accord portant sur son programme nucléaire, en échange d'un allégement des sanctions économiques.

Extraterritorialité du droit américain, la mainmise sur Téhéran

Grâce au Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) les Américains peuvent sanctionner toute personne physique ou morale utilisant le dollar dans une quelconque transaction ou faisant usage d’un outil numérique développé par une entreprise américaine dans une opération de corruption. Au regard de l’hégémonie des GAFAM dans le domaine numérique international, le FCPA est l'arme imparable des États-Unis dans l'application d'une politique extraterritoriale agressive et un fabuleux outil d'ingérence et de guerre économique. Le droit devient alors une arme pour absorber ou éliminer des ennemis ou concurrents.

Pourtant, Téhéran a été jusqu’à menacer les Européens de relancer leur programme nucléaire s’ils ne les aidaient pas à se relever. En outre, les autres signataires de l’accord de Vienne, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) de 2015, étaient contre le retrait des États-Unis. Respecté jusque-là par les Iraniens, l'accord avait alors démontré son efficacité. Ainsi, à l’initiative de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, le projet Instrument in Support of Trade Exchanges (INSTEX) voit le jour afin de tenter de ne pas laisser l’Iran s’isoler sur la scène internationale. Ces pays ont mis en place cet outil pour parer aux sanctions américaines. Il est destiné à favoriser les échanges commerciaux avec l'Iran, sans utiliser le dollar américain. Paris, Berlin et Londres ont d’ailleurs envoyé du matériel médical à hauteur de 500 000 euros ; néanmoins cela reste loin des attentes de l’Iran dont exportation de son pétrole en Union Européenne, serait le seul moyen de sortir le pays de la crise financière. De plus, il était déjà possible, sans prendre de risque, d’envoyer du matériel médical en Iran – et ce, sans se voir inquiété par les États-Unis – ce type de matériel n'étant pas soumis aux sanctions. Au final, le renouvellement des sanctions américaines a coûté à l'Iran 200 milliards de dollars en revenus et investissements en devises étrangères, dont 100 milliards de dollars de revenus pétroliers, a déclaré le président iranien Hassan Rohani, lors d’un discours télévisé le 31 décembre 2019.

INSTEX a donc montré ses limites, l’UE n'étant pas assez souveraine économiquement pour outrepasser les possibles risques liés aux sanctions qu’infligent les Américains lorsque des entreprises européennes coopèrent avec Téhéran. Elles ont déjà dû payer aux États-Unis plus de 40 milliards de dollars ces dernières années, accusées de ne pas respecter non pas une résolution de l’Organisation des Nations unies mais bel et bien le droit américain. Les entreprises françaises ont été particulièrement frappées comme BNP Paribas en 2014, contrainte de payer 8,9 milliards de dollars ou encore Alstom avec une amende de 772 millions de dollars. 

Joe Biden, un nouveau souffle pour l’Iran ?

À l’aube du changement de législature à Washington, il semble que l’administration Biden souhaite revenir dans un système de gestion de la crise plus légal, à savoir appliquer à nouveau un système de sanctions plus classique en s’assurant de l’appui de ses alliés européens. À ce propos, le nouveau Secrétaire d’État Antony Blinken, (équivalent du ministre des Affaires étrangères) nommé par l’administration Biden va dans ce sens. Polyglotte français et allemand, ce dernier défend le multilatéralisme, est partisan d’un retour des États-Unis sur la scène internationale et souhaite renforcer les liens avec ses alliés européens tout en souhaitant  un retour des États-Unis dans l’accord du JCPOA. Dans un premier temps, il devrait entamer des négociations pour la réintégration des États-Unis dans l’accord de Vienne mais tout porte à croire que l'Iran ne lui rendra pas la tâche facile.

En effet, Téhéran vient d’annoncer l’augmentation du taux d’enrichissement de son uranium dans le but de pouvoir négocier plus que ce qui avait été prévu dans l’accord initial. S’ils avoisinent aujourd'hui les 5% d'enrichissement à l'uranium, cela deviendrait alarmant à partir de 20%, sachant qu’il en faut 90% pour avoir la possibilité de créer sa bombe nucléaire. La communauté internationale (P5+1) n'a que cinq mois pour réintégrer l'Iran au Concert des Nations en lui faisant profiter de tous les avantages du JCPOA. Autrement, il faut s’attendre à la même couleur radicale visible aujourd'hui à l'Assemblée Nationale Iranienne, régner sur l'exécutif à l'occasion des élections présidentielles de juin 2021. Ce qui entraînera l'augmentation des tensions dans une région déjà ébranlée. 

Enfin, si le président Hassan Rohani souhaite voir se lever l'embargo iranien, les Gardiens de la révolution perdraient quant à eux leur principale source de revenus. Et pour cause, la mise en place d’une pseudo-privatisation de la Persian Gulf Petrochemical Industries Company,  leur a permis de faire fleurir un marché noir pétrolier très lucratif.

La stratégie des Gardiens de la Révolution et du Guide Suprême sera certainement de maintenir le statu quo en proposant des conditions extrêmes pour un retour au JCPOA afin d’obliger les Américains à le refuser. Le paradoxe est que certains iraniens (8,6% d’après un sondage de la Iran Students Polling Agency Poll) pourraient regretter la « diplomatie » Trump dans la mesure où celui-ci formait une opposition parfaite aux mollahs et permettaient à ces derniers d’entretenir un certain nationalisme capable de maintenir l’état d’urgence dans le pays et de réprimer certains mouvements hostiles aux mollahs. Ces derniers avaient également promis vengeance suite à l'assassinat du  Général Qassem Suleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique, qui a eu lieu le 3 janvier 2020, en Irak et d’Abou Mehdi Al-Mouhandis, numéro deux de la milice irakienne (pro-iranienne) Hashed, par un drône américain en violation complète du droit international : vont-ils le faire si Trump n’est plus au pouvoir ? Et quelles en seraient les conséquences ?

En somme, s'il est certain que l’arrivée de Biden modifiera les relations entre Téhéran et Washington, cela ne signifiera pas forcément un assouplissement immédiat de la situation. L’héritage historique des relations entre les deux pays (guerre Iran-Irak 1980-1988, prises d’otages, révolution islamique 1978-1979…), laisse présager qu’une ligne dure sera maintenue au moins pour ne pas « laisser tomber » les alliés israéliens et saoudiens. Les nouvelles relations diplomatiques qu’Israël engage avec des pays du Golfe et des pays musulmans d’Afrique (Maroc, Egypte, Soudan), sous le regard bienveillant des Américains permettront peut-être d’accroître la pression sur l’Iran. Les États-Unis pourraient se sentir d’autant plus libres que les alliances tacites d’ennemis possédant le même ennemi sont aujourd’hui officielles. Nouveau paradoxe : Biden va pouvoir s’appuyer sur l’héritage de Trump – à savoir la création de nouveaux alliés tels que l’Arabie Saoudite, le Maroc, Bahreïn, le Soudan et les Émirats Arabes Unis – pour isoler davantage l’Iran et ses satellites. Les choses vont changer sur cet aspect grâce au travail de l’ancien locataire de la Maison Blanche.

Le 18 juin prochain les élections présidentielles iraniennes auront lieu, l’arrivée de Joe Biden à la tête de Washington influera-t-elle sur le prochain scrutin présidentiel iranien ?

 

Asma Akrour pour le Club Influence de l’AEGE

 

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